Interview : Lea Jamelot

Ceci est la retranscription écrite du Podcast enregistré avec Lea Jamelot au moins de décembre 2020 après avoir effectué sa deuxième semaine de stage à Séville.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Lea Jamelot : Ben écoute, ca va très bien. Je suis en directe de Séville. C’est une destination habituelle pour nous en stage hivernal.

L’année dernière, on était là aussi. C’est l’occasion pour toute l’équipe de France de se regrouper, d’avoir tout le monde sur le même site que ce soit le staff et les athlètes.

Le bassin est bien quand il n’y a pas trop de monde. Là, en période de confinement, ca va. On ne se prend pas trop la tête avec les rameurs mais sinon ca peut être très compliqué car le bassin est très venteux, très “vagueux” quand on le partage avec tous les bateaux et avirons.

En ce moment, le bassin est bien, on a de bonnes conditions. On n’utilise pas le centre d’entraînement “La Cartuja”, on n’est pas sur le bassin. On a un AirBnb qui nous permet d’être autonome et de nous faire à manger. C’est une formule qui nous convient mieux que de la nourriture en self.

LeaJamelot

Dans la plupart des centres d’entraînement, on est en pension complète avec la nuit sur place, la restauration et les équipements pour l’entraînement.

C’est la première année depuis 4 ans que je ne vais pas sur le continent océanique en hiver parce qu’actuellement, avec les conditions, c’est compliqué.

Juste après les Jeux de Rio, on s’est fait un petit Road Trip avec Manon en Nouvelle-Zélande puis après chaque année, on allait en Australie. La première année, on a été à Brisbane sur la Gold Coast, on s’est entraîné avec les australiennes en autonomie.

On y est retourné il y a deux ans, deux fois, avant Noel, à Adélaïde avec Maxime Beaumont et Fred Rebeyrol, et on est retourné sur le Gold Coast en février. Et l’année dernière, on était toutes les filles sur la Gold Coast pour préparer les Jeux qui auraient du avoir lieux cet été.

C’est vraiment des conditions idéales, climatiquement car c’est l’été là bas, on est en maillot de bain / brassière ce qui change des manchons / jupettes de l’hiver français.

Cette année, on sera moins au chaud mais on peut trouver de belles conditions autour.

Quand on est parti en Nouvelle Zélande, on est parti quasiment 2 mois. C’était aussi pour souffler après les Jeux, c’était autant vacances qu’entraînement. On en a quand même bien profité pour s’entraîner avec les néo-zélandaises qui sont les plus fortes du circuit.

En Australie, on restait 6 semaines car c’est quand même un voyage qui est super long. Il faut du temps pour se faire au décalage horaire.

On a appris plein de choses en Nouvelle Zélande, aussi la première année en Australie en suivant la planification des australiennes alors que les années suivantes, on est arrivé avec notre coach et notre programme même si on s’entraînait parfois ensemble mais on conservait notre programme qui est quand même très différent d’elles.

Les Australiennes ont les compétitions beaucoup plus tôt dans l’année, elles ont leurs sélections vers fin mars quand nous, c’est en mai ce qui fait un gros décalage. Elles font de l’intensité tout l’hiver ce qui est impressionnant. Elles s’arrêtent à peine un mois après les championnats du monde et elles reprennent pleine balle dès novembre alors que nous, on commence doucement à partir de février.

Ca nous a donc fait tout drôle la première année de suivre leur planification.

Nous, en général, on fait une coupure hivernale en mettant l’accent sur la musculation durant le mois de janvier, car le développement de la force est peu compatible avec de gros volumes d’entraînement aérobie. On lève donc la pagaie en janvier.

En arrivant en février, on a du se mettre dans le bain tout de suite des séances longues, du gros volume sur l’eau.

Là, à Séville, on est vraiment venu chercher du volume en bateau, pour engranger des kilomètres, pour caler des points techniques, faire de l’aérobie spécifique. On oublie évidemment pas la musculation et le gainage mais la majeure partie de nos séances sont sur l’eau.

Cela donne deux séances de bateau par jour et soit musculation, gainage ou course à pied ce qui fait 3 séances par jour au final sauf le mercredi après midi où on est en repos et le dimanche où on est en repos complet. On a parfois quelques journées à 2 séances pour vraiment faire de la qualité. Avec Fred, notre coach, on a beaucoup bossé sur la qualité.

On essaie de faire de la quantité de qualité.

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C’est un terme détourné. Quand on fait une grosse séance le matin, avec des cadences hautes, beaucoup d’influx nerveux dépensé, c’est compliqué d’aller s’en remettre une dans le cornet l’après midi. A ce moment, on va plus dérouler les bras, faire une séance longue sans se mettre une nouvelle cartouche.

