Interview : Philippe Renaud
Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Philippe Renaud en janvier 2022.
Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?
Philippe Renaud : Ça va bien, je termine une journée de travail. Je travaille pour le sport de haut niveau dans la région des Pays de la Loire à la maison régionale de la performance au CREPS des Pays de la Loire. Je suis les sportifs de la région dans leurs double carrières, sportive et socioprofessionnelle et de formation.
Je suis spécialisé sur le suivi socio-pro autrement dit, l'aménagement des horaires de cours pour qu'ils puissent s’entraîner le mieux possible et le plus possible, du collège jusqu'au post-bac avec les universités.
Ça veut dire que je suis en relation avec le rectorat, les universités, les responsables de filières, pour aménager les parcours des uns et des autres. J'accompagne aussi les sportifs qui sont dans la vie active qui ont un emploi, pour leur permettre d'avoir des mises à disposition pour s'entraîner. Je cherche les financements pour qu'ils puissent partir en compétition ou à l'entraînement.
Grosso modo, je suis un peu le filtre des sportifs à potentiel de la région. Je suis les sportifs, je les rencontre, j’analyse leurs besoins, que ce soit dans le suivi socio-professionnel ou beaucoup plus large par rapport à l'entraînement.
Les Secrets du Kayak : Ça ne se cantonne pas qu'au canoë-kayak en fait ? C'est des athlètes de toutes les disciplines?
Philippe Renaud : Il y a toutes les disciplines, ça va du parachutisme en passant par la gymnastique, la natation, il y a du canoë-kayak aussi, c'est très large.
Les Secrets du Kayak : Comment on fait pour trouver des financements ? Sujet un peu sensible, notamment dans le canoë-kayak ! Est-ce que tu as des conseils à donner sur le sujet ?
Philippe Renaud : Ce sont des financements institutionnels pour la plupart avec le Conseil Régional des pays de la Loire, mais aussi avec les fédérations et l'Agence Nationale du Sport. J'ai un quatrième financement qui est possible grâce au mécénat de compétences. Ce mécénat intervient avec les entreprises qui participent.
Les Secrets du Kayak : Qu'est-ce que c'est le mécénat de compétences ?
Philippe Renaud : En fait, l'entreprise déclare mettre à disposition un athlète pour X heures, pour une valeur de temps, et l'entreprise bénéficie d’une réduction fiscale si elle peut le faire au regard de son chiffre d'affaires et des impôts qu'elle paie. Elle peut avoir une réduction fiscale de 60%, et puis nous, on finance la différence quand on a des mises à disposition de sportifs.
Les Secrets du Kayak : Alors comme tu sais, mon podcast est axé sur le canoë-kayak, et toi j'ai cru comprendre que c’est une histoire de famille ? J'ai pu voir que ton père avait été médaillé olympique en 1958, puis ton frère en 1984, puis toi en 1988. Est-ce que c'était naturel de faire du Canoë en suivant l'exemple de ton père ou pas du tout ?
Philippe Renaud : Alors il y avait effectivement mon père qui a fait les jeux de 1952 en kayak et qui a fait les jeux de 1956 en canoë, où il fait troisième et quatrième. Ma mère qui a fait les championnats en 1954, et puis mon frère qui a fait les jeux de 1984. Moi j'ai fait les JO de 1984 où j'ai fait quatrième.
Et puis il y a eu un prédécesseur plus loin qui a fait les jeux de 1924 en cyclisme, qui était mon grand oncle, qui a fait quatrième à Paris en 1924 en poursuite en cyclisme. Voilà donc là on est bientôt à 100 ans d'Olympisme dans la famille, c'est un beau chiffre. Donc de Paris en 1924, à Paris en 2024 en fait.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu es obligé de faire du canoë-kayak avec ce parti ?
Philippe Renaud : Sincèrement, je ne me suis pas senti obligé. Je n'ai pas souvenir d'avoir été contraint par l'histoire ou par mes parents. Ceci dit ils ont tout fait pour qu'on fasse ce qu'on avait envie de faire.
