Interview : Romain Marcaud
Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Romain Marcaud en avril 2021.
Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?
Romain Marcaud : Il fait beau alors ça va pas mal.
Les Secrets du Kayak : J'ai appris que tu avais repris la navigation, tu t'es acheté un surfski ?
Romain Marcaud : Oui, après avoir fait du kayak pendant 20 ans, même après une carrière quand tu as le virus du kayak, tu y reviens à un moment ou un autre.
Je m’étais arrêté il y a plus de quatre ans après les championnats de France 2016.
Très honnêtement je pense qu'on a une grosse mémoire technique et physiologique, ça revient super vite !
En quelques séances on arrive à faire un 10km tranquillement.
Je ne voulais pas avoir les conditions d'entraînement et d'exigence technique de la course en ligne.
Quand c'est très instable, il te faut de la préparation physique à côté.
Donc le surfski est une super alternative, j'habite proche de grands lacs et de grandes rivières, donc c'est plus accessible.
J'ai quitté le kayak en 2016, c'était les premières années du surfski.
J'ai appelé mon ancien sponsor Patrick Suranyi qui faisait toujours la marque Nelo, du coup j'ai deux surfski Nelo 560 qui fait 9,5 kg tout en carbone ! Le top du top !
Le Nelo 560 se rapproche de la course en ligne car c'est le surfski le plus instable du marché.
Mais ça reste sans discussion plus stable qu'un bateau de course en ligne.
J'ai navigué dans des conditions de grand lac avec du vent, de grandes vagues, tu prends l'eau de tous les cotés, et pourtant on était stable.
Et au niveau de la vitesse, ça dépend des allures mais sur une allure d'endurance sur 10-15 min ça va aussi vite qu'un bateau de course en ligne.
Sur des sprints c'est moins dynamique, ça va moins vite.
J'ai commencé la compétition à 8 ans, donc ça fait partie de ma vie, peu importe le sport que je pratique, je tends vers les compétition mais plutôt endurance, voir ultra !
Les Secrets du Kayak : Tu as commencé à quel âge le kayak ?
Romain Marcaud : J'ai commencé à 8 ans.
J'avais touché au tennis, au foot comme tous les gamins. Et j'ai attrapé le virus du kayak.
Mon beau père faisait de la planche à voile, donc j'en faisait.
En arrivant sur le plan d'eau un été, il n'y avait pas de vent. Il y avait un loueur de kayaks, et avec un copain de mon père on en a fait.
Je cherchais un sport pour la rentrée de septembre, il y avait un club de kayak à Nevers avec une histoire formidable, et j'ai commencé à rêver de compétitions dès mes premiers coups de pagaie.
Je n'étais pas le plus jeune du club, on devait être une trentaine de mon âge 7-8 ans.
En gros dès que tu sais nager et que tu n'as pas trop peur de l'eau, tu peux pratiquer le kayak.
Il faut juste que le matériel soit adapté.
A 8 ans tu navigues dans des petites barquettes en plastique, stable, sécuritaire, avec des pagaies adaptées, et c'est parti.
La discipline de kayak enseignée dans les clubs est très liée au territoire.
Si le club est sur les rives d'un lac, tu feras du kayak mer ou de la course en ligne.
Quand tu as un club installé en bord de rivière alpine, tu fais de la descente ou du slalom.
Nevers c'est au bord de la Loire, c'est calme, donc tu fais de la course en ligne.
Tu commences dans ce qu'on appelle chez nous des bouchons, et au fil des séances tu évolues sur des kayaks de compétition.
Moi j'ai fait mes premières compétitions à 8 ans, il y a des catégories et des challenges dans chaque région, donc en poussin première année.
Ensuite en benjamin et en minime.
Je ne me souviens pas vraiment de ma première compétition, ça devait être avec le comité départemental.
Mais je me souviens des années d'après où le comité départemental a mis en place un challenge multi activités, compétitions de descente, de slalom, de course en ligne.
Il y avait même un cross du pagayeur pour nous motiver à courir un peu, c'était les premiers pas de la préparation physique.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait les entraînements à cet âge ?
Romain Marcaud : Dès le départ mercredi et samedi après-midi.
On avait des bénévoles qui nous encadraient, nous la trentaine de gamins.
On passait beaucoup de temps à s'amuser avec des jeux sur l'eau, des bêtises, on n'était jamais sorti de l'eau à l'heure quand les parents venaient nous rechercher.
