Interview : Thierry Mouraud
Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Thierry Mouraud en février 2022.
Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?
Thierry Mouraud : Ça va très bien. Une belle journée qui commence.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu t’entraînes en wave-ski surfing par ces températures ?
Thierry Mouraud : Si les conditions sont bonnes, tu peux aller à l’eau. Mais j’ai levé le pied quand il fait vraiment froid. J’ai déjà attrapé une paralysie faciale à cause du froid. Maintenant quand il y a de la glace sur la plage, je fais attention. C’est en fait un virus. Ça peut arriver aussi à moto.
Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert le kayak ?
Thierry Mouraud : Ça a commencé à l’âge de 16 ans avec de l’aviron. Et à côté de ce club il y avait un club de kayak, j’ai essayé avec ma sœur. Et moi ça m’a plu j’ai continué. C’était à Bordeaux-lac. Il y avait peu de personnes, c’était orienté loisir, découverte, sortie sur le lac et en rivière. On allait sur les rivières aux alentours, et au fur et à mesure on s’éloignait. J’ai commencé sur du plat puis je suis allé à la recherche de l’eau-vive.
Les Secrets du Kayak : C’est l’eau-vive qui te plaisait ?
Thierry Mouraud : Oui parce que le moniteur nous orientait vers ça. On a touché à tout, mais avec ça on partait tous les week-ends. C’était génial. Après la première année, j’ai pratiqué sur le lac pour performer et arriver sur une rivière en forme. Moi c’était les années 80, le matériel se développait bien. C’est l’armée qui m’a freiné. J’ai du m’arrêter de naviguer pendant un an.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu t’es illustré pendant tes jeunes années en tant que compétiteur ?
Thierry Mouraud : Non, je n’ai pas fait de compétitions. Je voulais être à l’aise en rivière. J’avais fait de la compétition du temps où je faisais de la natation. C’était des entraînements costaud, je ne voulais plus de ça. Je voulais m’amuser. Je ne voulais plus de compétitions, j’en avait fait de trop.
Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu fais comme études à côté ?
Thierry Mouraud : J’ai fait un apprentissage électricien. Je n’ai pas eu de parcours de sport-études. En fait, je vivais au club. On avait les clés, on y allait après les cours. Le club s’est développé avec l’arrivé du CTR Pascal Bonnetain. Ils ont introduit toutes les nouvelles activités kayak émergentes. On se retrouvait au carrefour de toutes ces évolutions.
J’ai essayé toutes les pratiques de kayak, on construisait nos bateaux, je me formais pour passer le BE. Les cadres poussaient au développement avec un objectif fédéral et ministériel. On organisait des compétitions. On a lancé la première traversée de Bordeaux. On a essayé de mettre en place des slaloms autour de Bordeaux. Ça se structure dès l’arrivée du CTR.
Les Secrets du Kayak : Tu as fini par passer ton BE ?
Thierry Mouraud : J’ai eu le décès de mon père à l’âge de 22 ans ce qui m’a fait perdre pied. Je me suis réfugié dans la pratique du kayak. Et l’année d’après c’était ma mère que je perdais. Ma famille, c’était donc le kayak. Je me suis reconstruit avec le kayak. J’ai laissé tomber le BE. Ensuite je suis rentré dans la mairie de Bordeaux, un métier alimentaire.
J’ai commencé à m’entraîner sérieusement à cette période-là grâce à cet emploi et le CTR. Ça coïncidait avec l’arrivée de Christophe Rouffet. Les entraînements étaient à fond, à se tirer la bourre entre nous. Je faisais du slalom, puis de la ligne dans les CAPS puis les orions. Les pagaies étaient en bois, très lourdes. Moi j’aimais être polyvalent. Je ne cherchais pas plus que cela la performance. On a commencé la musculation, la sophrologie, les étirements avec Pascal.
Les Secrets du Kayak : Comment tu en arrives au wave-ski ?