On a toujours habité sur le bord de l'eau donc moi j'ai navigué, j'ai des photos où je suis dans un gros canoë type Leclerc attaché à une corde qui doit faire une dizaine de mètres. Je passe mes après-midi à jouer avec le canoë à mes débuts. On allait avec mon frère naviguer quand on en avait envie. On prenait un des bateaux qu'on avait à la maison et puis on allait se faire un tour, on allait à la pêche, on allait bivouaquer. Pour nous c’était ça le canoë.
On a eu la chance de faire beaucoup d'activités. On a même fait du slalom, nous n'étions pas très bons. J'ai fait de la descente, j’ai été champion de France en descente en canoë junior, en kayak aussi en cadet, et puis après il a fallu forcément choisir la discipline. On avait aussi fait du kayak surf, du kayak de mer également. On a fait des activités comme ça qui étaient vraiment très différentes, donc avec un vécu kayak qui était vraiment très fort et une connaissance d'un peu tous les milieux.
Les Secrets du Kayak : Comment se sont passés ces débuts ? Est-ce que c'est ton père qui t'apprenait à toi et ton frère la technique de comment faire, ou c'était vraiment au hasard ?
Philippe Renaud : C'est un point que je voulais aborder parce qu'effectivement aujourd'hui l'entraînement est très encadré, très codifié. Avec de la technique, des choses qui sont connues, même si en France ce n'est pas toujours très écrit. Mais à l'époque sincèrement on y allait, on naviguait sans consigne, sans savoir faire. Chacun essayait de découvrir comment ça fonctionnait.
Mes parents étaient commerçants et du coup ils nous emmenaient le week-end sur des compétitions ou des déplacements d'eau vive ou autre ou de descente de rivière, sans compétence. Le restant du temps, on allait naviguer tout simplement.
Les Secrets du Kayak : Donc tu apprenais à faire de la descente, du slalom, de la course en ligne, tout seul, au début en tout cas ?
Philippe Renaud : Plus ou moins. On participait avec des groupes, j'ai eu la chance de naviguer avec des personnes qui sont devenues des champions olympiques en 1952 en canoë biplace. Dont une personne qui travaillait à la ville de Thonon-les-Bains. Il avait été champion du monde aussi en descente de rivière.
Avec mon frère en vacances, on avait fait un stage là-bas Ce n'était pas qu’un stage, on était aussi avec ses deux fils, du côté de Briançon. On s'est fait toutes les rivières possibles du coin, dans tous les sens. On a fait la même chose avec d’autres. Des personnes que mon père connaissait. En descente, on a fait l'Isère par 50m³, moi j'étais minime tout seul dans mon petit bateau, c'était une semaine qui nous a vraiment apporté beaucoup.
Les Secrets du Kayak : Ça fait plaisir à entendre, c'était l'aventure !
Philippe Renaud : Pour nous jusqu'au moment où on a vraiment commencé la compétition, le canoë-kayak c'était un outil d'aventure et de découverte. On avait la chance à l'époque, j'étais au club de Cosne sur Loire avant d'être à l’ACBB à Paris. Au club de Cosne, tous les ans, le club faisait une randonnée l'été, on remontait soit sur l'Allier, soit sur la Loire, à environ 200km de Cosne, et puis on descendait pendant 4 ou 5 jours en bivouaquant et en pêchant, en vivant sur les îles de Loire, et ça c'était génial.
Les Secrets du Kayak : Pourquoi tu choisis le canoë et à quel moment ?
Philippe Renaud : Je ne sais pas, j'ai toujours été attiré par le canoë. En étant minime j'avais envie de faire du canoë, sauf qu'il n'y avait personne pour courir contre moi, j’étais tout seul... donc je continue à faire du kayak, en cadet c'était pareil. J’allais sur les compétitions on emmenait mon canoë et mon kayak. La plupart du temps il n'y avait personne pour courir en canoë. Puis en cadet, deuxième année il y a eu de la concurrence, et là, j'ai commencé à courir en canoë.