C’est plus dans ce sens là car on ne peut pas faire matin, midi et soir de l’intensité. On ne peut pas cumuler des intensités n’importe comment. Il s’agit aussi de finir la semaine, le cycle, le stage dans son intégralité, pas d’exploser en route et de se blesser.

Je ne suis pas une partisane de semaine d’entraînement à 30 heures. Je fais plus de la qualité quand on est autour de 17-20 heures ce qui est déjà beaucoup pour moi mais en qualité, en étant investi mentalement, physiquement, psychologiquement sur chaque séance, en ayant la disponibilité mentale à chacune d’être engagé à fond dedans.

On entend souvent dans le milieu du haut niveau que la récupération est aussi importante que l’entraînement. J’ai une plage horaire de travail de 14 à 16h tous les jours mais je ne manque pas de faire la sieste avant pour être en forme à l’entraînement après.

Là, je suis sortie pour la première fois à Séville alors que ca fait deux semaines qu’on est là parce que nos journées, c’est dormir, s’entraîner, manger, dormir, manger, s’entrainer.

Ca peut faire rêver, ca peut faire moins rêver mais ca ressemble à ca dans la bonne ambiance.

Les Secrets du Kayak - Le haut niveau

Lea Jamelot : Je n’aime pas trop le mot sacrifice. Par contre, c’est sur que c’est un mode de vie particulier qui impose certaines contraintes.

Je pense qu’il faut toujours garder en tête qu’on fait ca parce qu’on aime ca. Pour moi, le plaisir est vraiment au centre, même s’il y a des jours où la fatigue prend le dessus, surtout quand il y a la pluie, le froid, le vent et qu’on se prend des branlées, il est moins là mais j’essaie d’avoir un équilibre.

J’ai aussi énormément de plaisir dans mon boulot. Ma vie actuelle me convient et je prends du plaisir dans ce que je fais.

J’ai un vrai “travail”. Je suis chargée de communication pour une entreprise qui fait des logiciels pour le secteur agricole, entreprise qui est basée en Bretagne, qui me soutient dans ma pratique sportive depuis 2011 en tant que sponsor et qui m’a embauché à l’issu de mes études il y a plus de 3 ans.

Je n’ai pas un faux travail car j’ai des vraies missions mais par contre, j’ai un temps aménagé et adapté car je ne travaille qu’à 30% ce qui représente 2h30 par jour et tous le mercredi après midi. Je bosse en télétravail, d’où je veux avec des collègues très compréhensifs.

C’est tout ce contexte qui me permet de mener les deux de front. Sans cela, il me faudrait un contrat d’image. Je m’y retrouve vraiment bien en tout cas.

J’ai vraiment cette chance d’avoir cette entreprise qui me soutient dans ce projet.

Mon employeur est mon “sponsor” principal. J’ai un salaire à temps plein car j’ai une CIP (Contrat d’Insertion Professionnel) qui est signé par la fédération, l’agence nationale du sport, la direction régionale jeunesse et sport de Bretagne et mon entreprise. Ce sont les institutions qui compensent mon manque à gagner le temps où je ne suis pas en train de travailler pour l’entreprise.

En 2011, j’étais déjà au pole France de Rennes et j’avais déjà fait 2 ans d’équipe de France junior. En fait, depuis 2009, je suis en équipe de France et depuis 2013 en équipe senior.

J’étais déjà dans une démarche de haut niveau. Je suis arrivée avec mon petit dossier sous le bras en leur disant que je souhaitais faire les Jeux de Londres mais je n’ai pas été sélectionnée l’année d’après à ces Jeux mais l’entreprise a continué à me soutenir.

En 2016, j’ai réussi à me sélectionner aux Jeux de Rio et donc à amener Kerhis aux JO.

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Les Secrets du Kayak - Tes débuts

Lea Jamelot : Je faisais du Judo, ca me plaisait pas mal mais à chaque fois, l’été, quand je devais choisir une colonie de vacances, je choisissais toujours des activités de plein air.

J’étais attirée par tout ce qui était escalade, équitation, kayak… tout ce qui étaient de plein air.

En rentrant d’une colonie, un été où j’avais fait du kayak dans des petits recoins qui me paraissaient exotiques ; je me prenais pour Pocahontas sur mon canoë en plastique. J’avais adoré cette connexion avec la nature, j’avais l’impression d’être dans un autre pays.

A la rentrée, je voulais donc faire un sport de plein air, idéalement sur l’eau et en plus, ca arrangeait mes parents car c’était encore plus près que le club de Judo. Je pouvais y aller en vélo, prendre le bus à partir du collège.

J’ai commencé en CM2, c’était vraiment du loisir. C'était l’école de pagaie le mercredi et le samedi. L’entraîneur du club était très orienté “jeu”. On faisait du kayak polo dans des gros kayaks en plastique, c’était plus de la déconne.