Les Secrets du Kayak : Tu te souviens de tes premiers résultats ? Est-ce qu'en minime, tu étais déjà très bon ?
Romain Marcaud : Oui, la FFCK avait sorti des statistiques là dessus.
Plus de 90% des athlètes en équipe de France junior, de moins de 23ans et senior sont passés par une médaille en championnat de France en minime.
Et j'en fait partie. Je faisais des 200m, le 1000m, le marathon...
A cette époque là, il y avait du 500m en championnat de France et du 2000m.
De poussin à benjamin, je m'entraînais deux fois par semaine, je tannais mes parents pour venir d'avantage.
A partir de minime, je m’entraînais quatre fois, je faisais deux entraînements par jour le mercredi et le samedi. Et j'ai pris les choses au sérieux fin minime.
Je n'avais pas forcément envie d'être athlète de haut niveau.
Au championnat de France en minime première année je dois faire deuxième en mono place sur le 2000m et troisième sur le 500.
Sur le championnat de France en minime deuxième année, je fais deuxième sur les deux distances en mono place.
J'étais curieux de savoir ce dont j'étais capable et jusqu'où je pouvais aller.
En cadet première année je dois faire cinquième en championnat de France, et en deuxième année cadet, je gagne les championnats de France.
Je prenais du plaisir à m'entraîner avec les anciens du club qui m'apprenaient plein de choses, c'est ça que j'aimais.
Les Secrets du Kayak : Comment se déroule ta scolarité ?
Romain Marcaud : Je fais une scolarité complètement normale.
En junior, j’intègre l'équipe de France.
Je suis resté jusqu'à la fin de mon BAC à Nevers, je ne voulais pas partir en pôle espoir.
J'étais attaché à mes entraîneurs, des anciens athlètes de hauts niveaux qui avaient fait des championnats du Monde.
Ils me faisaient rêver avec leurs histoires, je ne voulais pas les quitter !
C'est dans les équipes supérieures que j'ai commencé à réaliser que j'étais tellement accro au sport qu'il fallait, que je voulais en faire mon métier.
J'ai passé un BAC en filière économique et ensuite j'ai fait STAPS, je voulais travailler dans le sport.
J'ai fait ma Licence, et même encore à 22 ans je ne voulais pas être entraîneur de kayak, être athlète me suffisait.
Les Secrets du Kayak : D'abord athlète puis entraîneur ou les deux en même temps ?
Romain Marcaud : J'ai commencé à vouloir entraîner les autres pour une raison économique.
J'ai fait le double circuit -23 ans et senior au pôle espoir de Dijon à 20 ans, je n'avais pas beaucoup d'argent, donc mon club m'a embauché pour les week-end, c'est là que j'ai commencé à entraîner et j'y ai pris goût.
J'avais passé un monitorat en catégorie cadet donc j'avais le diplôme pour être salarié.
J'ai commencé à entraîner les poussins et les benjamins.
A la fin de ma Licence, j'ai été obligé d'aller au pôle France de Nancy.
J'avais fini ma Licence j'étais en première année de Master, j'ai passé mon BE1 en 2009 et mon BE2 en 2010.
J'avais pas le choix de de tout concilier, travail et entraînements.
A l'époque, la fédération obligeait à avoir un double projet pour avoir un complément de statut d'athlète de haut niveau, du coup grâce à mes résultats au club de Nevers je me suis de suite fait recruter comme entraîneur au club de Nancy, c'est à dire dès septembre 2010.
Les trois années auparavant, j'avais réussi à placer des athlètes du club de Nevers en équipe de France junior, des médaillés aux championnats d'Europe, donc toujours athlète j'ai pu me faire recruter entraîneur en même temps au club de Nancy.
J'ai toujours eu à cœur d'entraîner l'ensemble de la filière au même moment.
J'entraînais la semaine les athlètes qui cherchaient à intégrer le haut niveau, mais les mercredi et samedi après-midi j'encadrais les écoles de pagaie.
J'avais besoin de faire ce grand écart. D'entraîner les petits me permettait de comprendre certaines choses chez les athlètes plus tard.
Quand j'ai intégré l'équipe senior, c'est au lendemain des Jeux Olympiques d'Athènes en 2004 qui ont été une hécatombe pour la fédération Française de canoë-kayak en discipline de course en ligne.