Les Secrets du Kayak : Et tu as fait le choix de la course en ligne parce que c'était olympique ?
Philippe Renaud : Pas du tout, parce que c'était plaisant ! Ce sont des bateaux qui vont vites tout simplement. Jusqu’en junior j'ai continué de faire de l'eau-vive, pas beaucoup mais une bonne dose quand même.
Les Secrets du Kayak : Tu as combien d'années d'écart avec ton frère en fait ? Tu t'es souvent retrouvé confronté à lui en compétition ?
Philippe Renaud : On a 18 mois d'écart. On a navigué et couru ensemble, mais aussi l'un contre l'autre. Et puis on s'est suivi jusqu'après les JO de Los Angeles, jusqu'en 1986 où Eric a arrêté.
Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y avait une saine rivalité entre vous ? Vous avez tous les deux performés au plus haut niveau, comment ça se passait quand il y en a un qui était devant l'autre, ça se gérait ?
Philippe Renaud : On était ensemble en confrontation jusqu'à fin de junior. On courait l'un contre l'autre une année sur deux, et puis en équipage une année sur deux ensemble. Donc ça se passait bien.
Par la suite quand on a été en senior, on s'est retrouvé et on a continué de s'entraîner et de courir l'un contre l'autre sur des sélections... Mais comme à l'époque, on était un tout petit noyau de canoës à prétendre courir en équipe de France. Du coup mon frère était plutôt spécialisé en biplace avec Didier Hoyer, et moi je faisais le monoplace.
Les Secrets du Kayak : Qu'est-ce qui fait que tu es passé au biplace, alors que tu étais plus monoplace à la base ?
Philippe Renaud : L’avantage d'avoir plusieurs supports c'est que ce sont des courses différentes, les gestions de courses sont différentes, forcément. En biplace on n'est plus tout seul, il faut composer avec les autres dans le bateau, en bien ou en mal. Un équipage, ce sont de belles histoires et des mauvaises. C'est comme les couples, il y a des bon moments et des moins bons. De plus, j'avais déjà fait pas mal d’années en monoplace et j'avais un peu l'impression de m'ennuyer et de stagner en monoplace.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait les entraînements quand tu es passé en course en ligne ? J’ai l'impression que ta génération s'est beaucoup entraînée avec un fort volume d'entraînement. Est-ce que c'est comme ça que toi tu l'as vécu ?
Philippe Renaud : En fait, c'est vrai qu'on a navigué et fait un gros volume. On a fait beaucoup de bornes. Moi je suis parti en sport étude à Besançon, je n'avais pas 14 ans. J'ai commencé on s'entraînait quasiment tous les jours avec un volume d'entraînement qui nous changeait beaucoup. Alors que moi je m'entraînais deux-trois fois par semaine grand maximum avant ça. Quand je suis arrivé en junior il y avait une grosse concurrence. Le deuxième junior français était là. C’était aussi un fou d'entraînement. Donc l'un et l'autre, on s'est sacrément frité.
On se faisait des grosses séances et des gros volumes en course à pieds, en ski de fond, en bateau aussi parce qu'en bateau on en était capable. On faisait des 80 bornes le week-end, un samedi dimanche, 20 bornes par demi-journée. Quand il y en a un qui rentrait le week-end chez lui, l'autre en profitait pour faire un maximum de kilomètres pour creuser l’écart.
Les Secrets du Kayak : Donc avec ce fort volume d'entraînement tu es arrivé en équipe de France de course en ligne ?
Philippe Renaud : Je suis entré en étant cadet première année en équipe de France junior. J'ai fait les championnats du monde junior et puis rapidement je me suis retrouvé dans les tous meilleurs Français puisque j'étais dans les deux premiers Français sur 500m.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu fais des études à côté ?