Quand je suis entrée en quatrième, l’entraîneur du club a changé, et Thomas était plus tourné vers la compétition (et Delphine) m’a proposé de monter dans des bateaux plus performants.

Ensuite, Thomas m’a proposé de venir m’entraîner plus souvent et j’ai commencé à y aller le soir après l’école. Au début, une fois, deux fois puis rapidement tous les soirs.

Le club se prêtait à la course en ligne car il avait des bateaux de course en ligne. On s’entraînait sur le canal de Nantes à Brest qui est complètement plat.

Par contre, quand on est dans un club breton et qu’on veut faire les championnats de France espoirs, jeunes, il faut savoir tout faire. On se sélectionne en faisant des compétitions de slalom, de descente, de kayak de mer et de course en ligne.

Pendant plusieurs années, j’ai donc fait toutes les compétitions pour pouvoir me sélectionner au championnat de France.

J’ai fait mes premiers championnats de France vers 13-14 ans en minimes. J’étais assez nulle. Ca s’appelait les régates de l’espoir, ils mettaient les meilleurs en monoplace et les moins bons en K4 ou en K2. J’étais toujours en K4. Je ne sortais pas du tout du lot.

Je me souviens d’un jour à marquer d’une pierre blanche, c’était un championnat de Bretagne à Paimpont et il y avait toutes les filles que j’admirais parce qu’elles étaient grandes, fortes, et ce jour là, je les ais battu, j’ai gagné. C’est là que je me suis dit que je pouvais gagner.

Ca m’a boosté à fond et l’année prochaine, je faisais les tests pour rentrer en Pole espoir et j’ai été prise en seconde au Pole espoir à Rennes mais mes parents n’ont pas voulu que je parte et ils m’ont dit que si j’avais un super bulletin, on en reparlerait l’année d’après.

C’était une grosse motivation pour, j’ai donc fait ma seconde au taquet et ils n’ont pas eu le choix que de me laisser partir en première.

J’ai alors rejoint le pole espoir de Cesson-Sévigné et j’ai fait mes premières sélections “Equipe de France” et 7 mois après, j’intégrais l’équipe de France.

En seconde, je m’entraînais déjà tous les soirs avec Thomas et j’étais hyper motivée par ces tests pour le pole espoir. C’était des tests hyper variés. On avait des tractions, des pompes, de la corde à sauter, de la détente, il fallait savoir esquimauter.

Les dernières semaines avant les tests, chaque jour, je faisais tous les exercices. C’était maximum de pompes en 2 minutes, maximum de corde à sauter en 2 minutes…J’étais vraiment motivée.

J’ai du faire une traction mais surtout je connaissais le barème par cœur et je savais où il fallait que je marque des points. Parce que pour marquer ne serait-ce qu’un point en traction, il fallait déjà en faire 3 ou 4. Par contre, en corde à sauter, j’avais 5/5, en souplesse, j’avais 5/5… Ce qui comptait le plus, au final, c’était l’entretien.

Il y avait aussi un 5000 mètres en course à pied. C’était difficile pour moi, c’était pas ma tasse de thé. Par contre, j’étais super contente car l’année d’après, j’avais gagné devant les gars au scratch, j’avais mon nom devant les gars, c’était un peu ma fierté.

Les Secrets du Kayak - Sprinteuse ?

Lea Jamelot : Si tu me demandes ce que je préfère, je te réponds mille fois le 200 mètres, du moins en monoplace car j’adore le K4 500 mètres.

Mon kiff, c’est le 200 mètres car c’est ce qui va le plus vite, ce qui est le plus explosif, où je me sens le plus à l’aise.

Par contre, on vient d’apprendre que cela ne sera plus olympique à Paris en 2024 au profit du Kayak extrême.

Sur les sélections équipe de France, je “coure” le K1 200 et le K1 400 pour faire les équipages en 500 mètres. C’est ces deux distances là qui comptent.

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Les Secrets du Kayak - Objectif Jeux Olympiques

Lea Jamelot : En 2012, je l’ai un peu vendu à mes sponsors. C’était une utopie, je savais que je n’aurais pas le niveau. Ca aurait été une grosse surprise.

2012, c’était un rêve. 2016 était un réel objectif. Aujourd’hui, l’objectif n’est plus de participer mais de performer à Tokyo.

A Rio, notre performance est clairement une déception. Ca a été une année compliquée et aucune de nous n’a été satisfaite du résultat, d’une finale B, surtout après être allée chercher un quota à Milan. Ca a été super dur à encaisser.

C’est pour cela qu’il faut aller se venger à Tokyo.

