Interview : Yves Masson

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Yves Masson en mai 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Yves Masson : Je vais très bien, merci.

Les Secrets du Kayak : Tu es la première personne que j’interviewe qui a écrit un livre.

Yves Masson : A vrai dire, j’en ai écrit deux. Je les ai écrit lorsque j’ai été blessé ou malade, pour m’occuper. J’aime beaucoup “Animer pour gagner”. Ce sont les commandements du jeune entraîneur pour créer de la performance, dès l’animation de base dans les clubs puisque c’est la première connexion qui se crée. Le deuxième, c’est plus un guide pratique des raids que j’ai fait.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert le kayak.

Yves Masson : Je faisais de l’athlétisme enfant, et l’été avec mes parents on campait dans les Gorges de l’Ardèche. On suivait nos parents dès que c’était possible, et ensuite on s’est inscrit au club de Saint-Étienne. Ça m’a plu, j’ai laissé tomber l’athlétisme, j’ai fait du kayak pendant un an, et par hasard je suis tombé sur de la compétition.

Les Secrets du Kayak : Tu commences par quoi dans le kayak ?

Yves Masson : A Saint-Étienne, c’était de l’eau-vive dans les rivières de la région. J’ai fait un an de rivière classe III - IV. J’avais 12-13 ans. On faisait du kayak le samedi, on campait en espérant qu’il gèle pour faire sécher les vêtements.

Les Secrets du Kayak : Comment s’est passée ta première compétition ?

Yves Masson : Le club nous a demandé de jouer le jeu de la compétition à Bellegarde. C’était un combiné kayak / ski de fond au mois de janvier. Avec mon frère on gagne le ski de fond. Kayak dans le même après-midi en kayak de descente, ce qu’on n'a jamais fait.

A nouveau on gagne ! C’était mémorable. On a été pris en stage régional, c’était la grande époque mythique du kayak. On a passé des moments merveilleux, on était polyvalent. On nous a permis d’avoir un feeling de la découverte et de l’autonomie.

Les Secrets du Kayak : Moi qui suis plus jeune, j’ai lu Danger Zone, c’est un peu l’âge d’or de la descente ce livre ?

Yves Masson : L’âge d’or, c’était quand la descente allait être au JO. Quand l’eau-vive est arrivée aux JO et surtout le slalom, la descente a pris un coup sur la tête. Quand tu regardes ce qu’on faisait en descente, la gestion du risque était plus ou moins maîtrisée, aujourd’hui ça ne se ferait plus. Plus personne ne prend ces risques pour les enfants.

C’est un mouvement naturel, dans un sport comme celui ci les Jeux c’est énorme. Si tu te projettes, tu verras que les jeunes d’aujourd’hui feront du boardercross, ce qui tuera le slalom. Le kayak a l’illusion d’être moderne et créatif, alors que c’est une activité patrimoniale, archaïque et traditionnelle.

Si tu fais le parallèle comme avec le ski ou le vélo, c’est la même chose. Mais en kayak tu restes figé et tu n’es pas capable de faire ces évolutions.

Je pense aussi qu’il y a eu de grosses erreurs de faites sur les normes des bateaux. L’activité est déjà d’elle même en difficulté et à cela se rajoute des normes qui la rendent encore plus difficile. Et au final tout le monde fait du kayak. Évoluer n’est pas une insulte à la pratique.

Les Secrets du Kayak : Moi je trouve que le kayak c’est très difficile de s’y mettre âgé, c’est compliqué que d’acheter un bateau dans lequel tu peux rentrer dedans, c’est pour cela que je suis dans un surfski parce que c’est accessible.

Yves Masson : Le surfski a résolu un problème énorme, ça a été inventé par des nouveaux pratiquants du kayak. Pourquoi s’embêter avec un kayak fermé ? Demain, tu fais des bateaux de courses en ligne en surfski, l’hiver tu t’équipes, tu règles pas mal de problème de sécurité en surfski dans la pratique chez les jeunes.

Pour l’accès à la pratique, on essaie de maintenir la jauge. Et pour quelqu’un de ton gabarit, tu trouveras un bateau d’eau-vive pour descendre le Fier en toute sécurité, aller à Bourg-st-Maurice... Mais si tu habitais en Allemagne ou en Hollande, tu n’aurais pas ces problèmes de gabarit.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu as pu performer au niveau mondial ?

