Interview : Patrick Lancereau

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Patrick Lancereau en novembre 2021.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Patrick Lancereau : Ça va très bien Rudy, merci.

Les Secrets du Kayak : J’entends parler de toi à chaque entraînement, c’est la raison pour laquelle je souhaitais t’avoir sur le podcast. Je voulais revenir sur ta carrière.

Patrick Lancereau : Moi, j’ai commencé le bateau à l’âge de 10 ans avec une petite MJC à Evres. Ils avaient 2 canoës 3 kayaks. J’en faisais une fois par mois. Au bout d’un an, grâce au copain de ma sœur, Jean-Pierre, je me suis inscrit au club de Tours qui est à 15km de chez moi.

J’ai progressé au fil du temps. Pour faire court, j’ai adhéré à l’approche de la discipline dans sa globalité sans vouloir faire de la compétition.

Maintenant le club de Tours est spécialisé en course en ligne, mais avant il faisait pas mal de rivière, de la course en ligne aussi. A 10-12 ans j’ai navigué avec les grands du club, c’était très formateur de faire de la rivière, tu t’endurcis.

J’ai fait des courses régionales, les championnats de France, toujours progressivement par pallier.

Tu pouvais te prendre des vols en descente de rivière dans l’eau froide et qu’il faut remonter pour refaire le passage, c’est un peu raide !

En cadet, on te tenait en haut de la rivière et on t’indique qu’on vient te récupérer en bas. Quand tu es petit, sur une rivière que tu ne connais pas, tu découvres la rivière mais c’était sympa, c’est hyper formateur.

Grâce à certains magazines, ça arrivait que j’épluchais le topo de certaines rivières. Pour descendre l’Isère je devais suivre un bateau, et le bateau s’est planté juste devant moi. Donc je me suis retrouvé devant, sans savoir ce qui allait m’arriver.

J’ai fait du canoë-kayak en réalité. En cadet, j’ai fait du canoë parce qu’il y avait moins de monde pour en faire donc c’était censé être plus facile pour performer. J’ai commencé au mois de novembre en C1.

En championnat de France, première année je courais en C1 et en K4. On fait champion de France en K4. J’ai aussi fait les championnats de France descente et slalom. En fait, j’ai tout pratiqué en cadet 1.

Puis en deuxième année, j’ai fait de la course en ligne en K2 et du C1. On a été champion de France en K2. Après, j’ai vu qu’en C1 je n’étais pas performant donc j’ai arrêté. En championnat de France de descente, je fais deuxième en revanche. J’étais assez polyvalent.

J’ai essayé le kayak de mer très tard juste avant d’arrêter le bateau. Le canoë-kayak, c’est super riche et très formateur.

En junior 1, je me suis retrouvé dans les 3 meilleurs juniors. J’avais une grosse capacité physique déjà à l’époque. J’avais un réel besoin de naviguer, j’allais à vélo au lycée, sur le temps du midi j’allais courir 10km et le soir j’allais au kayak toujours en vélo.

Donc à 17 ans, ça donne une bonne condition physique. Mais techniquement je n’avais pas d’entraîneur, donc je n’étais pas performant. Je le vois avec le recul d’aujourd’hui. Les sports études ne m’intéressaient pas.

J’étais techniquement non associable pour faire des équipages donc on ne me sélectionnait pas. Et quand tu fais partie par exemple d’un club tel que Boulogne-sur-mer qui était spécialisé course en ligne, hé bien moi petit club de Tours de l’époque, je n’avais pas assez d’appui.

Mais on m’a récupéré ! On m’a fait faire un stage à Duisburg, et il y avait Alain Lebas qui a sollicité pour trancher pour voir s’ils m’emmenaient. Je n’ai pas été sélectionné pour les championnats d’Europe, même si j’ai été sélectionné dans le haut du panier à cause de ça.