Tous ceux qui s’alignent ont des chances de médailles. On a fait de bonnes performances les saisons précédentes, on est monté 3 fois sur un podium de coupe du monde, on a fait 5 ème au championnat du monde en 2018, même s’il y a un gap de chrono entre les quatrièmes et nous les cinquièmes, mais j’y crois.

Avec le décalage des Jeux de Rio, ca a rebattu toutes les cartes car certaines filles ont arrêté, dans notre bateau aussi d’ailleurs donc il faut reconstruire avec de nouvelles cartes, des nouvelles guerrières.

Les Secrets du Kayak - La Mecque du Kayak en France ?

Lea Jamelot : Il y a beaucoup de jeunes à Toulouse. Il y a aussi Manon avec qui je m’entraîne chaque jour, avec Fred, notre entraineur en équipe de France mais aussi au pole de Toulouse.

Déjà, ce trio, c’est un trio de choc. A cela, il y a Maxime qui vient de temps en temps s’entraîner avec nous. Et puis, il y a toutes les jeunes, un gros groupe de filles qui s’entraînent et il y a une super ambiance.

Le pole de Toulouse est une belle découverte.

Les deux autres, Sarah et Vanina, sont à Paris, qu’on retrouve souvent sur des stages comme là à Séville. On monte de temps en temps à Paris, elles descendent de temps en temps à Toulouse.

Il y a vraiment une super émulation à Toulouse et je suis vraiment ravie d’être descendue jusque là.

J’ai passé 8 ans au pole de Rennes, 8 années géniales, j’y ai vraiment adoré mon passage. Au bout d’un moment, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour et de ne plus avoir assez de confrontations à Rennes.

C’est là que j’ai décidé d’aller vivre l’expérience parisienne à l’Insep. C’est quelque chose qui me tenait à coeur et je voulais voir ce que c’était.

J’ai adoré l’Insep que ce soit les rencontres que j’ai fait, les différentes structures mais par contre, quand on fait du Kayak et que le bassin se situe à 25 minutes de route quand il n’y a pas les bouchons, ce qui arrivent souvent. Cela fait passer beaucoup de temps sur la route, surtout quand on s’entraîne deux fois par jour et qu’en plus, on travaille à côté, ce n’est pas gérable.

C’était un rythme de vie qui ne me convenait pas au quotidien.

J’ai passé environ un an à l’Insep et durant ce laps de temps, j’ai fait un stage à Toulouse où on se promenait à vélo du lieu où on logeait au lieu d’entraînement.

Il faisait super beau, je me suis crue en vacances. C’est une ville à la frontière espagnole où les gens sont cools, c’est détente. On se promène et il fait beau.

Je suis tombée amoureuse de Toulouse et en deux jours, j’avais prise ma décision. C’était là que je serais l’année prochaine. Ca s’est fait vite, je prends des décisions à l’instinct et là, il ne m’a pas trompé.

Frederic Rebeyrol, mon entraîneur actuel, est aussi l’une des raisons qui m’a poussé à déménager à Toulouse. J’avais vraiment envie de travailler avec lui. Ca avait été très compliqué à Paris avec le départ de deux de mes entraîneurs. J’ai passé une bonne partie de l’année sans entraîneur fixe au quotidien.

On a eu un entraîneur étranger qui est parti, Nicolas Mayotte que j’avais eu comme entraîneur à Rennes est également parti à mon arrivée. Ca a donc été compliqué.

Fred est vraiment un entraîneur hyper investi pour nous au quotidien. C’est vraiment ce que je recherchais et que j’ai trouvé en venant sur Toulouse. C’est un entraîneur passionné qui veut vraiment notre réussite. Je suis hyper contente de bosser avec lui.

L’année à Paris a été compliquée mentalement. J’ai manqué de suivi, peut être de “mental” aussi. J’ai vécu des expériences parce qu’à l’Insep, on a quand même des ressources hyper intéressantes à utiliser en terme d’entraîneurs dans des disciplines associées comme l’athlétisme, la natation, à l’haltérophilie. J’ai découvert pas mal de nouvelles pratiques et c’était hyper intéressant.

Tout n’est donc pas à jeter dans mon année à Paris.

C’est sur que depuis que je suis à Toulouse, on a vraiment mis l’accent sur la technique avec Fred, c’était vraiment mon gros chantier, faire avancer mon bateau plus vite à chaque coup de pagaie.

Fred est un très très bon technicien et j’ai énormément progressé grâce à ses séances et ses conseils.

La technique est vraiment un gros pan de notre activité. Tu as beau avoir le physique, ce n’est pas les années où je soulevais le plus lourd en musculation que j’allais le plus vite. Je ne dis pas que ce n’est pas important mais si tu ne sais pas bien placer ta pagaie, bien te tracter dessus et que tu n’as pas compris comment on fait avancer un bateau, tu aurais beau courir autant que tu veux, nager autant que tu veux et pousser des barres autant que tu es fort, ca n’ira pas.