Yves Masson : J’ai fait une petite rupture pour passer la première année de médecine, j’y arrive du premier coup. J’ai arrêté médecine en troisième année. Pendant ces années, je m’entraînais deux fois par semaine, mais pour ma détente psychologique.

Ensuite je me suis davantage entraîné. D’avoir fait médecine, j’avais un réel avantage pour comprendre la physiologie et l’anatomie. A cette époque se développait l’entraînement sur les filières énergétiques.

Dans les années 1980 c’était le début du fractionné, ce n’était pas facile d’accès. Sans être un super athlète, tu arrivais par cette méthode à performer le jour J.

C’est avec l’arrivée de la pagaie creuse que j’ai compris que je pouvais performer au niveau mondial. La pagaie plate demandait un certain feeling dans l’eau. La pagaie creuse permettait la transposition de la musculation dans la pagaie. Je n’avais pas de don physiologique extraordinaire, mais j’ai gagné grâce à ça.

Ensuite j’ai voulu faire de la course en ligne, je m’entraînais avec Lubac, Bregeon,Vavasseur, puisque j’étais à l’Insep. En 1993, j’ai tenté la sélection des JO, mais être dans les trois meilleurs français n’était pas suffisant. Si tu n’as pas le quota c’est mort. Le jeu n’en valait pas la chandelle donc j’ai arrêté.

Ensuite je me suis retrouvé sur les Raids Gauloises. Toujours essayer de trouver des choses, s’inspirer des autres sports. La natation m’a aidé. Ma théorie était de dire que c’est l’athlète qui crée l’appui, tu ne subis pas l’appui généré par la pagaie. Si tu la subis ton potentiel d’accélération est moindre.

J’ai aussi souligné le problème de la cadence. En vélo les gars avant appuyaient fort pour une faible cadence, ils se sont aperçus que pour générer la même puissance un braquet un peu plus petit avec une cadence élevée travaillent moins musculairement. Dans le kayak, les gens se perdent dans un appui trop important qui ne leur permet pas de générer suffisamment de cadence propre en phase contrôlée.

J’ai adoré faire du sprint en kayak de descente parce que les montées en cadence étaient super importantes. Il faut de la puissance musculaire mais aussi de la coordination à très haute fréquence, et ça s’apprend à côté. Quand tu regardes les cyclistes, ils font beaucoup d’exercices de coordination de pédalage à vide pour pouvoir pédaler très vite. En kayak on a toujours qu’un seul braquet sans autoriser le travail de la coordination fine.

J’ai aussi fait des sports de combat, tu y travailles aussi la vitesse. C’est la vitesse qui te rend plus fort. En athlétisme toutes les gammes de vitesse t’aident. Si j’étais resté dans le kayak cet aspect du travail puissance-force / cadence-coordination m’aurait intéressé.

Les Secrets du Kayak : Quand tu t’entraînais ça t’arrivait de changer de pagaie en fonction de la séance ?

Yves Masson : Oui et si je pouvais m’entraîner avec Lubac je changeais de matériel et de bateau pour augmenter mon panel de sensations. Et c’était contemporain, d’autant plus que la préparation mentale à l’époque à l’Insep c’était pour les gens en difficulté.

Moi j’ai fait de la préparation mentale accès pour optimiser ce que tu vas faire le jour J. C’était intéressant car tu explorais différentes sensations. Plus tu le fais loin des échéances, moins tu mets de pression et plus ça te rassures. La performance pour moi c’est tuer l’incertitude, mentalement ça te crée une marge de créativité énorme, et ça te permet de sentir les bons coups.

Si tu es submergé par des doutes, tu n’es pas disponible mentalement. Ça permet aussi de faire un travail d’analyse des paramètres qui dépendent de toi et qui ne dépendent pas de toi.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as une explication sur le fait que beaucoup de français sont forts en descente ?

Yves Masson : Il subsiste une tradition d’entraînement de la descente qui semble plus pertinente que pour la course en ligne. Ce que tu ne retrouves pas forcément dans les clubs de course en ligne. Le niveau de compétition à l’international n’est pas celui de la course en ligne en descente.