Thierry Mouraud : Parce que le comité départemental avait acheté des wave-ski. Un wave-ski, c’est une planche de surf avec plus de volume, pour tenir assis dessus. Ça fait 2,20m sur 60cm de large. On est attaché avec des sangles réglables au niveau des pieds. Et une ceinture pour être fixée sur la planche, autour du bassin. Cette posture est très proche de la pratique de la course en ligne.
Ça vient d’Australie, de la pratique des sauveteurs côtiers. Ils avaient trouvé qu’avec une pagaie, ils pouvaient aller plus vite. Au fur et à mesure la planche a réduit et c’est devenu le wave-ski. Les pagaies sont à peine plus grandes que ta taille. On cherche surtout à avoir des accélérations, il ne faut pas de grandes pagaies, il faut envoyer de la cadence. On est parti sur des pales de descente, qui ont été affinées par la suite.
Le wave-ski est arrivé en 1990 à la fédération, c’est un sport très confidentiel. C’est Jean-Louis Leroux qui l’a ramené en France et l’a fait développer. Ça arrivait un peu vers 1985. Au départ on avait tous les mêmes, on avait tous le même moule. C’est par la suite que Jean-Louis a voulu revoir la forme. Depuis ça n’a pas trop changé sur la forme.
Les Secrets du Kayak : En quoi ça consiste cette pratique en compétition ?
Thierry Mouraud : C’est un chrono sur des séries de 20 minutes. Il faut passer les vagues au large. Il y a plusieurs séries à enquiller sur la journée. C’est assez esthétique. On doit prendre dix vagues maximum, et on te note sur les deux meilleures. C’est comme du patinage artistique. Les codes sont différents. Il a fallu tout mettre en place pour organiser les jugements, les organisations, les structures sont différentes. Les figures sont celles du surf. Mais c’est plus difficile puisque le placement sur la planche est réduit. Ce n’est pas inné. Ça s’apprend, c’est un tout.
Les Secrets du Kayak : Comment ça s’est codifié ?
Thierry Mouraud : Ça s’est mis en place en 1990 avec la mise en place d’une commission. J’étais avec des potes de Bordeaux, d’autres étaient situés en Bretagne. On a commencé par se retrouver, par faire des compétitions entre nous et on a eu les premiers championnats du monde en 1989. On a structuré une équipe, d’où la demande de Jean-Louis pour demander un budget à la Fédération.
J’ai été sélectionné dans la première équipe. Ces championnats du monde étaient gérés par la World Wave Ski Association. Une association qui regroupe tous les pratiquants du monde. C'est ouvert à tous les adhérents. C’était hémisphère sud à fond, quelques européens dont les Anglais et les Irlandais. On a rassemblé les deux régions pour se lancer avec une commission qui tienne la route à la Fédération avec des compétitions à organiser, du développement d’activité. La fédération n’y croyait pas, elle avait le couteau sous la gorge. La machine s’est lancée, on m’a payé pour m’entraîner.
J’ai croisé les grands noms de la course en ligne. On pratiquait le slalom, mais il n’était pas reconnu olympique. On était une fédération de kayak, mais pour l’olympisme c’est la course en ligne qui l’emportait. Il y avait des aides, le robinet était ouvert pour développer les activités kayak. Le wave-ski on est arrivé avec le couteau sous la gorge, on savait qu’on ne se ferait connaître que par les compétitions.
Donc on a pris une raclée phénoménale, j’avais honte d’aller à l’eau. J’ai passé mon temps à regarder les autres, à poser des questions. Je regardais des vidéos pour m’inspirer, apprendre. Ce qui m’a permis de décoller par la suite. Mais ils avaient un niveau supérieur. Ce sont les Bretons qui étaient classés dans les 20 premiers. On a pris les infos et on s’est lancé à fond, pour montrer à la fédération ce que c’était, on a organisé une coupe du monde sur la Bretagne pour montrer ce que c’était que ces activités possibles en mer. Ça a créé une autre dynamique.
Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des clubs de Wave-Ski spécifiquement ?
Thierry Mouraud : Oui, mais des clubs où tu pratiques de tout. Des clubs spécifiques, il n’y en a pas beaucoup sur la côte. Je suis président du club de Lacanau. Je cherchais les vagues. J’avais toutes mes matinées quand je travaillais à la mairie. Au début pour moi, les conditions n’étaient jamais adaptées. Mais on ne savait pas quel type de vagues il fallait. C’était des entraînements pour se faire plaisir à aller chercher les vagues. On pouvait galérer 20min avant de trouver une vague. C’est un sport comme les autres, il faut faire attention au risque de surentraînement et aux blessures.
Les Secrets du Kayak : Il y a quelques bases techniques à avoir pour en faire, comme savoir esquimauter. Est-ce qu’il y a d’autres prérequis à avoir pour pratiquer en limitant les risques ?
Thierry Mouraud : Non, c’est comme le kayak. Il faut faire attention aux épaules qui peuvent se déboîter régulièrement avec des appuis violents. On esquimaute beaucoup en wave-ski. Il faut une aisance et de l’apnée costaud. Tout cela se travaille en piscine. On fait des séances d’apnée, de natation pour être tranquille sous l’eau quand ça brasse. Je pratiquais de tout pour être polyvalent, je passais parfois huit heures à l’eau.
Les Secrets du Kayak : Comment se codifie l’entraînement, tant qu’il y a des vagues, tu continues ? Tu arrêtes quand ?
Thierry Mouraud : Quand tu es en forme, tu t’arrêtes quand tu es épuisé. Il y a aussi beaucoup d’attente entre les séries donc tu récupères. Tu peux rester très longtemps à l’eau ou tu peux passer beaucoup de temps à passer la barre pour prendre peu de vagues. On a des sièges en mousse sur la planche. C’est la position qui est peu confortable. Il faut un gainage terrible pour tenir. C’est pour cela que nos entraînements de course en ligne étaient bénéfiques car transposables sur le wave-ski. Tu travailles en isométrie. C’est technique au niveau de la posture, du physique.
Les Secrets du Kayak : Tu as eu l’occasion de faire des stages en Australie ?
Thierry Mouraud : Quand on partait faire les championnats du monde, moi j’y restais un mois. On allait surfer avec les étrangers. J’ai des anecdotes plutôt sympas. Notre premier séjour en Australie on est resté coincé aux services de l’immigration. La compétition a du être annulée, les Sud-Africain sont arrivés avec des visas non autorisés. On s'est tous retrouvé au poste. Au final, on a pris la décision de rentrer de ne pas faire la compétition en soutien aux sud-africain. Ils nous ont apporté beaucoup avec eux. Ce n’était pas une compétition au final mais un stage. On a progressé mentalement et techniquement.
Les Secrets du Kayak : Ça ne t’a pas donné envie de rester en Australie, là où le wave ski est vraiment développé ?
Thierry Mouraud : Non à Bordeaux j’avais la belle vie. J’avais un faible pour l’Afrique du Sud. Il y a des wave-ski dans tous les sens. Mais moi, j’avais la chance de surfer quand je le voulais. Ils nous enviaient aussi quand ils venaient en France. J’aime bien mon pays, on a une belle région, j’aime voyager mais je ne me voyais pas y vivre.
Les Secrets du Kayak : Il y a une tenue officielle pour faire du wave-ski ?
Thierry Mouraud : On est assis sur l’eau, on a pris les tenues de surfeurs, les combinaisons de néoprène. Suivant la température de l’eau, l’épaisseur est différente. On a commencé avec des combinaisons de plongée. Maintenant, ce sont des pyjamas. Les combinaisons sont souples et bien adaptées. Sinon tu fais ça en short quand il fait chaud.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe si quelqu’un veut se mettre au wave-ski ?