Il n'y avait eu qu'un seul kayak homme aux jeux d'Athènes.
A cette date j'étais senior première année.
Donc dès 2005 la fédération a mis en place quelque chose pour les jeunes : un programme pour décrocher un max de jeunes, pour obtenir les quotas pour les Jeux de Pékin.
Comme Maxime Beaumont j'en ai profité, dès senior deuxième année je fais cinquième au championnat de France élite, du coup on a fait les deux circuits (moins de 23ans et senior) en même temps.
Ce programme consistait à emmener les jeunes avec les senior sur tous les stages, pour transmettre un maximum de choses avant les sélections, pour partager les stages de Bâbak Amir-Tahmasseb ancien champion du Monde.
Ça a eu des bons coté et des moins bons.
Je m'entendais super bien avec Bâbak, on avait couru ensemble les championnats du Monde en K4 ensemble.
C'était bizarre, il y avait des gens heureux comme lui de pouvoir transmettre cette notion de performance, et il y en avait d'autres qui étaient un peu jaloux qu'on leur prenne leur place.
Il fallait avoir un respect pour les anciens.
En kayak tu es à la fois adversaire et coéquipier en fonction de comment tu coures.
Tu n'as parfois qu'une nuit pour changer mentalement d'état d'esprit vis à vis des autres : la veille adversaire en K1, le lendemain matin coéquipiers en K4.
Du coup je fais les championnats du Monde en 2005, je fais neuvième en K4, donc plutôt bonne performance pour une première année.
En 2006 dixième, et en 2007 il faut faire dans les huit premiers pour décrocher sa place pour les quotas.
En K4, on fait dixième donc on n'a pas sélectionné le bateau pour les Jeux de 2008.
Du coup, j'ai fait la saison moins de 23ans.
Je n'ai pas vu ça comme un échec, j'avais toute ma carrière devant moi.
Il y avait encore toute la saison internationale. Et passer de rien à dixième chez les senior en trois ans, ce n'est pas donné à tout le monde.
2008, on me dit que je n'ai plus d'avenir au pôle espoir de Dijon, et j'ai fini ma Licence avec Gilles Cometti en directeur de promo.
Je suis forcé d'aller à Nancy, et le changement est bizarre.
Ça chamboule tout, je passe à côté des sélections en 2009.
J'y ai perdu tout mes repères. A Dijon tu vis ta vie d'étudiant à fond, il y avait une solidarité de dingue, on est des potes, on s'entraîne comme des dingues.
Et là j'avais perdu tout ça !
Les entraîneurs, l'entourage, le comité n'était plus le même. Il n'y avait plus d'émulation.
En 2009 je n'arrive pas à rentrer en équipe de France, et il y avait un championnat de France de marathon et j'y fais quatrième.
Donc en 2010, je pars sur la longue distance et je m'y spécialise, c'est en général sur 32 - 35 km avec des portages. C'était des boucles de 6 km.
Pour les sélections équipe de France, je me spécialise sur le 200m, qui est une nouvelle discipline qui entre au Jeux en 2012.
Je fais quatrième français. Mais devant moi j'ai Maxime Beaumont, Sébastien Jouve et Arnaud Hybois, de gros champions donc moi je suis remplaçant, je rentre à la maison.
Quand on les regarde, être quatrième après eux, je n'ai pas trop à rougir.
Les sélections sur marathon se faisant après les sélections de sprint, le lendemain du sprint je bifurque sur le marathon, en gros c'est 38km d'endurance avec un sprint sur les 200 derniers mètres.
Les entraînements sont différents quand tu prépares le marathon.
Mais en 2010 lorsque je suis champion de France en marathon en monoplace, en même temps je fais quatrième aux sélections et en championnat de France sur 200m.
J'ai une polyvalence que je n'explique pas trop.
Quand je préparais les sélections pour le sprint je ne faisais vraiment que de l’entraînement spécifique sprint.
Je n'ai jamais mixé les pratiques, j'ai toujours fait les choses à fond.
J'ai toujours mis toutes les chances de mon côté pour réussir.
Les Secrets du Kayak : Après être champion de France marathon tu enchaînes sur les compétitions internationales de cette discipline ?
Romain Marcaud : Les championnats de France de marathon avaient eu lieu en septembre donc à la fin de la saison de marathon.
