Interview : Renaud Bodier

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Renaud Bodier en novembre 2021.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Renaud Bodier : Bonjour Rudy, ça va très bien merci.

Les Secrets du Kayak : Cela fait un moment que je m’intéresse au kayak de sauvetage, ou lifesaving ? Tu es l’un des meilleurs français dans cette discipline il me semble ?

Renaud Bodier : Disons que je me débrouille pas mal.

J’ai un profil multi-sport. J’ai commencé par le triathlon dès 7 ou 8 ans avec mon papa qui lui faisait de l’ultra Iron.

Mon premier souvenir de sport, c’est de le suivre sur les triathlons, et il y avait toujours des triathlons jeunes avant donc j’y participais. Mon père avait peur que je me blesse en course à pieds, donc j’ai commencé à courir vers 13 ans.

J’ai fait des compétitions mais sans m’entraîner en course à pieds. Je faisais que de la natation en club et du vélo. Le vélo en club, je l’ai commencé très très tard.

Les Secrets du Kayak : Mais c’est énorme ! Souvent on parle de développement durant l’enfance de toutes ces capacités cardio-vasculaire et cardio-respiratoire, et toi en fait tu as baigné dedans depuis toujours ?

Renaud Bodier : J’ai toujours fait beaucoup de sport, du foot, du basket.

En école primaire, je faisais un sport différent tous les soirs. Au fils des années, il a fallu choisir. J’ai une grosse capacité aérobie mais je n’ai pas de vitesse. Du moins c’est mon facteur limitant.

Les Secrets du Kayak : Tu te distinguais par rapport aux jeunes en triathlon ?

Renaud Bodier : Dans ma région, on était trois jeunes à avoir un niveau semblable. Mais le schéma de course restait toujours le même.

Même plus tard en plus haut niveau mon manque de rapidité en course à pieds a toujours été un problème.

Je suis allé jusqu’en championnat de France de triathlon. En fait je suis parti en sport étude à 14 ans, dans la Sarthe en triathlon. J’ai signé dans un club de première division, mais je ne faisais pas les grand prix.

Ensuite je suis parti dans le club de D2 pendant cinq ans, jusqu’à ce que je rentre en prépa maths.

Puis j’ai arrêté. J’avais fait un BTS dans l’énergie. Je voulais entrer en école d’ingénieur mais ça ne s’est pas fait. Du coup, j’ai commencé à travailler directement.

En prépa, j’avais pris un peu de poids. Je n’avais pas fait de sport de septembre à noël. Et même mentalement, je n’étais pas heureux. J’ai repris un peu la course à pieds et la natation. A la fin de la prépa, j’avais pris 10kg, compliqué pour se remettre au triathlon !

Aujourd’hui, je suis en reconversion professionnelle pour devenir entraîneur en sauvetage.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’en triathlon, tu as été sensibilisé à la diététique ?

Renaud Bodier : Un peu. J’ai eu des périodes avec un physique lourd pour le triathlon. Moi j’étais un peu trapu. J’essayais de faire attention à ce que je mangeais.

Aujourd’hui j’ai 34 ans, je suis beaucoup plus renseigné sur le sujet. J’ai fait de grosses erreurs mais j’essayais de faire attention.

Mes erreurs par exemple étaient de limiter les protéines pour ne pas prendre de muscle, du coup je ne récupérais pas. Je m’imposais des restrictions à l’époque, aujourd’hui c’est un mot que je bannis.

J’ai compris que l’on a le corps dont on a besoin. Si ton corps est un peu dense c’est que tu es fait comme ça. J’avais même enlevé les glucides donc je n’avais pas de force à l’entraînement, je me blessais. Et je n’étais plus épanouis à la fin, j’étais limité par mes capacités physiques.

Je n’étais pas fait pour le triathlon. Je mesure 1,84 m pour 70kg à cette époque. Lourd pour le triathlon, léger pour le kayak. Aujourd’hui en poids de forme je fais 82kg, et 85kg l’hiver.