On m’appelait la rivière, parce que j’étais pluridisciplinaire. Il n’existait pas de ponts entre les pratiques. On m’a juste ouvert les portes. Il y en a eu quelques athlètes qui ont réussi à percer en venant de la rivière, comme Bâbak ou Sabine et Pierre. J’ai finis ma carrière avec Pierre.

Les Secrets du Kayak : Comme vous veniez tout les deux de la rivière, est-ce que l’association a été plus simple ?

Patrick Lancereau : Non, pas du tout. En fait d’avoir pratiqué d’autres disciplines, j’étais davantage bricoleur que les autres personnes de course en ligne pour modifier mon matériel, mon système de cale pieds…

En descente, ce sont des mentalités différentes. Quand tu es dans un club de course en ligne, c’est le club qui te fournit ton bateau et ton matériel. Quand tu fais de la descente, que tu casses ton matériel alors que le lendemain tu as une course, tu répares ton bateau. La démarche est différente.

Ça m’a suivi tout le temps. Par exemple pour avoir des pagaies creuses, comme c’était compliqué d’en obtenir, je les aie faites moi-même.

L’année des JO, j’ai navigué avec des pagaies fabriquées par un Norvégien, autrement je naviguais avec mes propres pagaies. Je les construisais plus vrillées qu’aujourd’hui. C’était une théorie pour avoir une explosion dans l’eau plus progressive. Le but n’était pas d’aller plus vite mais de faire moins mal aux bras.

Aujourd’hui quand je regarde certaines pagaies, elles vont dans le sens où j’allais. Avec les pagaies plates de l’époque, la pale était perpendiculaire à l’avancement du bateau. Et dès que tu commences à être en oblique arrière, la pagaie est au niveau de la projection, comme si on diminuait la surface.

En fait avec une pagaie légèrement vrillée, cela permettait d’avoir une progression de ce centre d’appui. Il y a une facette de la pagaie qui progressivement rentre dans l’eau ce qui fait que tu obtenais une progression grandissante et linéaire.

Les pagaies Strokers ont une souplesse du manche qui est plus grande que les manches carbones. Et avec celle-là, la souplesse du manche évitait d’exploser les bras, on n’avait donc pas d’explosion dans l’eau.

Ensuite il y a eu l’arrivée des pagaies creuses avec des manches en carbone, et de plus en plus les gens voulaient des manches rigides, mais ça explose les bras. C’est comme les cadres de vélo, entre ceux en carbone et ceux en titane, les rendus et les sensations sont différents.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que cela veut dire que comparé aux athlètes d’aujourd’hui qui ont les épaules fusillées, toi ça va ?

Patrick Lancereau : Oui, ça va je n’ai pas trop de pathologies dues au haut niveau. Peut être est-ce lié aussi à ma pratique du kayak, qui au passage m’a été reprochée.

Je n’étais pas un adepte de la musculation. J’étais un adepte de la sensation, de ce qui se passait dans l’eau. Je voulais mettre un maximum de rendement musculaire. Le toucher d’eau était super important pour moi.

Les Secrets du Kayak : C’est quoi pour toi le toucher d’eau ?

Patrick Lancereau : Le point d’appui doit être fixe et ton bateau doit aller au-delà de ce point. Ce n’est pas la pagaie qui va vers toi, c’est le bateau qui va au-delà de la pagaie.

Avec Olivier Lasak, lors d’une course, on avait explosé des chronos sur 500m en K2, j’avais l’impression de faire du saut à la perche, je passais par dessus mon point d’appui.

Il faut trouver la technique pour y parvenir. La pagaie doit rentrer comme une lame de couteau dans l’eau. Plus facile à dire qu’à faire.

La course en ligne se fait certes sur du plat, mais j’ai toujours trouvé que l’approche de pagayer en course en ligne était plus fine qu’en descente ou slalom. La recherche de la rentabilité du coup de pagaie en course en ligne demande un travail différent.

Les Secrets du Kayak : Pour revenir sur ton parcours, comment ça se passe après Junior ?