Philippe Renaud : J'ai passé mon bac. A l’époque, on ne parle pas de Pôle France, il y avait trois sports-études en France. Un qui était plutôt spécialisé course en ligne, un qui était spécialisé à course en ligne avec un niveau un petit peu moindre. Un autre spécialisé en eau-vive. La grosse structure c'était à l'INSEP à Paris où il y avait les meilleurs Français. Donc moi je suis parti passer mon bac à l'INSEP et puis j'y suis resté 11 ans.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait l'encadrement là-bas ? Au début tu disais que c'était plus un jeu, tu apprenais tout seul. A l'INSEP j'imagine que ce n'est plus du tout ça ?
Philippe Renaud : C'était une autre étape, on côtoyait plein d'autres sports, d'autres sportifs, d'autres manières de s'entraîner. On avait un entraîneur dédié qu’on ne voyait pas tous les jours. On s'est beaucoup entraînés tout seul aussi, et puis c'est vrai qu'on commençait à parler de technique. On a commencé vraiment à parler de manière de faire, de tactique de course Et puis on est allé beaucoup à l'étranger, notamment dans les pays de l’Est qui étaient les leaders en canoë.
Pour autant, on n'avait pas d'école de pagaie, on n'avait que des théories qui n’étaient pas forcément les bonnes. Par exemple, en kayak on pouvait entendre des choses comme : il faut pousser très fort, alors qu’aujourd’hui et depuis un moment, on sait que pousser très fort est une aberration.
Moi je me suis retrouvé avec Gérald Delacroix, qui nous a accompagné jusqu'à 1984, sur le groupe de canoë. Puis rapidement c'est Alain Lebas qui nous a accompagné. Alain était un kayakiste qui a pris le groupe de canoë en étant complètement novice sur la technique. On a co-construit la manière dont on allait s'entraîner, comment on allait pagayer, et on a réfléchi ensemble. On s'est vraiment construit cette manière de faire et cette efficacité. On a monté un groupe à partir de fin 1986, jusque 1993. Moi j'ai quitté l'équipe. C’est grâce à Alain que le canoë est vraiment ressorti avec cette grosse équipe. Il y avait moi, Didier, et bien d’autres, sans oublier Olivier Boivin…
Les Secrets du Kayak : Comment tu m'expliquerais la technique en canoë alors ?
Philippe Renaud : La technique en canoë c'est avoir un bon rendement, c'est la position de la pagaie dans l'eau, c'est la position du corps, l'utilisation de tous les muscles les plus importants, et surtout un bon transfert des forces. Donc après il y a plein de points de vigilance technique à surveiller. En canoë il y a un élément qui diffère du kayak, c'est qu'on n'a pas de gouvernail. Donc il faut tracter le bateau, le faire avancer, mais il faut le diriger en même temps. Donc ça c'est un élément qui est assez complexe.
Les Secrets du Kayak : J'ai pu lire sur le net que tu fabriquais tes pagaies de course, est-ce que c'est vrai ?
Philippe Renaud : C’est vrai, en fait j'ai toujours bricolé quand j'étais gamin, j'ai construit un paquet de bateaux. En France, on n'avait qu'un constructeur de pagaie et je n'aimais pas. Lors d’une compétition, mes premiers championnats du monde junior, j'avais acheté une pagaie en bois à un russe, elle était géniale. J’avais vraiment une super accroche, mais c'était impossible de trouver ce type de pagaie en France. Alors je me suis quand même fait faire deux pagaies de ce type là par Joe Suranyi, le père de Patrick, Joe était un ébéniste à la base.
Ensuite je voulais une pagaie en carbone, j’avais tenté de la faire moi même pour les JO de Los Angeles. Par la suite je me suis fait un moule pour me les construire. J’en ai fait pour moi et pour d’autres, pour me financer ma carrière. Je les ai faites parce que j’avais rencontré Gilles Romigou, directeur technique de Sycomma Composite. Il m’a guidé pour ma première pagaie, puis il est devenu mon sponsor et ensemble on a co-construit les premiers canoës en carbone.
Les Secrets du Kayak : Comment tu faisais pour choisir le moule que tu voulais en canoë de course en ligne ?