Les Secrets du Kayak : Après la prépa, tu te remets au sport ?

Renaud Bodier : Tout l’été, j’attends des réponses d’école d’ingénieur en commençant à travailler un peu. Et je reprends un peu le triathlon, mais je n’en pouvais plus de nager. Je voulais refaire du vélo et courir, sauf que mon corps n’était plus adapté. Tout était dur.

Et j’ai mon meilleur ami qui m’a proposé de faire du kayak de sauvetage à Tours. Mais ça ne me donnait pas envie. Je faisais de temps en temps de la planche mais c’est tout. Et je n’avais pas fait de kayak, j’avais essayé une fois et ça ne m’a pas plu.

Il n’existait pas de qualification au championnat de France de sauvetage à cette époque là, donc on me propose d’y aller pour faire les relais. J’accepte et là je passe en finale en série, et en finale je galère à passer la barre en nage.

Le lendemain, il y avait l’Iron planche-kayak-nage, je vois deux de mes potes faire ça et là je trouve ça génial. J’ai fait un deal avec un gars, Jean-Baptiste. Moi je lui apprenais à nager et lui il m’apprenait à faire du kayak. Je n’ai pas réussi à lui apprendre à nager, mais il a réussi à m’apprendre la kayak. Il a pris de son temps.

J’ai commencé directement par le kayak de sauvetage. C’est un surfski mais très stable, plus court, il fait 18kg et il est plus large. On est sur de l’endurance de force.

Il y avait le club de Tours de kayak qui eux s’entraînaient, on me propose de me joindre à eux pour ramer et faire de la PPG. L’hiver ils me mettent dans un master, j’avais trop peur de tomber, mais je ne suis pas tombé.

Après cette première séance, je me prends complètement au jeu du kayak. Il y avait une super ambiance, j’ai vite accroché avec le groupe. Il y avait Nicolas Guyot, le frère de Sarah, qui reprenait le kayak.

Il y a eu vite un groupe d’émulation. Je me suis également vite repris au jeu de la musculation et de l’entraînement. On a fait de l’équipage c’était une super dynamique. Je n’avais aucun objectif si ce n’est que celui de faire du sport loisir. Je n’imaginais rien.

Je progresse vite en kayak, je passe en américain rouge, en parallèle je préparais un marathon en course à pied avec JB. J’ai repris de la condition physique sans le vouloir.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que le sauvetage c’est quelque chose que tu te voyais faire ?

Renaud Bodier : J’ai passé mon BNSSA l’année dernière. En France, ce n’est pas obligatoire pour faire des compétitions de sauvetage. Tout le monde peut en faire.

Les Secrets du Kayak : Et ce marathon, comment il s’est passé ?

Renaud Bodier : Mal, j’ai confondu que la moitié d’un marathon ce n’est pas la moitié d’un 10km ou d’un 5km. C’est à dire que si tu es frais à 20km, tu ne peux pas relancer comme si tu es frais sur un 10km et que tu relances.

On avait fait une préparation top et en parallèle je faisais du kayak, de la musculation. Et quand j’ai commencé à réduire le volume de course à pieds et que j’avais du temps, j’allais faire du kayak.

Bref au marathon, musculairement au bout de 30 km j’ai explosé. J’ai finis en marchant. C’était le mur des 30km, mais c’était frustrant parce que j’avais l’énergie. Mais musculairement c’était un calvaire.

Je devais faire 77kg. J’étais trop lourd pour cette pratique et je n’avais pas la force de supporter ce nouveau poids. Mon corps n’a pas eu le temps de se réadapter pour courir 42km.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu commences les compétitions de lifesaving en surfski ?

Renaud Bodier : Au début, c’était l’Iron qui m’intéressait. La première compétition, c’était 15 jours après le marathon. Et à l’époque je faisais encore de tout : la nage, la planche, le kayak, l’Iron, le 90m et les flags.