Patrick Lancereau : Pendant que les gars vont courir en Allemagne, moi je vends des fruits le long de la route. J’ai retiré du positif dans mes échecs. Je me suis certainement remis en cause. J’ai développé davantage de hargne.

De ne pas réussir en junior, je pense que ça m’a donné envie de réussir plus tard. En junior 2, j’ai continué sur la même ligne de conduite que junior 1. J’ai fait de la course en ligne, mais aussi de la descente en championnat de France en individuel.

A l’issue de cela je me suis retrouvé sélectionné en senior première année à la fois en descente, mais aussi en course en ligne. J’ai fait un stage de descente et ensuite j’ai fait un choix. Je ne pouvais pas faire les deux. Je me suis concentré en course en ligne.

A ce moment là au club de Tours, je me suis retrouvé seul, mes anciens coéquipiers ont fait leur chemin. J’ai eu la sensation de progresser techniquement, physiquement aussi. Le kayak c’était un mode de vie, les objectifs sont arrivés au fur et à mesure de ma carrière, et de ma pratique.

Quand je parle de hargne, c’est passer par la phase de déception pour revenir plus fort. Le kayak pour moi, c’était le plaisir de naviguer.

En senior, j’ai progressé en m’interrogeant sur ce que je faisais mais aussi grâce aux stages, aux compétitions internes. J’ai fait beaucoup d’équipage. J’étais en équipe B donc j’ai navigué avec beaucoup de personnes différentes, jamais avec le même équipier, ça m’a obligé à m’adapter.

Ensuite, je me suis spécialisé en tant qu’équipier arrière. L’équipier avant gère entre autres le gouvernail, le rythme, la technique. L’équipier arrière va stabiliser, alléger son équipier avant, il va être là pour le porter. J’ai donc beaucoup appris en tant qu’équipier arrière en équipe B.

En 1988, pour les compétitions internes des JO, je naviguais avec Philippe Aubertin, un jeune, mais qui avait un toucher d’eau spécial.

Il y avait à l’époque Philippe Boccara et Pascal Boucherit qui étaient au dessus du lot. Ils auraient du être champions olympiques. Ils étaient venus courir pour essayer de dissuader les autres bateaux de courir cette course pour les battre.

On était côte à côte avec le bateau des américains et avec eux. Philippe jette le bateau un mètre trop tôt, et on est troisième. Deux mois après c’est les JO, Pascal et Philippe ne font pas la finale, et le bateau qui gagne c’est le bateau américain. C’est donc en 1988 que j’ai compris qu’on avait le niveau pour les JO.

Donc l’objectif de l’année 1989, c’était de passer dans l’équipe A. J’ai réussi à intégrer le groupe de l’équipe de France. J’ai fait du K2 avec Olivier Lasak, on a fait un bon score en Belgique puis on coure à Paris, à Choisy-le-Roi, on coure et on gagne en faisant un record : 1’28’’93.

Au championnat du Monde, on n'a fait que huitième, mais c’était génial. Le plus dur était de rentrer en équipe A.

Je suis toujours resté fidèle au club de Tours, même lorsque j’ai déménagé, j’ai toujours pris ma licence à Tours. J’ai aussi navigué à Lille, je me suis aussi installé en Auvergne après avoir rencontré ma femme, mais toujours en restant fidèle au club.

Je naviguais avec ma femme, le but était de naviguer avec quelqu’un. Et puis en équipe de France, tu es souvent en stage. L‘année des JO c’est 15 jours par mois en stage.

Les Secrets du Kayak : En dehors des stages, c’était comment les entraînements ?

Patrick Lancereau : Je faisais essentiellement du bateau, sur des rivières en course en ligne. Ça m’a donné de la stabilité pour naviguer face au courant et aux grosses vagues.

Et puis dans les années 1990, j’ai fait le marathon de l’Ardèche, j’ai navigué pas mal avec Antoine Goetschy. Notre K2 n’était pas mal, on a gagné deux fois l’Ardèche, on avait fait aussi par deux fois les championnats du Monde de marathon en K2. Je me suis spécialisé en tant qu’équipier.