Philippe Renaud : On a utilisé la copie d’un bateau bois Struer. C’était la forme qui me convenait. On a fait deux bateaux. Ils étaient très nerveux, agréables, mais compliqués à naviguer, ils ne pardonnaient aucune erreur. Les bateaux bois qu’on avait étaient plus souples. On s’éclatait mais mon équipier ne l’aimait pas.
Les Secrets du Kayak : Tu as fait deux fois les Jeux, est-ce qu’à partir du moment où tu étais dans cette démarche de sport-études à l’INSEP, c'était un objectif de faire les JO pour toi ?
Philippe Renaud : Oui bien sur. En étant à l’INSEP j’ai passé le concours de professeur à l'éducation physique, je suis devenu enseignant et je me suis rendu vite compte que ce n'était pas pour moi. Pour moi faire du sport c’est un plaisir, mais se battre avec les élèves pour qu’ils fassent du sport, ça ne me convenait pas. Donc je suis parti sur un BE pour le professorat pour devenir entraîneur. Et en parallèle, j’ai préparé les JO.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que c'est un objectif de faire une médaille aux Jeux Olympiques ? Est-ce que c'était possible ? C'était quelque chose d'envisageable cette médaille ?
Philippe Renaud : C’était très compliqué. Il y avait moins de pays puisque l’URSS n’avait pas encore éclaté. Les pays satellites qu’on connaît aujourd’hui étaient rassemblés sur un K4 dans l'équipe nationale de l'URSS. On était à une époque où le dopage était bien présent. On se battait contre des machines. Donc faire une médaille contre eux c’était hypothétique. Mais la manière dont on s’est entraîné, la stabilité qu’on avait sur nos performances, nous a permis de faire la médaille.
Les Secrets du Kayak : Pour les JO de 1984, qu'est-ce qui fait que tu passes en biplace ?
Philippe Renaud : Je suis très près de la médaille de bronze pour les Jeux de 1984, donc grosse déception. L’année d’après je passe mon concours de professorat de sport adjoint EPS, je m’entraîne un peu moins, je fais les championnats du monde en monoplace. Je ne fais que des demie-finales. Il me fallait changer des choses.
Dans ces changements, je suis passé en biplace. Ça m’a remotivé, je commençais à m’ennuyer tout seul au bout de six ans. La fédération m’a proposé Joël Bettin, tout jeune équiper qui avait une approche technique proche de la mienne. En cinq mois de pratique ensemble, aux championnats du monde on fait cinquième alors qu’on avait foiré notre départ. On avait chacun un niveau intéressant au départ chacun de notre côté.
Les Secrets du Kayak : Comment tu quantifiais l'entraînement à ton époque ?
Philippe Renaud : On n’avait pas de GPS, on avait des montres, on quantifiait ça en temps. On contrôlait assez peu nos FC. Je comptais mes coups de pagaie pour contrôler ma cadence. Je savais à combien je devais tourner en fonction des objectifs de la séance.
Les Secrets du Kayak : En canoë, on est à quelle cadence sur un 500 mètres ?
Philippe Renaud : Sur un 500 on tournait entre 85-87 à 70-72 sur les différents moments de course. Sur l'EB1 je devais tourner à 42-43, donc hyper bas mais avec un gros appui pour le transfert. Tu privilégies l’appui d’autant plus qu’il est plus dur qu’en kayak.
Les Secrets du Kayak : Avec Joël pour les JO, vos résultats sont une consécration ? Ou peut-être que tu imaginais finir deuxième ou premier ? Et non pas troisième ?
Philippe Renaud : Tout le monde a envie de gagner. On connaissait la vitesse à laquelle on pouvait aller, et celle des autres. A chacune de nos courses, on le faisait par rapport à nous même et non pas par rapport aux autres. On savait estimer notre temps et le nombre de nos coups de pagaie. C’était les autres qu’on ne maîtrisait pas. Chaque nation avait sa particularité si on devait les comparer à nous.
Les Secrets du Kayak : En dehors du dopage tu penses que les gars étaient beaucoup plus forts que vous en musculation par exemple ?