En France il manque de moyens financiers, à l’étranger les finances sont concentrées sur l’Olympisme. Avec beaucoup de respect, leur niveau n’est pas celui de la course en ligne. On ne parle pas des mêmes choses.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu as arrêté le kayak pour passer au raid ?

Yves Masson : Le hasard. J’ai remplacé un gars qui a planté l’équipe. J’ai fait des entraînements pour voir, ça m’a plu, j’ai fait de l’endurance longue, j’ai atteint un haut niveau.

L’endurance c’est transporter son poids, donc en maigrissant ça passe bien. J’ai beaucoup maigri. En marathon 1 kg = 4 minutes. Ça s’est fait naturellement, j’ai gagné assez vite. A 40 ans je n’avais plus trop le temps pour ça. Ensuite, j’ai fait 3 fois l’UTMB.

Les Secrets du Kayak : En dehors du kayak, tu as fait beaucoup d’activités annexes ?

Yves Masson : Ce qui m’a fait le plus progresser, c’est la natation. Je faisais des journées triathlon. Je savais que les hongrois faisaient beaucoup de natation, ce n’est pas par hasard. Mais il faut aimer nager.

Et je courais une heure et demie par ci et par là. Mais ça crée des micro-traumatismes, donc c’est une fatigue pour l’organisme qui impacte la performance. Pour moi ça handicapait ma récupération générale. Je faisais des séquences assez courte, et je faisais beaucoup de vélo l’été, qui ne génère pas de micro-traumatismes.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi avoir arrêté les raids ?

Yves Masson : Il y a eu pas mal d’accidents avec des décès. Et économiquement ce n’était plus trop possible. Tu as une phase optimale sur ce type d’épreuve et ensuite ça descend. Le trail a émergé en même temps, et c’est plus facile et plus économique que de faire du raid.

Tous les amis que j’ai préparé pour l’UTMB ont tous terminé l’épreuve, et proprement. C’est une autre annexe de ma philosophie de l’entraînement. Avant de te prendre la tête avec le spécifique, il faut des bases qui sont communes à tout les sports.

Analyser ses forces et ses faiblesses, travailler les points faibles à grande distance de l’échéance, travailler les points forts intensément dès que tu approches de l’échéance, avoir une programmation d’entraînement béton, fuir les gens qui te disent que ça va le faire.

Faire beaucoup d’évaluation. Être au clair sur les paramètres physiologiques, la préparation mentale, la visualisation. Créer une structure de préparation de l’entraînement. Connaître sa réalité socio-professionnelle pour les prendre en compte. Il faut tout prendre en compte pour programmer son entraînement. Souvent les gens ne prennent pas en compte la fatigue mentale. Tous les stress et fatigues s’accumulent.

Les Secrets du Kayak : Tu as entraîné les autres mais est-ce que toi on t’a entraîné ?

Yves Masson : Non on m’a donné envie de m’entraîner, mais j’étais curieux grâce à mes études de médecine. Donc j’ai lu beaucoup sur les entraînements de natation, de course à pieds, de vélo. En théorie de l’entraînement j’avais les bases, c’était de la logistique qu’il me fallait de la part d’un entraîneur.

J’ai échangé avec des entraîneurs mais que sur des analyses techniques. Ensuite il y a eu une génération d’entraîneurs qui s’est formée.

En emmenant mon enfant sur les compétitions, je me suis aperçu que pendant dix ans rien n’avait changé, l’entraînement n’était pas même remis en question.

Ce qui fait que tu te retrouves dans des impasses psychologiques, comme l’obsession de la cadence basse. Tu t’enfermes dans des trucs. Ce manque de curiosité me tue. Surtout à l’heure de l’internet et de la technologie. Pour moi ça génère une perte de la mesure scientifique importante.

Les Secrets du Kayak : Moi j’ai l’impression que les jeunes athlètes sont forts assistés par les entraîneurs, et de fait ne sont pas curieux.

Yves Masson : Les jeunes athlètes ont le droit de ne pas savoir ni lire ni écrire et d’avoir un bon entraîneur. Ils peuvent être curieux, mais en même temps si ni l’un ni l’autre n’est curieux et que tu continues à t’entraîner pareil alors que tu te prends une claque aux JO, à un moment il faut changer quelque chose.