Les Secrets du Kayak : Tu nous cites des épreuves assez longues nécessitant des capacité aérobie, pourtant en course en ligne, tu étais sur du 500m ou du 1000m ?

Patrick Lancereau : Oui, je n’étais pas un sprinter, je me débrouillais sur du long. Le 500m, ce n’est pas du sprint. Mes capacités physiques m’interrogent.

J’étais un petit gabarit : je faisais 1,76m pour environ 73kg, comme aujourd’hui. Je n’avais pas de grandes capacités musculaires. J’avais un bon cardio. J’étais je pense polyvalent et c’est la raison pour laquelle je m’en sortais peu importe le type de course.

J’ai aussi fait du K2 10000m mais pas en championnat du monde. C’était en championnat de France, j’ai du avoir des médailles sur le fond.

Sur le marathon il y a l’aspect technique, stratégique mais aussi l’aspect matériel. Il faut fignoler sa jupe, sa barre de pieds... En course en ligne tu n’as pas de petites merdes techniques qui peuvent arriver comme en marathon.

Les Secrets du Kayak : Tu es resté sur le 500m et le 1000m parce que c’était aux Jeux, en comparaison avec le fond que tu aimais bien aussi ?

Patrick Lancereau : Je pense que par la force des choses, tu t’y orientes. Et puis il y a l’aspect fédéral qui dit «  tu vas faire telle course ». C’est le staff qui te dit quoi faire.

Mais encore une fois, j’étais très polyvalent. Je pouvais être capable d’être présent sur deux distances différentes avec deux équipes différentes, le même jour.

Les Secrets du Kayak : Tu disais être difficile à coacher ? Les entraîneurs décident à ta place ?

Patrick Lancereau : Non, ce n’est pas cela. C’était une réalité, ils disent « on veut former tel bateau, on veut tel et tel élément pour former le meilleur bateau » ce n’est pas les athlètes de l’équipe de France qui décident.

Il y a eu une période où les entraîneurs ont laissé faire les athlètes entre eux, pour former leur bateau. Tu choisissais ton équipier, en plus c’est comme une vie de couple. Donc il fallait être complémentaire avec ton partenaire, et psychologiquement bien s’entendre avec lui.

Moi je trouve aberrant de mettre deux personnes ensemble qui ont un ego surdimensionné qui veulent une carrière solo chacun de leur côté. Mais l’objectif, c’est de faire avancer un même bateau. Il faut que les mêmes personnes ne fassent qu’une.

Il y a une approche psychologique et faire du K2 pour moi c’était se donner, s’investir, et il faut être capable de s’adapter.

Les Secrets du Kayak : Donc en 1991 tout se passe bien, puis arrivent les Jeux de Barcelone ? C’était un objectif d’y participer ?

Patrick Lancereau : C’était une décision fédérale. On était six à l’époque à pouvoir faire un K4. Donc ça veut dire qu’il y en a deux qui restent sur le carreau.

Il y a une sélection qui se fait et j’étais dedans. Il fallait avoir les quotas de sélection. Au final on est sélectionné, on va aux JO, on s’arrête à la demi-finale.

Arriver à mettre deux personnes qui techniquement forment le bon bateau, ce n’est pas simple, alors réunir quatre personnes… c’est encore plus compliqué ! Ça n’a pas fonctionné totalement. Mais c’était une excellente expérience. Les JO c’est quelque chose, c’est un autre monde.

Les Secrets du Kayak : Après les Jeux de 1992 est-ce que tu te dis que tu dois performer en K2 ?

Patrick Lancereau : Pour moi, c’est loin tout cela. En fait, il y avait un système fédéral, et puis les athlètes changent et les encadrements aussi. Avec le recul je trouve qu’on est très arithmétiques. On fait un système d’entraînement de fréquence qui octroie le bien être de l’athlète, dans sa globalité (travail, confort matériel, santé…).