Le 90m, c’est du sprint dans le sable. Les flags, ce sont des bâtons musicaux, tu es allongé sur le ventre, le menton posé sur les mains, il faut se lever le plus rapidement possible pour aller chercher un bâton. C’est là où je suis mauvais.

J’ai toute de suite fait des finales, mais toujours en bas de classement.

Les distances sont 400m en natation, 600m en planche, 800m en kayak. Toujours en partant de la plage pour revenir à la plage.

A cette époque, il y avait un Oceanman longue distance : 10km de kayak, 2,5km de nage, 6km de planche, 6km de course.

La planche, c’est le paddle board. Tu es à genoux ou allongé.

Je voulais découvrir la pratique et on me propose de faire la course, j’y prends beaucoup de plaisir, je fais un bon résultat. C’est là où je me suis motivé à repartir à la piscine.

Pour m’entraîner, je suis resté de 2009-2013 à Tours. Et là je fais comme je peux. Je m’entraîne tous les soirs après le travail sur la même base que mes entraînements de triathlon. Sans travail de spécifique. J’ai toujours fait du volume. Je m’entraînais sans savoir ce qu’il fallait faire. Donc, comme je partais de zéro j’ai rapidement progressé.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que la technique de kayak de sauvetage est la même que celle de course en ligne ? La position est différente ?

Renaud Bodier : Ça je l’ai appris plus tard que ce n’était pas la même chose, mais oui à l’époque je ramais de la même façon.

Au début, en kayak de course en ligne tu cherches à faire glisser le bateau le plus vite possible, en sauvetage le kayak fait 18kg. Donc il ne glisse pas. Ça se rapproche davantage à un coup de pagaie de descente à mon sens.

A ce moment là, je cherche à faire glisser mon bateau de surf mais ça ne marche pas vraiment. Ça fonctionne un peu tout de même puisqu’à mon second championnat de France je fais un top 10 en kayak, et un top 10 à l’Iron. Au troisième championnat de France de kayak, je fais 4 en nage et 3 à l’Iron.

Les Secrets du Kayak : A cette époque c’est une discipline non médiatisée. Est-ce que tu es considéré comme athlète de haut niveau ? Comment ça marche ?

Renaud Bodier : Il y a un collectif France et comme c’est un sport présent aux Jeux Mondiaux, les World Games, on a un statut haut niveau.

On peut participer aux World Games mais uniquement en eau plate aujourd’hui. Moi j’ai toujours pratiqué que la partie côtière de la discipline, je n’ai pas fait la partie piscine. En gros, c’est de la natation avec palmes.

Il y a six épreuves en piscine, un 200m avec deux obstacles, deux épreuves avec des palmes et un mannequin à ramener, etc.

Il y a 4 relais en piscine, 4 relais en côtier, 6 relais à l’océan. Ensuite cela donne un classement des nations aux championnats du monde et en Europe. La France vient de gagner pour la deuxième fois le titre de championne d’Europe et 3ème mondiale depuis assez longtemps derrière l’Australie et la Nouvelle Zélande !

Les Secrets du Kayak : J’ai découvert les kayaks de sauvetage par hasard lors d’un voyage en Nouvelle Zélande, je voyais des gens s’entraîner sur la plage. Ils poussaient le kayak, courraient et sautaient dedans. Je trouvais qu’ils avaient de drôles de forme.

Renaud Bodier : Là-bas ce sont de beaux clubs. En Australie et en Nouvelle Zélande, le sauvetage c’est par là où tu commences soit la piscine, soit la natation, soit le kayak de course en ligne.

C’est comme ça que tu apprends dans les pays anglo-saxons, il n’y a pas d’école de natation pure.

Si tu as des prédispositions, tu peux après avoir fait du sauvetages, aller dans les sports olympiques. C’est le Graal !

Les Secrets du Kayak : Lorsque tu rentres dans le collectif France, ton entraînement devient plus cadré ?

Renaud Bodier : Oui, je vais dans le club de Tours, je nage le matin et le soir je fais de la course à pied ou de la musculation. Mais la course à pieds c’est pour la PPG. Il me faut de l’endurance pour les transitions. Il faut courir.