Thierry Mouraud : Il y a une liste de clubs, sans doute pas à jour, sur le site de la Fédération. Il y a des clubs référents comme Anglet. Il y a aussi des jeunes qui ont monté leurs structures, sans pour autant être passés club. Tout comme en canoë-kayak au début. C’est comme cela que se créent les clubs. Les petits clubs disparaissent, ce sont les structures privées qui prennent le dessus. Nos jeunes ont monté des structures privées rattachées à la fédération. C’est comme un cours, ce n’est plus associatif. Certains font du surf, du wave-ski, de la pirogue… ils font de tout.
Des clubs, il y en a pas mal en Bretagne, mais c’est à peu près tout. Ça reste local. Le frein au développement ça reste le matériel, l’encadrement, et les clubs aux pieds dans l’eau il faut aller gratter ça ne se trouve pas comme cela.
L’hiver de toute façon, c’est le No Man’s Land. Ça commence toujours fin mars. Sinon les écoles de pagaie c’est le mercredi et le samedi. Ça se fait directement sur l’océan ou le lac pour les débutants.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que la France est une bonne nation aujourd’hui en wave-ski ?
Thierry Mouraud : C’est la meilleure nation mondiale. On a créé une dynamique et un contenu au haut niveau. Tous nos jeunes formés performent, et ça continue. On est devenu référent dans le développement de la pratique pour les Australiens et les Sud-Africains. On n’est pas nombreux, mais on est des passionnés. On a excellé en 1995 dans l’organisation des championnats du monde, à Lacanau , c'était du jamais-vu.
Et le plus beau, c’était en 2003 en Guadeloupe. Il y a eu des moyens incroyables de débloqué. Un retour du public, c’était formidable. On est devenu des leaders. On va le rester encore un moment quand on voit nos jeunes. Seul le contexte financier peu impacter le développement.
Les Secrets du Kayak : Combien ça coûte une planche ?
Thierry Mouraud : D’occasion 500€. Sinon entre 1000 et 1800€. Maintenant, on voit des vidéos de wave-ski ça se popularise, avant jamais tu aurais trouvé du matériel d’occasion. Ce n’est pas un développement comme le surf, à outrance, et tant mieux. Moi je reste kayakiste, je ne suis pas surfeur, ce n’est pas le même état d’esprit. Les surfeurs font un peu tout et n’importe quoi, il y a des risque de collisions terribles.
Les Secrets du Kayak : On voit l’arrivée du kayak cross en sport olympique, est-ce qu’on peut imaginer un jour que le wave ski passe olympique ?
Thierry Mouraud : Nos clubs sont orientés et codifiés vers l’olympisme, c’est le Graal. Les surfeurs sont contents de passer aux JO, et ça leur rapporte.
Nous le wave-ski n’est pas reconnu olympique. Il est reconnu fédéralement, et parce que le nouveau président vient de Bretagne. Mais on ne compte pas sur ça pour faire développer la pratique. Tous les jeunes qui s’essayent au wave-ski continuent la pratique, mais comme ça ne tend pas vers l’olympisme, les clubs ne les poussent pas vers ça.
Il y a eu une époque où il y avait les moyens, mais c’était trop tôt. On est resté petite niche, mais ce n’est pas plus mal. Mais on aurait pu être reconnu et c’est dommage. Notre force, ce sont les clubs, les subventions, les aides des municipalités. On est privilégié par rapport à d’autres pays.
Le club est ouvert à tous les pratiquants de canoë-kayak qui le veulent. Ils sont les bienvenus s’ils ont le bon état d’esprit. Si tu passes nous voir, tu seras accueilli avec du matériel adapté. La priorité reste de se faire plaisir, c’est le point de départ de la performance. C’est un plaisir de partager.
Vous pouvez retrouver Thierry Mouraud sur son compte Facebook.