Il faut les mettre dans le meilleur état d’esprit pour leur permettre de donner 120% d’eux-même.

Après 1992, le staff change complètement, et ça change le mode de fonctionnement et tout le système mis en place auparavant. En 1992, il y a des piges de sélection qui sont mises en place et on dit aux athlètes de faire leur bateau entre eux que ce soit en individuel ou en K2.

Il y a avait des sélections pour le K2 500m et le K2 1000m. Il y avait aussi des sélections pour le K1 et le K4. Donc c’était la course à l’échalote. Les uns et les autres se cachaient, ne disaient pas avec qui ils s’entraînaient.

C’est au moment des inscriptions que se formaient les bateaux. Donc moi qui préférait l’équipage de suite je me suis lié à Jean-Damien Lioult. Il jouait vraiment sur le toucher d’eau. Ça s’est bien passé.

L’année suivante sur le même modèle de sélection, j’ai demandé à Pierre Lubac pour faire un K2. Ça a bien pris pendant trois années.

Le fait de choisir ses partenaires je préférais, mais ça a du fermer la porte à certaines personnes. La démarche était plus saine de mon point de vue. Il faut qu’il y ait une symbiose entre les personnes pour que cela fonctionne.

Les Secrets du Kayak : De quoi tu vivais à l’époque ?

Patrick Lancereau : Je vivais pour le kayak, pas du kayak. Je trouvais des systèmes pour vivre financièrement.

Le club de Tours m’avait aidé dans le sens où il m’ont pris sur des petits postes. On appelait cela les TUC. Il y avait des petits contrats mis en place par l’État, qui permettaient à des structures associatives d’employer des gens pour pouvoir s’occuper de l’encadrement du club.

Quand tu es en équipe de France, tu es aidé par la fédération, la région, le département. Donc au cumulé j’avais un revenu qui me permettait de vivoter. C’était vivre pour le kayak.

Vers 1993-1994 sachant que je ne ferais pas du kayak toute ma vie, je me suis remis en question. J’ai eu l’opportunité de reprendre l’entreprise de mon beau père qui était menuisier. C’était ma reconversion assurée.

Les Secrets du Kayak : C’était une continuité pour toi de reprendre un métier manuel ?

Patrick Lancereau : Ce n’est pas une continuité, c’est une aptitude que j’ai développé. Je suis assez bricoleur, donc pourquoi pas ?

C’était un gros challenge, je n’avais pas de formation et je n’en ai toujours pas. Mais après 27 ans de pratique autodidacte, je maîtrise un peu le sujet.

Je me suis retrouvé avec des employés à gérer. J’avais la casquette de chef et d’apprenti. J’ai eu de gros moments de solitude, mais ça s’est bien fait. Donc à cette période je concilié ça avec le kayak, mais j’avais une certaine sérénité.

Ma carrière pouvait s’arrêter du jour au lendemain, je n’étais pas inquiet. A l’époque, les coachs étaient réticent que je fasse cette démarche. Ils ne me le disaient pas.

J’ai aussi eu la chance d’avoir mon beau père qui gérait l’entreprise pendant mes déplacements. On était gagnant tous les deux.

Je n’ai pas de titres majeurs pour ma carrière sportive, mais j’ai au moins réussi ma reconversion sportive.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ton entraînement à changé entre 1992 et 1996 ?

Patrick Lancereau : Non, j’ai mis à profit les expériences passées. On était beaucoup sur un fond aérobie. Au niveau des entraîneurs ils voulaient nous imposer une certaine cadence, mais nous n’étions pas véloces. On jouait sur le rendement optimum de notre pagaie.

On était assez réfractaires à certaines techniques. On était en symbiose avec Pierre. Après les périodes où je m’entraînais à la maison, il n’y avait pas d’eau, donc je m’entraînais sur une machine à pagayer très précaire puisque c’était les débuts.