Je n’ai pas d’entraîneur, mais pour me développer dès 2011, je passe toutes mes vacances sur la côte, pour mieux m’entraîner. L’objectif : comment passer en planche les runs, comment faire un départ en kayak.

Tu n’as jamais les mêmes conditions sur les compétitions, elles sont toujours un peu agitées. Les entraînements le sont un peu moins.

Je progresse, je suis au pied du podium. En 2013 je découvre que l’Australie c’est le Graal, et il y a une course qui fait 42km dont 22km de kayak, 3,5km de nage, 7km de planche, et 7km de course, et tu as des transitions de 2km à chaque fois en course.

Du coup, j’ai augmenté mon volume d’entraînement et c’est là où je fais des erreurs d'où ma première hernie. J’ai mis une semaine à m’en remettre. Puis l’année d’après j’en ai refait une, puis six mois après, puis tous les 15 jours. Du coup je me suis fait opéré en 2017.

On a enlevé ce qui dépassait. J’ai remarché 24h après l’opération, puis je suis allé au kiné pour mobiliser la zone et une semaine après, une fois que les cicatrices ont été réparées j’ai pu aller re-nager, donc au bout de 10 jours.

Pour la petite histoire en 2016 pour les championnats de France après les voyages en voiture, à cause de la hernie je ne pouvais plus marcher. Alors que j’étais en super forme pour concourir.

En 2017 rebelote, j’ai eu une sorte de perte de sensibilité. Depuis j’ai des crampes neurologiques. Conclusion, faîtes vous opérer si ça vous arrive !

Pour l’Australie, en 2013 j’avais fait deuxième à l’Iron en France, donc je m’attendais à ne pas être mauvais. A l’entraînement, je me fais battre par tout le monde, fille ou garçon.

En fait, le niveau entre la France et l’Australie n’était pas le même. Dès qu’on allait à l’océan, j’étais admiratif. Sur le coup, je ne me suis pas remis en question.

Je fais la course, je me fais rattraper par les filles. Je finis la course, je tombe dans les vapes. Je me réveille une heure après, une perfusion dans le bras. J’ai mis du temps pour comprendre pourquoi. Je pensais que ça venait du bateau.

Puis je décide de démissionner de mon travail en 2014, de partir vivre en Australie pour la compétition de sauvetage. Je n’étais pas encore sportif de haut niveau, donc je n’ai pas d’aide. Je suis hébergé par mon entraîneur, et là je m’entraîne jusqu’à quatre fois par jour.

Tu commences par nager le lundi mardi jeudi vendredi de 05h30 à 7h30. Ensuite tu enchaînes soit par de la musculation soit par de la course à pieds. Tu manges, tu fais la sieste.

Et tu recommences soit par musculation soit par de la course et tu fais une séance de planche ou de kayak. Et cela tous les jours. En Australie c’est toujours dur.

On était cinq six à s’entraîner ensemble. En Australie c’est comme ça : fais tes preuves, soit régulier et on s’occupera de toi. En France, les jeunes s’attendent à ce qu’on s’occupe d’eux très vite, alors qu’il faut pratiquer un peu.

J’ai appris à me servir de l’océan, à adapter ma technique. Quand tu es dans les vagues, il faut toujours que ton bateau soit placé. Je réduis la taille de ma pagaie et la surface des pales. Avant ça, j’agrandissais les tailles de mes pagaies pour aller chercher loin devant et réduire la fréquence.

Aujourd’hui j’ai une grande fréquence, une grande caisse, mais je n’ai pas de qualité d’appui me permettant de progresser. J’ai dès le départ confondu vitesse et précipitation. Je n’ai pas accepté de régresser pour progresser.

Maintenant avec mes jeunes, je leur explique que l’importance c’est d’aller vite en senior. Quand tu commences le kayak trop tard, c’est limite impossible que d’avoir ce toucher et cette qualité de coup de pagaie.