Lea Jamelot


Je pense que je n’avais pas bien compris la “technique”. Il faut que je sois beaucoup plus dans le relâchement, dans le placement et la finesse. Ce n’est pas que je ne suis pas une nana fine, mais je me suis construire, notamment en tant que junior en bourrine, parce que mes qualités étaient surtout physiques, j’en voulais, je pouvais faire des trous dans l’eau comme on dit.

Je pense que là où ca n’a pas été facile, on a eu de longs débats en Australie, de longs échanges et discussions, pour déconstruire cette idée que j’avais que la plus fatiguée en fin de course était celle qui avait le mieux pagayer. On a vraiment déconstruit cela pour trouver comment ne pas pousser sur la pagaie mais planter et se tracter.

On ne pousse pas l’eau mais on utilise l’eau pour avancer.

Ca me parait hyper simple quand je le dis aujourd’hui mais ca a été un travail de longue haleine. J’arrive à en parler facilement parce que là à Séville, ca se passe vraiment bien, je ressens ça, je ressens que ca part des abdos, mais il y a encore quelques mois quand on me disait d’utiliser mes abdominaux, j’étais soit en blocage respiratoire, soit je ne comprenais pas comment les abdominaux pouvaient jouer un rôle dans l’avancement de mon bateau.

Ca peut paraître dingue mais j’ai vraiment du temps, sans que ce soit encore parfaitement intégré mais je suis sur une voie pour bien comprendre cela.

C’est hyper flippant de changer, de modifier sa technique. C’est pour cela que j’ai fait de la résistance pendant des années car c’est comme ca que je me suis construite, que je sais faire.

C’est un peu comme si on te demande de monter un escalier le plus vite possible sauf que tu commences par tout descendre. Tu te demandes ce que tu fais. Tu ne vas pas descendre pour remonter alors que je pourrais monter directement.

Sauf que si, déconstruire, ca passe par là. Déconstruire pour reconstruire quelque chose de nouveau et c’est hyper flippant. C’est aussi hyper frustrant, rageant parce que tu as l’impression de perdre du temps. Il y a des courses que j’ai faite mais “au secours".

C’est dur d’aller contre son naturel.

Je vois surtout mes progrès techniques sur les séances longues, de mieux les encaisser alors qu’avant, je m’épuisais rapidement. Là, j’arrive à avoir un geste économique qui me tenir des kilomètres et des kilomètres sans m’épuiser, chose qui avant était impensable.

Quand je voyais marquer sur le papier 15 kilomètres, je savais que c’était la séance de l’horreur, qu’au bout de 7 kilomètres, j’allais être “carpet”, que les autres allaient être devant et que moi j’allais être derrière toute essoufflée.

Ca, c’est ma première petite victoire, de réussir à trouver un coup de pagaie économique. Maintenant, la problématique, c’est que dès que la vitesse monte, je n’arrive pas à bien m’exprimer. C’est déjà un premier pas de pouvoir encaisser des bornes.

Maintenant, le challenge, c’est quand on passe sur des séances où il faut aller vite, c’est de garder ce registre économique et ne pas retomber dans mes travers de “pousser-tirer” le plus fort que je peux.

C’est dur de se détendre, je suis “Miss Grimace” pour ca.

Mes records en musculation, notamment à l’époque des tests 2 minutes en musculation, c’était 92x40 kg au développé couché. En max, j’ai soulevé 102.5 kg quand j’étais jeune au pole de Rennes. J’étais contente de soulever plus de 100 kg mais par contre, je faisais des trous dans l’eau.

Maintenant, on travaille avec un préparateur physique qui est hyper intéressant et qui nous fait sortir du registre tirage planche / développé couché dans lequel on est tombé quand on était petit et désormais, on sort carrément de ça en nous faisant bosser les petits muscles, des angles différents, en nous mettant un peu en difficulté et je pense que c’est tout aussi important que de soulever 95 kg au tirage planche et 102.5 kg au développé couché.

Ca fait à peu près deux ans que l’on travaille avec Audric.

Avant, nos séances étaient par typologie. On allait faire une force-endurance, une force-max et une force-puissance. Aujourd’hui, son petit jeu, c’est de tout mélanger.

On arrive sur une séance et on va faire des 3 répétitions lourdes, puis des 20 répétitions légères et on va revenir sur des 6 répétitions en puissance. Ca, c’est son dada.

Il sait très bien ce que l’on fait en bateau, il nous suit sur des séances, sur des courses donc il est vraiment capable d’adapter. Par exemple, moi, c’est souvent mes jambes qui lâchent en premier donc il m’a fait bosser le lactique sur les jambes. Il voit les problématiques en bateau et à partir de là, il va individualiser. C’est hyper chouette d’avoir quelqu’un d’aussi investi.