J’en faisais deux fois par jour avec de la course à pieds. Et je naviguais une fois en stage. J’ai su concilier toutes les contraintes.

Une séance de capacité aérobie au final pour moi c’était la connaissance de mon corps, connaître mes limites, on sait vite connaître et respecter son corps. Aujourd’hui tu as le GPS et la fréquence cardiaque, mais pour moi c’est méconnaître son corps.

Donc je faisais mon propre plan. Il faut avoir envie de faire les choses. Il faut mieux se reposer pour aller s’entraîner avec de l’envie pour réussir. Je faisais des séries paires, je trouvais des petites idées pour me motiver.

Même si j’étais seul physiquement, mentalement j’imaginais mes adversaires.

Pour ma sélection en 1996, le système voulait que le cadre fédéral nous demandait de former nos bateaux, on avait les piges en 1994. Nous, on voulait être plus fort que les autres pour les dissuader.

On faisait comme Pascal et Philippe en 1988. On passait bien mais on était cadré par le fédéral. On voulait imposer notre niveau. On était dans le top 6 des K2 1000m. On avait essayé le K2 500 et 200m mais pour s’amuser.

En 1996, il y avait une entreprise Airplace, ils ont essayé de fabriquer un bateau avec un architecte naval. C’était entre le bateau de course en ligne et la planche à voile. Le 007. On emmenait ce bateau là, on a un peu galéré, on a joué de l’intox aux JO, on s’est échauffé avec pour faire croire aux autres qu’on allait faire la finale avec ce bateau.

Donc on était le meilleur bateau national, et on fait les championnats du monde. On devait être dans le top 6, et on a ouvert la porte pour faire le K2 1000m aux JO pour l’équipe de France.

Les Secrets du Kayak : Atlanta se passe bien pour vous ?

Patrick Lancereau : Il y a eu plusieurs choses. Stratégiquement, on n’était pas un bateau qui avançait vite en terme de cadence. Nous on a fait une course en partant très fort, et ensuite on a baissé et on s’est fait doublé.

On s’est remis en question sur notre départ. On voulait réussir à niveler la course pour qu’au moment où les autres ont une baisse physique, on aille les chercher et les doubler. L’objectif était de tenir jusqu’à la fin de course sans se griller dès le départ.

La malchance a fait qu’on a eu vent de dos à la finale, donc ça a changé la donne, le point de convergence était arrivé beaucoup plus tard que prévu. À deux secondes près, ça peut tout changer, surtout quand on est à deux secondes de la médaille. Une médaille ça peut faire beaucoup.

Le 3 août à 10h15 c’était la course, peut être trop de pression, l’objectif était atteint et ensuite j’ai fait une paralysie faciale.

Par expérience, c’est important de se préparer pour un objectif.

Les Secrets du Kayak : Tu arrêtes ta carrière au lendemain de ces JO ?

Patrick Lancereau : Oui en terme d’équipe de France. J’avais mon travail et un axe de vie. Je n’ai pas navigué même si j’ai encore le matériel. J’ai du faire un championnat de France, j’ai du faire deuxième.

Depuis j’ai arrêté et je ne regrette pas. J’ai pris du recul et puis géographiquement je suis loin de Tours. Aujourd’hui j’ai mon travail. Je fais de la course multi-sport : course à pieds, kayak, vtt en Auvergne.

Aujourd’hui physiquement, je n’ai plus envie de me faire mal. C’est loin de moi ! Il y a un coté pervers dans le haut niveau, même si ça m’a permis de faire de belles rencontres, de voyager, ça m’a ouvert l’esprit, et ça développe des aptitudes, ça m’a éduqué.

Le haut niveau c’est bien, mais c’est le kayak qui m’a appris beaucoup.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des personnes qui t’ont plus influencé que d’autres ?