En 2010, je suis champion de France devant Cyrille Carré en monoplace.
Mais auparavant j'étais entré en équipe de France en marathon au mois de Mai.
Et j'avais gagné trois coupe du Monde en biplace avec Edwin Lucas, on avait gagné trois coupes du Monde et on avait fait sixième aux championnats du Monde.
Ma première compétition en marathon, c'est une coupe du Monde et on la gagne.
La priorité restait quand même la course en ligne, même si cette porte de sauvetage qu'est le marathon est belle, je continue de viser les Jeux de 2012.
Et donc pour les Jeux de 2012, je reste remplaçant derrière les trois cadors !
Je suis resté quatrième français jusqu'en 2012 sur le 200m, mais aussi parce que le k4 n'était pas qualifié en 2012.
Je suis la quatrième roue mais je suis super content pour eux ! Quand tu les vois gagner à la coupe du Monde au Portugal, je ne suis pas dégoûté !
Les Secrets du Kayak : Comment tu fais pour concilier ton métier d'entraîneur et ta carrière d'athlètes, avec tous les stages que ça implique ?
Romain Marcaud : Les journées commencent tôt et elle finissent tard. On ne compte pas les heures.
Je m'entraîne deux à trois fois par jour et le reste du temps je suis entraîneur.
Donc je m'entraîne en fin de matinée, je mange à l'arrache, j’enchaîne les deux entraînements à partir de 16-17h et je termine à 21h.
Ça toute la semaine, le week-end on part en compétition.
J'y fais mes courses et je coache les jeunes qui font les leurs.
Les jeunes me le rendent bien puisque ça gagne.
J'ai fait rentrer des athlètes en équipe de France, en équipe régionale, en championnat de France minime et en équipe de France junior.
Les Secrets du Kayak : Au bout de combien de temps, tes athlètes arrivent à tenir dans un bateau de course en ligne et s'y exprimer ?
Romain Marcaud : Ca dépend du gabarit, plus le gamin est grand et élancé plus il aura de mal.
Je dirais au bout de deux ans et demi de pratique pour vraiment savoir pagayer correctement dans un bateau de course en ligne. En deux mois tu peux tenir dedans, mais pour vraiment s'exprimer je dirais deux ans et demi.
Pour être plus à l'aise, l'eau vive n'est pas obligatoire, tous les clubs n'en ont pas les moyens.
Mais je pense que la pluridisciplinarité pour les jeunes, c'est le meilleur moyen pour les jeunes d’apprendre à aller vite, rester stable en fonction des éléments, et s'adapter à l'instant T pour passer une porte ou un piquet.
Pour moi il faut toucher à toutes les formes de kayak avant de se spécialiser dans sa discipline.
A Nancy, le pôle nautique est magnifique, tu as le luxe d'avoir une rivière artificielle de 400m au bord du club.
Tu as une retenue d'eau au dessus d'un barrage qui fait 7km de long, et le dénivelé du barrage était utilisé pour faire une rivière artificielle de 400m.
Le top pour l'enseignement du kayak !
Les Secrets du Kayak : Pour revenir sur tes explications sur les gabarits, quel est ton gabarit à toi ?
Romain Marcaud : Quand j'étais athlète je faisais 1,92 m pour 92 kg.
Je suis lourd mais bien costaud pour les sprint. En fait, je gagnais les marathons aux sprints.
Je tournais les courses à mon avantage.
J'ai gagnais de plusieurs manières mais je glissais sur la vague et je gagnais le sprint à la fin.
Les Secrets du Kayak : En tant qu'entraîneur, c'est toi qui gérais aussi la préparation autour du kayak, la course à pied… ?
Romain Marcaud : Oui, à Nancy j'avais mon BE2, j'étais chargé de développement et de compétition.
Donc j'étais chargé de gros projets d'investissement sur le pôle nautique, et je m'occupais des écoles de pagaie, des petits aux compétiteurs, avec musculation, course à pieds, bateau...
Aussi la préparation physique et technique en bateau.
La course à pied et la préparation physique est présente depuis longtemps au kayak, je pense que ça vient aussi de la saison.
Les compétitions s'étendent de mars à octobre, et la période hivernale est propice a faire de la préparation physique pour pouvoir être bon à partir du printemps dans le bateau.
La course à pied c'est aussi un choix économique, tu as besoin d'une paire de basket, d'un cuissard et c'est parti.