L’un des trucs qui lâche le plus vite chez moi, c’est les jambes. Je tombe beaucoup plus vite en lactique au niveau des quadriceps que des avant-bras. Ce n’est pas si original que cela pour en avoir parlé avec les autres filles, c’est un problème commun.

Bien sur, les avant-bras chargent, je ne dis pas qu’il ne se passe rien à ce niveau mais c’est carrément probable que les jambes lâchent avant parce qu’elles sont moins costaudes aussi. Je ne suis pas très bonne que ce soit en force-max, en force-endurance ou en force-puissance sur le bas du corps.

On a un gros delta entre la force du dos, des bras et des jambes. C’est sans doute cette différence là qui provoque cela.

J’aime bien le vélo mais actuellement, j’en cherche un d’occasion. J’adore la natation par contre et j’ai réussi à réintroduire de la natation en aérobie avant les piscines ne referment au vu de la situation actuelle (décembre 2020).

A l’INSEP, je nageais pas mal. La course à pied, ca me coute beaucoup. Je monte très vite cardiaquement ce qui fait que ca n’a pas toujours le bon impact car j’ai du mal à rester au seuil 1. Mentalement, ce n’est pas ce que je préfère non plus alors que la natation, j’adore vraiment ca.

Le problème, c’est que ca reste sur beaucoup sur le haut du corps ce qui a freiné Fred, mon entraîneur, au début mais finalement, je suis dans les bons registres au niveau cardiaque donc ca se tient.

Pour l’instant, je touche du bois ou de la peau de singe car avec tout ce volume sur le haut du corps, je n’ai pas de problèmes aux épaules.

Je n’ai jamais eu de grosses blessures. Je suis très souple et je n’ai jamais eu de signaux d’alertes sur les épaules.

Par contre, je n’aime pas le ski de fond. Je n’aime pas le froid et la neige.

Maintenant que je suis à Toulouse, une demi-journée par ci, par là, j’aimerais bien mais le problème, c’est quand on va en stage, que l’on fait 15 jours et qu’on fait du ski de fond matin, midi et soir, 7 heures par jour, ca m’a écœuré.

Les paysages sont magnifiques, le sport est hyper agréable mais à petites doses.

Les Secrets du Kayak - Même entraîneur, même entraînement ?

Lea Jamelot : On a la même trame d’entraînement, on a les mêmes cycles, les mêmes objectifs après il y a toujours une part d’individualisation parce qu’on n’a pas les mêmes besoins et qu’on fonctionne différemment.

Fred est très bon là dedans et puis il y a les blessures, la fatigue, les contraintes des unes et des autres. On a la même trame mais il y a des individualisations.

Lea Jamelot

Par exemple, en musculation, certaines ressentent le besoin de faire plus de gainage que d’autres. Il y en a aussi qui rajoutent des séances pour faire un volume d’entraînement plus conséquent. Tu l’as compris, je ne fais pas partie de cette catégorie là.

D’autres ont plus besoin de séances individuelles pour se recaler techniquement, d’autres de séries de vitesse plusieurs fois dans la semaine. Il y en a qui adorent courir qui vont aller courir trois fois par semaine tandis que d’autres vont préférer aller nager.

Il y a de l’individualisation au sein de la semaine car le niveau de fatigue n’arrive pas en même temps et il faut savoir s’adapter. Ca peut être pas rapport aux petites blessures ou douleurs que l’on peut ressentir. Par rapport aussi à ce que l’on aime car il est important de pouvoir s’investir dans la séance et si on ne fait que des séances que l’on apprécie moins, ca va être compliqué de tenir la semaine.

Il y a des parts de séances collectives où on y déroge pas et cette part où on s’écoute individuellement.

Les Secrets du Kayak - Tes secrets pour performer ?

Lea Jamelot : Je ne suis pas une très bonne élève pour tout cela de manière régulière.

Je fais de la préparation mentale, j’ai commencé très tôt quand j’étais au pole de Rennes.

Je fais de la réflexologie également à Toulouse. C’est original mais ca me plait bien.

On fait aussi du Pilates à Toulouse.

Je fais aussi régulièrement des siestes. Les journées où je ne peux pas faire de siestes sont vraiment difficiles parce que comme je travaille de 14 à 16 heures, les journées où je rentre tard et où je n’ai pas le temps de faire la sieste, je le paye au boulot et sur la séance après.

Ne serait-ce que m’allonger 15 minutes, même si je ne m’endors pas, ca me refait ma journée. J’ai vraiment besoin de faire une sieste.

Au niveau alimentaire, je suis une fan des expériences. J’expérimente plein de trucs. J’ai fait plusieurs mois sans sucre l’année dernière. Actuellement, je ne mange plus de viandes depuis 3 mois.