Les Secrets du Kayak : De l’ensemble des podcast que j’ai fait, ce qui en ressort c’est que plus tu démarres tard le kayak, plus c’est compliqué d’avoir les bonnes pratiques. Tout comme j’ai l’impression aussi, et tout le monde n’est pas d’accord, c’est qu’il faut passer par faire de la descente, faire des rivières pour comprendre tout cela, trouver l’appui. Moi, si on me dit il faut faire une séance technique à 8km/h ça me rend fou. Ça me donne envie d’essayer l’eau-vive dès qu’il fera un peu meilleur pour avoir cette sensation de touché d’eau qu’en fin de compte, je n’ai pas.

Renaud Bodier : Moi, ça fait longtemps que je cours après en faisant de la cadence basse et en mettant de la force. Ça m’agace. Quand je fais mes entraînement en kayak, je mixe eau plate et la mer.

Maintenant, je vis à Montpellier face à la mer, juste au niveau du pôle France de sauvetage, du coup j’ai un kayak et une planche. Quand il y a des vagues j’y vais et quand il y a du vent je fais du paddle, quand c’est plat et chaud, je prends mon kayak de vitesse.

Bref, je m’adapte et me force à faire de tout dès que c’est possible. Et je m’adapte à savoir si il y a quelqu’un pour s’entraîner avec moi. Je reste ouvert à toutes les disciplines et aux éléments.

Il faut faire la bonne séance dans les bonnes conditions. Je n’ai compris cela qu’en 2019. Maintenant, j’ai compris qu’une séance où tu prends du plaisir sera forcément plus bénéfique.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu fais de l’eau plate avec ton kayak de surf ? Tu n’as pas plus d'intérêts à le faire avec ton kayak de 18kg qui n’avance pas ?

Renaud Bodier : De 2019 à 2021, je suis revenu à Tours, je le faisais mais pas dans l’optique de prendre de la force mais pour m’entraîner avec des gens qui étaient en kayak de vitesse et de les tenir en Ocean Racing.

Sur le plat, je vais au max à 18km/h. C’est l’entretien de la vitesse qui est compliqué à gérer. En bateau de sauvetage c’est très dur. En sauvetage au mieux, je suis à 13km/h.

Tu peux le lancer vite mais tu ne conserves pas la vitesse. Moi je pense qu’il y a une vitesse critique. Mais si, par exemple Maxime Beaumont naviguait avec, je pense qu’il s’en sortirait mieux que moi.

Les Secrets du Kayak : Donc tu fais de gros progrès en Australie, tu y restes combien de temps ?

Renaud Bodier : J’y suis resté deux ans. J’étais hébergé à titre gratuit et dans le club j’avais un sport contract. Ils étaient à fond pour m’aider dans mon projet. Que ce soit pour la logistique, soutien mental, et financier.

En fait j’avais juste un visa, je faisais des heures pour le club qui me remboursaient mes frais de déplacements. Le club payait le reste. Moi je préparais le repas du soir, je faisais le ménage. Le meilleur deal du monde.

Je suis rentré parce que la secrétaire a oublié d’envoyer mon visa. Du coup, j’ai été illégal pendant neuf jours, et là bas ça ne pardonne pas. Ils ont même pris un avocat pour expliquer que c’était la faute du club, mais pour le gouvernement c’est à la personne titulaire du visa de se renseigner savoir s’il a bien le visa.

Ils m’ont conseillé de sortir du territoire. Je suis parti en mai, j’ai redemandé des visas jusqu’en 2018. J’y suis retourné pour les championnats du monde des nations. Entre temps, je suis rentré en équipe de France de 2017 à 2019.

Les Secrets du Kayak : Tu t’entraînes avec des gens qui font comme toi des compétitions en équipe de France de lifesaving ?

Renaud Bodier : Quand je suis rentré, c’était en mai, je n’étais pas prêt à revenir. Le but c’était de vivre en Australie. J’étais au bout de ma vie.