Philippe Renaud : Les Russes étaient un petit peu plus forts que nous mais pas beaucoup plus je pense. Ils avaient une très très bonne technique, un bon rendement. Les Allemands de l’Est étaient énormes en musculation. On n’avait pas du tout la même puissance.
Les Secrets du Kayak : Quand tu voyais ça, tu ne disais pas finalement le secret c'est qu'il faut plus de muscu ?
Philippe Renaud : J’en faisais énormément, entre 3 et 5-6 séances, et aussi beaucoup d’aérobie à côté. La musculation et l’aérobie, c’est antagoniste. On était fort mais sans carrure.
Aux JO, le bassin était lisse. On s’est retrouvé complètement à l’extérieur du bassin. On est parti bien, on s’est battu pour la place finale. On n’a fait aucun podium, mais on a fait la perf au bon moment.
Les Secrets du Kayak : Après 1988, ça te motive pour aller chercher d’autres médailles ?
Philippe Renaud : Oui complètement ! Les championnats du monde suivants, on refait des médailles. On était motivés. En 1990 on a foiré les championnats du monde. Le bateau allait de moins en moins bien, mon équipier appréhendait de plus en plus les courses, on était moins à l’aise à deux. On s’est séparé en 1991 pour partir chacun de notre côté.
Les Secrets du Kayak : Vous aviez progressé individuellement, vous faisiez des tests VO2 max à l’époque ?
Philippe Renaud : Je ne me souviens pas des chiffres, on les faisait en labo. Sur les vitesses de déplacement et les chronos, on allait plus vite.
Les Secrets du Kayak : En 1991 tu reformes un C2 avec un autre équipier ?
Philippe Renaud : Non j’ai essayé, mais je me suis surtout relancé sur le monoplace. Le C2 fonctionnait sans plus. Je suis parti en C1, je me suis préparé tout seul pour préparer les JO, j’ai été mis de côté par la fédération. Je suis allé m’entraîner en Polynésie pour borner et avec des kayakistes.
Les Secrets du Kayak : Pourquoi avoir arrêter ta carrière ? Tu bossais à côté comme prof de sport ?
Philippe Renaud : J’ai été détaché jusque fin 1992. 1992-1993 je voulais m’arrêter mais j’ai fait un mi-temps professionnel. J’ai été CTR dans le canoë-kayak dans les Pays de la Loire pendant quatre ans. Je m’occupais du développement de la course en ligne, et je m’occupais d’un centre d’entraînement. Ça me plaisait beaucoup. Je travaillais, je m’entraînais moins.
En 1993 je ne me suis pas sélectionné, j’ai décidé de partir en quatre places. On a failli faire un podium. Dans l’année suivante j’ai arrêté, trop pris par le boulot pour m’entraîner. Ensuite pendant quatre ans, j’ai été entraîneur national.
Les Secrets du Kayak : Tu as entraîné les canoës mais aussi les kayaks dame ?
Philippe Renaud : Oui. J’ai aussi entraîné le collectif junior et les moins de 23 ans. Quand j’ai postulé, c’était pour être entraîneur de canoë. Kersten a été recruté en même temps que moi. Il a remis la valeur travail-entraînement pour faire remonter le niveau du canoë-kayak. Mais il avait le principe que l’entraîneur qui avait le meilleur sportif de haut niveau, devenait l’entraîneur national.
J’ai été sur un pôle France tout neuf qui démarré, donc pas encore de sportifs à potentiel. Il m’a d’abord laissé sur les canoës, on a fait de très bons résultats. L’année suivante, je reste pourtant chez moi. J’avais les boules. Je n’avais pas la responsabilité d’une équipe. L’année d’après il m’a mis entraîneur des filles en kayak. Le kayak ne demande pas la même technique mais j’en avais fait beaucoup. En tant que CTR j’en avais entraîné pas mal. Je me suis bien éclaté avec elles.
Les Secrets du Kayak : Pourquoi cette mission d’entraîneur national prend fin ?