Je n’en voudrais jamais à quelqu’un de tenter des choses, quitte à se tromper, mais refaire éternellement les mêmes choses pour avoir les mêmes résultats, c’est ce qui me choque. Tout ça est financé par l’argent public. Leur travail est de réussir, il y a un degré d’exigence à demander.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi être parti de jeunesse et sport ?

Yves Masson : Quand on a fait le livre Animer pour gagner, il fallait aussi innover et donc changer les personnes, on a appliqué du sang neuf, on est sorti du système et je suis parti dans le taekwondo qui devenait sport olympique. Ils avaient besoin d'un cadre de fédération bien organisé. J’y ai vu un autre modèle d’encadrement. Sur les compétitions tu ne connais personne. Du coup tu peux te faire défoncer facilement par quelqu’un que personne ne connaît.

J’ai arrêté au bout de trois ans, je suis devenu directeur de cabinet de la mairie du 4è arrondissement de Lyon. J’ai démarré une carrière politique, j’ai replacé le sport dans la vision de la société, mais finalement c’était le même métier, j’ai coaché pour atteindre des objectifs.

Ensuite j’ai eu d’autres belles opportunités pour faire comprendre toutes ces idées géniales. J’ai mieux cerné la place du sport dans la société et comprendre comment la financer. Il fallait trouver des convergences dans mon métier en politique entre tous les partenaires, publics, privés et les athlètes. Trouver des points communs pour travailler sur les réalités socio-économiques et leurs enjeux. Pour moi le haut niveau est un produit d’appel, du développement marketing au développement d’une fédération. Il est censé évoluer en fonction des attentes du moment.

Pourquoi dans la majorité des autres pays la navigation en mer a été développée ? Il suffit de supprimer le K2 500m pour le développer et intéresser le grand public pour exister, peu importe que ce soit de la pirogue, du surfski, on s’en fou, juste être sur la mer avec des kayaks, le rendre populaire pour que les gens achètent le même kayak pour en faire.

Le but est de rendre accessible le kayak au grand public. On ne peut pas vivre dans une bulle qui se recroqueville sur elle même et qui se débat dans tous les sens, au risque de se refermer sur soi dans la pratique du haut niveau.

En France tout est rendu compliqué dans le kayak. Le vrai sujet c’est qui doit payer le vrai coût du kayak. Les partenaires publics se désengagent, peu de clubs arrivent à avoir des partenaires privés, donc c’est le pratiquant qui paie. Donc comment réduire les coûts ? Il y a des standards d’accession à des diplômes et d’organisation qui génèrent des coûts invraisemblables qui ne sont plus pris en charge par les associations.

Confondre le coût de la pratique et son impact social n’a rien à voir. Plus le kayak est bradé moins il y a de jeunes qui en font.

Les Secrets du Kayak : Le monde du kayak est assez fermé, du coup il y a moins de pratiquants et l’activité n’est pas assez valorisée pour permettre aux pratiquants de payer plus et participer à son coût.

Yves Masson : En fonction de ton club, le tarif n’est pas le même. Exemple à Lyon, tu paies pour une prestation, pour un prêt de matériel, un encadrement. Le prix de la licence est trop peu élevée par rapport à d’autres sports pour lesquels il n’y a pas de coût de transport etc. Le premier truc qui va sauter c’est le coût du transport. Les gens s’organisent assez bien entre eux.

Les Secrets du Kayak : S’il y avait une chose que tu devais refaire dans ta carrière sportive ?

Yves Masson : J’aurais fait une petite pause pour aller voir quelques coupes du monde en tant que spectateur. Prendre le temps de regarder ce qu’il se passe, ce que tu ne peux pas faire quand tu pratiques. Le but : avoir un regard neuf sur ce qu’il se passe, et donner quelques astuces après la saison.

J’ai fait des choses, des postes dans ma vie que je n’aurais jamais imaginé. Je ne m’interdis rien, et je reste souvent à l’écoute des propositions et surtout quand elles sont un peu décalées.

Vous pouvez retrouver Yves Masson sur son compte Facebook.

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