Je contacte le directeur du pôle, je voulais m’entraîner ne serait-ce que pour l’été. Je trouve un appartement à Montpellier et là je passe le meilleur été de ma vie, où je m’entraînes tout le temps, mais avec la méthode d’entraînement française.

J’ai gagné la forme de ma vie cette année là.

Les Secrets du Kayak : J’ai vu que tu es sponsorisé par pas mal de fournisseurs ?

Renaud Bodier : C’est là où Wetiz m’a contacté pour du matériel kayak et planche. Et depuis on travaille ensemble. On me met à disposition tout ce dont j’ai besoin. Sponsoring au top. On peut travailler avec lui sur les choses.

Je suis chez Fenn pour le kayak Lifesaving. Je ramais sur Dolphin en Australie parce que Fenn n’était pas développé à l’époque là bas. Quand je l’ai découvert, je ne l’aimais pas parce que les pieds se touchent alors que chez Dolphin ils sont écartés.

Maintenant que j’ai ramé longtemps en Fenn, je ne peux plus revenir en arrière. En fait, plus tu rames sur un bateau et plus tu l’aimes.

Les Secrets du Kayak : Je voulais parler des gabarits des sauveteurs, j’ai l’impression que tout le monde est énorme. Est-ce que je me fais de fausses idées ?

Renaud Bodier : Je pense que les gens de ma génération sommes sur des physiques assez musculeux en force. La génération qui arrive me semble tous très longilignes.

Je pense que plus tu as de masse musculaire, plus tu charges, et plus tu es lourd. Et je pense que maintenant tu peux avoir de la force sans être monstrueux.

Les Secrets du Kayak : Est-ce obligatoire les tee-shirt trop petits ?

Renaud Bodier : Il est arrivé à cause d’un drame. Par deux fois, des jeunes sont morts, de trauma crânien, ils ont tapé en kayak. Ils ont mis plus de 24h à les retrouver.

À l’époque, ils étaient torse-nu. Du coup, c’est devenu une obligation. Pourquoi trop petit ? Pour pouvoir nager avec.

C’est un drôle de look pour des problèmes de sécurité.

Les Secrets du Kayak : Je voulais parler endurance de force, est-ce que tu es fort en musculation ?

Renaud Bodier : Comparé à un kayakiste, non je suis très mauvais. Avant, je faisais 110 kg au développé couché. En 2019, j’ai rencontré une coach qui m’a expliqué comment retranscrire ma force dans l’eau, donc je fais très peu de force maximale.

Je fais du multimodal et je travaille mes jambes. J’essaye d’avoir une chaîne abdos-lombaire solide. Mes jambes, je les dois à mon passé de triathlète. Je ne suis pas fort en presse à cuisse à cause de mes hernies.

Je travaille beaucoup avec des haltères, des kettlebells, des élastiques. Je souhaite travailler l’explosivité pure en kayak, et je recherche la solidité du tronc pour la transmission. J’essaie de ne plus être dans du volume, et être plus intelligent à ce que je fais.

D’autant plus que je coach en Lifesaving (piscine et côtier) et je cherche à avoir des retours techniques de mes jeunes pour les appliquer à ma pratique.

Je passe un BP natation et un BF3 natation, et je voulais faire l’EPF kayak mais mes journées sont trop courtes.

Les Secrets du Kayak : Comment tu arrives dans le milieu de la compétition de course en ligne ?

Renaud Bodier : C’est quand je suis revenu de 2016 à 2019 à Montpellier, j’étais au RSA. Je suis reparti travailler à Tours, je voulais arrêter le sauvetage et me consacrer au kayak.

J’ai repris le bateau de course en ligne sur un Plastex. Il y a une bonne dynamique à Tours, et j’ai repris goût à faire les opens. Je voulais faire du 5000m.

J’ai refait les France. Je ne m’en sors pas trop mal en 2020 et en 2021, j’aime tellement l’Iron que je suis reparti en équipe de France de sauvetage. Compliqué de combiner les deux saisons.