Philippe Renaud : Parce que 1999-2000, cela faisait 22 ans que j’étais dans le haut niveau. Pour moi, c’était devenu trop. Besoin de faire et de voir autre chose. J’étais personnel du ministère jeunesse et sport, j’ai postulé dans une direction régionale pour faire un autre métier.
Les Secrets du Kayak : Quand tu es entraîneur national, de quoi tu es chargé ?
Philippe Renaud : A l’époque je m’occupais des plannings, des réservations, faire les déplacements, gérer le matériel... Quand Kersten est arrivé, il a mis en place le cadre d’entraînement.
Le but était de suivre le plan cadre pour avoir un certain volume, tout en nous laissant une certaine liberté d’interprétation de ce plan. Je les ai pas mal adapté. En moyenne à l’année, je dirais que les kayaks devaient tourner à 4000km/an. Au delà de ça il y a aussi toute la PPG qui est importante. Ski, natation, vélo, musculation…
Les Secrets du Kayak : A ton époque c’était beaucoup course à pieds, musculation, ski de fond. Il n’y avait pas trop de vélo ? Toi, tu étais plus vélo ou course à pieds ?
Philippe Renaud : Ça dépendait des uns et des autres, c’est venu plus tard. Il ne faut pas oublier qu’en terme de volume il faut faire pratiquement deux fois le temps de vélo pour avoir le temps de course à pieds. On a davantage de temps de pause en vélo. Ce qui est intéressant c’est de pouvoir faire les deux.
Les Secrets du Kayak : A un moment, tu es parti entraîner à Tahiti ?
Philippe Renaud : Oui en 1992, lorsque je suis parti en Polynésie pour borner. J’ai écrit à des clubs pour postuler. Je suis parti avec ma femme et ma fille et en échange ils m’ont demandé d’entraîner les rameurs. Mais la pirogue je ne connaissais pas. J’y suis allé, je les ai entraîné, la pirogue c’est la tradition là-bas, il ne fallait pas se louper, sans oublier qu’ils n’aimaient pas les blancs.
Je suis entré en contact en naviguant avec eux en pirogue. Mon niveau physique était meilleur qu’eux, je jouais avec eux. Progressivement ils m’ont respecté et fait confiance. Certains lagons sont assez plats. Là où j’étais ça bougeait un peu. Ça m’a permis de faire un gros volume d’entraînement. Je naviguais deux fois par jour, je courais tous les jours, je faisais de la musculation tous les jours. Ça a été un gros stage de volume.
La vraie pirogue il n’y a pas de gouvernail, c’est tahitien. Avec un gouvernail, c’est Hawaïen. Les deux n’ont pas la même vitesse de déplacement et ce n’est pas la même façon de naviguer. Tu es un peu plus haut que dans un surfski. C’est un bateau très étroit mais très stable grâce au balancier.
Les Secrets du Kayak : Fort de cette expérience, tu t’es mis à construire des pirogues ?
Philippe Renaud : Oui mais pas de suite. Ma première fois là bas, c’était en 1992. J’y suis retourné en 2005 où j’avais l’idée du projet. Les tahitiens sont attachés à leurs bateaux, il ne voulaient pas m’en vendre. En 2008, j’ai créé ma société et cinq mois après c’est la crise des USA. Je partais sur la pirogue de loisir.
Quelqu’un qui ne sait pas naviguer se débrouille facilement dans une pirogue. Je voulais développer le tourisme grâce à ça. Au bout de six mois, ça tournait bien. La crise a tout ralenti et fait éteindre le développement. Il a fallu réajuster l’activité. J’ai du passer par un sous-traitant, au final j’ai du arrêter l’entreprise.
Ça fonctionne pas mal en métropole, il existe des courses de vitesse, de mer. Il y a du monde et un gros volume de tahitiens et de polynésiens en métropole, ce qui leur permet de pratiquer leur sport en métropole.
Les Secrets du Kayak : Tu n’as jamais eu envie d’y revenir à cette entreprise ?