Patrick Lancereau : Quand tu es en équipe de France, tu ne te confies pas vraiment. Tu as l’impression de faire partie d’une famille, mais ce sont des adversaires. Et le jour où tu arrêtes ton téléphone ne sonne plus, tu ne fais plus partie du groupe.

C’est à dire que j’ai arrêté le kayak, mais j’ai aussi quitté le milieu du kayak.

Peu être que ça vient de moi aussi. Je continue d’avoir des contacts avec Olivier. Les gens ont continué à faire du bateau, un peu avec des œillères je pense.

Un jour, j’ai croisé Pascal qui fait du triathlon aujourd’hui. Mais des mentors, je n’ai pas trop de contact.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui t’a manqué pour avoir une médaille aux JO ou être champion olympique ?

Patrick Lancereau : J’ai ma part de responsabilité mais l’encadrement fédéral également. Eux n’étaient pas à la hauteur pour plusieurs raisons. L’entraîneur de l’époque n’était pas à la hauteur non plus. Ils ont accepté leur déficience puisqu’ils avaient accepté la venue aux JO d’Olivier Lasak, pour venir nous aider à fonctionner.

Après, c’était compliqué pour lui sans accréditation. Si on veut que les athlètes aient de bonnes performances, il faut aussi leur faire confiance et leur permettre de prendre du plaisir. La politique a sa place dans les JO, mais pas une place principale.

L’important c’est que les athlètes soient dans un encadrement permettant d’être en confiance. Mais ce n’est pas facile à mettre en place. Après je dis ça, mais je ne sais pas comment ça se passe aujourd’hui !

Avec Pierre et Olivier c’était bancal, ça a plus ou moins fonctionné. L’année suivante, on avait provoqué une réunion, j’étais responsable des athlètes de l’équipe de France en course en ligne et pour faire progresser les choses en 1995.

On pensait avoir le potentiel pour faire une médaille aux championnats du monde, et donc aux JO. On nous avait traité d’utopistes. Donc on ne croyait pas en nous. On ne nous a laissé aucune chance. L’encadrement doit être au service de l’athlète.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui, tu ne suis plus du tout l’actualité ou quelques athlètes en kayak ?

Patrick Lancereau : Pour tout te dire, les JO sont passés dernièrement, j’ai du regarder en tout 10 minutes d’épreuves sportives. Pour moi c’est vraiment loin. J’ai regardé un peu Sarah Guyot, elle était du club de Tours, elle était performante, par curiosité je l’ai rencontré, on a échangé vite fait. Ça peut être intéressant d’avoir le recul d’un ancien athlète pour elle. Le matériel a changé mais la technique reste la même. Je n’ai pas suivi plus que cela.

Quand tu prends tu recul et que tu rencontres des gens preneurs, c’est sympa de transmettre. Si j’habitais proche du club de Tours certainement que je donnerais en retour. Il faut savoir recevoir, mais il faut aussi savoir donner. Il y avait une âme dans ce club à l’époque.

Les Secrets du Kayak : Voulais-tu aborder d’autres points ?

Patrick Lancereau : Non, ta démarche est rigolote de vouloir interviewer des dinosaures.

Pour moi, quand tu pagaies tu passes un tiers du temps la pagaie hors de l’eau. Cela veut dire que sur une course qui fait trois minutes, tu passes une minute la pagaie en l’air.

C’est pour cela que le relâchement est important. Tu as une minute pour te reposer. Il faut l’optimiser. Cela peut faire la différence sur les 20 derniers mètres de la course.

La contraction permanente d’un muscle fatigue. Rien que le fait de pagayer à basse fréquence est plus compliqué et ça apporte beaucoup pour travailler la stabilité. Exerce toi à aller le plus lentement possible, amuse toi sur cela.

La performance passe par la prise de plaisir, teste, amuse toi. Sois gourmand d’avoir envie. Il faut le faire sur un plan d’eau sans aucune perturbation. Tu dois faire corps avec ton bateau. J’ai conçu beaucoup de recherche sur cet aspect là.

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