Je suis limité techniquement. Je mettais des tours de fou, mais je n’ai pas du tout la même façon de faire, j’ai besoin de mettre de la fréquence, je ne suis jamais en appui. Je confond vitesse et précipitation. Les deux pratiques sont clairement différentes.

En kayak, il faut être fort, ils sont très forts.

Quand tu gagnes dans un sport, c’est difficile de repasser dans un sport où tu joues avec des jeunes de 23 ans qui espèrent gagner. Après un bon break, je suis revenu en sauvetage avec une autre mentalité, et j’ai gagné la nage et je m’en sors pas trop mal à l’Iron sans m’entraîner. Je sais faire.

L’Océan Racing n’a rien à voir avec le sauvetage. Tout va tout droit, ce n’est que de la relance ! Il faut une lecture de l’océan. Il y a des réflexes que je n’aurais plus, j’ai commencé trop tard.

Je sais analyser la mer mais ce n’est pas inconscient. Je dois tout décomposer, rien n’est naturel. Je mets plus de temps. Moi je réfléchis trop, ça me freine, ça parasite la performance.

Les Secrets du Kayak : Tout ce que tu dis me parle, j’ai moi même besoin d’intégrer les choses, de les visualiser, de me voir le faire pour pouvoir le faire. J’aime me mettre derrière quelqu’un afin de reproduire le geste. Même pour faire de l’ergomètre, je le fais devant des courses de kayak. J’ai besoin de voir pour reproduire.

Renaud Bodier : Mais à force d’observer les meilleurs, c’est comme regarder quelqu’un qui soulève 140kg au développer couché alors que tu soulèves 40kg. A trop les regarder, c’est comme si tu shuntes des étapes de progression.

Je sais que je ne ramerais jamais comme un australien, je rame comme Moi. Il ne faut pas chercher à ramer comme ces champions, ils sont passés par des étapes que tu n’as pas fait. Les choses en deviennent naturelles pour eux.

Ils sont inspirants mais ça ne fait pas tout. C’est grâce aux personnes que j’ai rencontré que j’en suis là.

Les bases sont importantes. Il faut pratiquer, faire du volume. Il faut se laisser du temps pour performer. Il y a beaucoup de choses à développer.

J’ai envoyé ton podcast avec Franck Le Moel à mes jeunes, ils ne l’ont pas écouté parce que c’est trop long alors que c’est un exemple...

Les Secrets du Kayak : Pour moi, le secret de la réussite et de la performance, c’est l’envie ! Pour moi, il faut être content. Je me fais plaisir juste avec l’envie de faire le geste de pagayer. Si tu as rapidement envie, ça va venir naturellement, tu vas devenir régulier, et ça va payer à un moment. Selon moi, les jeunes veulent trop prédire la performance. Tu ne peux pas prédire que tu seras au JO ou que tu seras champion. Tu peux prédire ce que tu vas mettre en place pour y aller et tu verras bien où ça mène.

Renaud Bodier : Et il ne faut pas prendre l’échec comme une fin, l’échec fait partie de la performance. A la méthode Australienne : fais tous tes entraînements, tais-toi et ça viendra.

En Australie, le sauvetage c’est le cinquième sport national. C’est vraiment développé. En Australie le BNSSA est obligatoire. Et pour faire les championnats d’Australie il faut avoir fait 20h de surveillance des plages. Pareil en Nouvelle-Zélande.

Il y a beaucoup d’intergénérationnel en Australie, pour eux aider la communauté c’est très important. Tu croises des profils de vie complètement différents. C’est comme ça que tu progresses.

Avant d'en faire des athlètes, je veux en faire de bons citoyens. Pour moi c’est une école de la vie. Apprendre à devenir des bons humains.

J’invite tout le monde à apprendre le sauvetage. Je pense qu’on peut réussir à créer des transferts avec plusieurs disciplines. Ça permet de voir d’autres choses et de revenir dans sa discipline pour performer.

Vous pouvez retrouver Renaud Bodier sur son compte Instagram.

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