Philippe Renaud : Ça a été une étape, je me suis fait plaisir. Ça a laissé des traces d’un point de vue financier. Je suis parti sur d’autres projets, sans regret.
J’avais mis entre parenthèse ma carrière pour cette entreprise, donc j’y suis revenu juste après. Je suis revenu dans les Pays de la Loire pour développer le sport santé. Le but c’était de remettre les gens à l’activité sportive pour éviter, ralentir le surpoids, lutter contre les maladies chroniques. Les études médicales démontrent les bienfaits du sport sur la santé. A certains endroits, aujourd’hui le sport est prescrit par certains médecins.
Les Secrets du Kayak : Pourquoi avoir arrêté cette mission pour te consacrer au haut niveau ?
Philippe Renaud : Je travaillais à la Direction Régionale de la Jeunesse et Sport. La collègue de l’époque partait, j’ai postulé sur le poste. Je m’y suis fait plaisir. Je connaissais le haut niveau par le canoë-kayak, mais pas par les autres sports. Je me suis retrouvé à gérer tous les autres sports qui se faisaient sur la région, sur des pôles espoirs, pôles France. Je m’occupais aussi des agréments de centres de formations professionnels. C’était des cultures différentes qu’il m’a fallu apprendre.
J’étais un contrôleur du respect des sportifs dans ces structures. J’étais sur l’organisation générale. J’ai fait des rencontres intéressantes. Le fonctionnement est assez transversal entre tous les sports malgré les spécificités de chaque sport.
Les Secrets du Kayak : Tes enfants n’ont pas fait de canoë ?
Philippe Renaud : Certes c’est une histoire de famille, mais il ne faut pas que ça devienne une tare. J’ai eu la chance que mes parents ne me poussent pas au sport de haut niveau, je leur en suis reconnaissant. Mais dans ma carrière j’ai vu beaucoup de parents, anciens sportifs, qui n’ont pas percé pour lesquels leurs enfants étaient leur faire-valoir de ce qu’ils n’avaient pas fait, et qui les poussaient. Je ne le voulait pas de ça pour mes enfants. Ils ont suivi leurs envies. Ils ont fait de la compétition comme ils l’ont souhaité dans le sport qui leur convenait.
Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des questions qu’on n'a pas abordé que tu voulais évoquer ?
Philippe Renaud : Oui. Le prolongement d’une discussion que l’on a eu l’autre jour. Tu expliquais t’être mis tout récemment au canoë-kayak et que tu ne trouvais pas trop d’informations, d’où la création du podcast. Il n’y a pas grand-chose sur le kayak, mais encore moins pour le canoë. Aujourd’hui on n’a pratiquement plus de canoës. Je me suis rendu compte de cela sur un championnat de France il y a quelques années lors d’une discussion avec un ancien collègue.
En fait je pense que ça vient en partie de la politique de Kersten évoqué précédemment, mais parce qu’en Allemagne les jeunes quand ils arrivaient en haut niveau, ils savaient pagayer que ce soit en canoë ou en kayak. Nous on n’avait pas cette culture. Des entraîneurs de kayak ont entraîné des équipes de canoës et vice-versa, sans être suffisamment formés. Du coup je pense qu’on a loupé des choses et certains sportifs n’ont pas fait de médailles olympiques, mais à mon sens, n’y étaient vraiment pas très loin. Je pense que ça fait partie des explications possibles. Le kayak et le canoë ne se pratiquent pas de la même façon.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu aurais une idée de comment remédier à ce problème ?
Philippe Renaud : Il faudrait reformer les entraîneurs de club. J’ai participé fin octobre à une formation sur les Pays de la Loire, organisée par la Fédération Française des entraîneurs de l’Ouest sur les canoës, je suis intervenu sur la technique canoë avec Benoît Bernard. Ils sont repartis remotivés, et je pense qu’il faut développer cette idée. Mais ça demande des finances, un bénévole qui sait de quoi il parle. Il existe des outils pédagogiques comme le paddle qui peuvent aussi aider.