Ca ne veut pas dire que je suis devenu drastique ou végétarienne mais j’expérimente. Je fais mes propres expériences en fonction de ce que je vois, de ce que je lis et de ce que j’ai envie d’essayer.

Je sais être très rigoureuse sur une certaine période de l’année quand les échéances approchent mais j’aime trop la bonne bouffe pour faire attention toute l’année.

J’ai fait un pacte avec moi-même où je m’autorise des “écarts” , où je ne suis pas drastique sur toute une partie de l’année. Et puis, passé un certain mois, là, je commence à faire attention, où je suis beaucoup plus exigeante par rapport à ce que je mets dans l’assiette, sur les gouters que je fais en rentrant des séances longues…

Mais j’ai essayé de faire attention toute l’année et ca me coute trop mentalement.

Ce fonctionnement me convient bien et je fluctue pas mal en poids entre l’hiver et l’été, je ne dis pas que c’est ce qu’il faut faire, mais c’est ma manière de gérer une saison qui peut être longue.

Les Secrets du Kayak - Quel matériel ?

Lea Jamelot : Contrairement à Sarah et Manon, je suis une pro Nelo même si en ce moment, on navigue dans un K4 Plastex et j’adore.

C’est juste qu’avec Nelo, c’est plus simple d’avoir les mêmes bateaux, les mêmes formes alors que Plastex, c’est compliqué d’avoir deux fois la même forme.

Nelo, c’est beaucoup plus rigoureux. Tu es beaucoup plus sure d’avoir le même bateau. En terme d’accastillage, c’est beaucoup plus simple aussi. C’est une question de facilité.

Je ne suis pas du tout fermée car, encore une fois, là, en K4 Plastex, je me sens vraiment très bien. Je ne suis pas fermée à la Team Plastex.

Je suis en Nelo Cinco, je n’ai pas du tout aimé le Nelo Sete. J’avais l’impression que le Sete était une poutre, je me sentais hyper lourde, je n’arrivais pas à le sortir de l’eau. Je ne suis pas hyper douée pour ces choses là et fonctionnant plutôt à l’instinct, mon instinct m’a dit de ne pas passer en Nelo Sete.

On est toutes Team Jantex. J’ai réduit la taille de ma pagaie pour être plus fluide. J’ai désormais plutôt une petite pagaie en 2m15 avec des pales de 735. Auparavant, j’étais en Jantex Medium avec 10 cm cube de plus par pâle.

J’utilise encore cette dernière en K4. Je ne vois pas une grosse différence entre les deux.

Encore une fois, je n’ai pas des sensations, je ne suis pas Cyrille Carré qui est hyper doué pour donner les sensations sur son matériel, pour faire des tests, alors que moi, à partir du moment où il y a un truc qui me va, ca me va bien.

Le jour où Fred me dira d’essayer un truc, j’essaierais sans problème mais je ne suis pas “hyper” matériel.

Je ne mets pas de tape sur ma pagaie mais je la ponce avec du petit grain pour qu’elle soit un peu moins glissante. Je trouve que l’eau salée fait un peu glisser la pagaie ce qui fait que je remets un petit coup de ponçage si on est sur un bassin d’eau salée.

J’ai aussi des scotchs de chaque côté de la main pour éviter que la pagaie se balade mais le papier “ponce” m’a toujours bien convenu.

Les Secrets du Kayak - Les réseaux sociaux

Lea Jamelot : Je ne me force pas du tout à partager. Quand j’ai envie de partager, je partage. Je ne suis pas à me dire si je n’ai pas fait de publications pendant 3 semaines qu’il faut que j’en fasse une.

Souvent, j’ai des retours où les gens aiment bien être immergés dans un stage. On ne s’en rend pas compte quand ca fait des années que c’est notre quotidien que c’est un peu un truc exceptionnel. Je pense que ca plait d’être un peu dans l’intimité des stages.

Quand j’ai l’occasion, je partage mais ce n’est pas du tout une contrainte pour moi. Je suis tombée dans la communication quand j’étais petite et j’aime ca.

Par contre, j’ai toujours refusé les partenariats et postes publicitaires.

C’est juste pour partager ma passion et ma vie de sportive de haut niveau qui s’arrêtera un jour.

Les Secrets du Kayak - La frustration de l’équipage ?

Lea Jamelot : Je pense que le monoplace est un symbole de la réussite individuelle donc c’est peut être plus gratifiant.

Maintenant, je prends vraiment mon pied dans le K4, dans le travail collectif. Vraiment, j’aime ca.

A un moment, ca a peut être pu alimenter de la frustration de ne pas réussir, ne serait-ce que pour moi de me prouver que j’en suis capable. J’essaie toujours d’augmenter mon niveau individuel que ce soit pour moi ou l’équipage.

Aujourd’hui, je suis très contente quand je suis alignée sur une course en K4 parce que j’adore ca.

Ca ne veut pas dire que je délaisse le K1 mais je m’accroche.

On fait de plus en plus d’entraînement en équipage, même si cela peut rester peu par rapport à d’autres nations. Par exemple, là en stage, en 2 semaines, on a fait 3 fois du K4.

A Toulouse, j’ai fait la demande de faire plus d’équipage dans l’année. Comme il y a plein de jeunes à Toulouse, on a mis en place une séance d’équipage par semaine ce qui permet de garder le contact avec l’équipage quand on n’est pas en stage.

Après le staff considère vraiment que la valeur individuelle est très importante dans un équipage donc il est également important qu’on augmente nos valeurs individuelles.

C’est un peu complexe le système de qualification pour faire partie dub K4. Il y a toujours une petite étoile qui stipule qu’il faut que ca colle dans l’équipage. On sait aussi que l’équipage, ce n’est pas 1+1+1+1, que ca forme un tout.

C’est aussi pour cela qu’on travaille au quotidien au K4, qu’il faut qu’on s’adapte au nouveau K4 suite au départ de Sarah Troel.

Mais de manière générale, tu as beaucoup plus de chance d’en faire parti si tu finis dans les 4 premières aux sélections.

J’essaie de partager avec les plus jeunes à Toulouse parce qu’on a toute intérêt à se tirer vers le haut et à avoir un groupe solide. Plus on a des partenaires d’entraînement fortes, mieux c’est.

Ma grande force, c’est également de m’entraîner avec Manon qui est très forte.

L’objectif, c’est d’avoir un groupe solide. Bien sur que c’est dur de voir des petites jeunes nous passer devant mais c’est ce qui permettra d’aller performer en équipage à l’international.

C’est clair que l’objectif est de tirer tout le monde vers le haut.

Les Secrets du Kayak - Qu’est ce qui te motive ?

Lea Jamelot : Je n’ai jamais été très “idole”. Plus jeune, je suivais de près l’équipe de France. J’étais un peu une groupie des performers en équipe de France.

C’est rigolo maintenant de les côtoyer en équipe parce qu’il y a “largement” plus vieux que moi.

Je me souviens, quand j’étais en vacances au Canada, pendant des mondiaux à Vancouver, j’étais allée demander un autographe à Adam Van Koeverden.

Adam Van Koeverden

J’étais très compétitrice plus jeune, contre les autres. Mes parents m’ont toujours dit qu’à l’école, je voulais toujours avoir la meilleure note, qu’au cross du collège, il fallait que je fasse la meilleure performance alors que je n’ai été dingue de course à pied, ni la meilleure.

J’ai très vite été là dedans, à vouloir être meilleure que les autres.

Aujourd’hui, c’est la “sagesse” qui parle, je suis plus dans la recherche de mon potentiel maximum, de voir où je suis capable d’aller, de progresser un peu sur tous les pans : Technique, Physique, Mental, là où ca pèche. De grandir au sens large du terme.

En sport à l’école, je n’étais jamais la dernière choisie dans les sports d’équipe mais je n’étais pas non plus l’athlète de dingue au collège.

Au lycée, un peu plus. Quand tu es dans un lycée sportif, tu n’as pas que des sportifs, et que tu es sportif, tu as le droit à plein d’avantages qui donnent naissance à plein de jalousie, là, tu te sens sportive.

Les Secrets du Kayak - Remerciements.

Lea Jamelot : Pour conclure, j’aimerais remercier le PDG de Kerhis, Jo Dreau et tous les collaborateurs de la société.

Bien évidemment, mes parents, pour qui, ca a été compliqué de trouver la bonne place quand on est parent d’enfant qui ont une passion et un grand rêve. De savoir où se mettre, d’encourager, de laisser vivre.

On entend beaucoup parler des parents qui étouffent qui font vivre la carrière qu’ils auraient voulu vivre à leurs enfants ou d’autres qui sont hyper absents de la passion de leurs enfants.

Pour cela, j’ai une famille hyper bien placée là dessus et c’est quand même super cool.

Et puis toutes les filles de l’équipe, et l’équipe en général qui m’ont fait progresser, le staff, le préparateur mental depuis toujours Thierry et maintenant Boris, ma réflexologue à Toulouse Sophie…

Je ne pourrais jamais tous les citer mais c’est clair qu’autour d’un projet sportif, il y a vraiment beaucoup de monde qui gravite.

C’est aussi cela qui me plait vraiment, ce travail d’équipe où chacun apporte une petite pierre. Ca, c’est sacrément cool.

Vous pouvez retrouver Lea Jamelot sur :

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