Dès que tu parles de vélo, de ski de fond... ça demande du matériel, des déplacements, c'est moins facile d'accès.
Pour la musculation, je prenais en compte la physiologie des gamins.
On commençait toujours par du poids de corps, de la base type tractions, pompes, squats... et après on entamait la musculation que dans un processus de gagner des médailles et intégrer le haut niveau.
Donc la musculation c'est en complément d'un projet de haut niveau.
On pouvait commencer vers 16 ans en fin de cadet.
Orientation développé couché et tirage planche, parce que on avait des tests hivernaux de préparation physique avec un test de 5000m de course à pied et un exercice de tirage planche et un exercice de développé couché.
La fédération a inventé des choses sans trop d'expérience ou de tests physiologiques.
Quand j'étais au pôle espoir à Dijon, de 2005 à 2009, j'ai eu la chance d'avoir comme préparateur physique Gilles Cometti entre autre, au CEP qui gérait notre préparation physique, donc j'avais un gros avantage, j'étais très fort très jeune en bateau.
On touchait quelque chose d'ultra pointu pour aller vite en bateau.
On avait des tests de puissance réguliers pour mesurer la progression, avec de nouvelles méthodologies de musculation avec les programmes bulgares, avec en complément des partie barres et machine à pagayer... j'en ai de super souvenirs !
Tout le CEP était équipé de machine Technogym à la pointe, chose que je n'avais pas à ma disposition au pôle de Nancy pour moi entraîner les jeunes.
Les Secrets du Kayak : Est-ce qu'au final la fédération par tout ce process ne force t-elle pas les jeunes à se disperser dans ces disciplines de musculation, plutôt que de se concentrer sur l'objectif principal, aller plus vite en kayak ?
Romain Marcaud : Je pense que le monde du canoë-kayak en course en ligne est fait de beaucoup de croyances et peine à avancer dans l'expérimentation et le domaine scientifique.
Dans les clubs c'est vraiment archaïque, je ne parle pas du haut niveau mais des clubs. Ça fonctionne à l'ancienne.
Après ça demande du budget, le kayak dans son ancrage mental reste très lié à la descente de rivière, donc sortir de ce format pour aller chercher un format économique qui va permettre d'aller plus loin dans la recherche scientifique et ainsi de suite, c'est assez loin des valeurs que le kayakiste a à son départ.
Les Secrets du Kayak : Quand tu entraînais les jeunes, quels étaient les défauts techniques qui revenaient le plus souvent ?
Romain Marcaud : Mes jeunes étaient les meilleurs du monde, ils étaient top, ils n'avaient aucun défaut !
Plus sérieusement, le défaut technique : ne pas assez prendre son temps, ne pas penser assez au coup de pagaie à droite, puis celui que tu mets à gauche.
Le jeune pense trop au pagayage dans la globalité et pas assez comme une unité de pagaie droite puis gauche.
En gros, ils ne posaient pas leurs coups. Souvent, le pagayage sert à équilibrer.
La concentration et le placement combiné à la technique de pagayage leur sert à avoir une meilleure propulsion et donc d'équilibre afin de gagner en vitesse.
Avec mes jeunes, on faisait les zouaves, des jeux de stabilité pour gagner en équilibre.
C'est vraiment de la sensation pure, enseigner de l'équilibre c'est compliqué !
Les Secrets du Kayak : Est-ce que les exercices d'équilibre en dehors du bateau ça aide ? J'ai l'impression que non !
Romain Marcaud : Il y a eu une mouvance sur les SwissBall, mais comme toi je peine à valider les choses qui ne sont pas mesurables.
Je n'en suis donc pas convaincu. Je ne vois pas comment tu peux mesurer une progression.
Sur l'eau, tu n'anticipes pas la vague, c'est affaire d'adaptation.
Exemple, je fais de la slackline.
Alors, je suis très stable en bateau de course en ligne, je peux rester debout dedans mais en revanche je suis incapable de rester debout sur une slackline.
Pourtant on est sur quelque chose de mouvant comme au kayak.
Donc je pense que ce que l'on sent dans le bateau, c'est relié au bateau et ça n'est pas retrouvable dans quelque chose d'autre.
Je ne suis pas sur que tu puisses avoir un transfert.
Les Secrets du Kayak : Pour reprendre sur ta carrière en 2012, tu es remplaçant de luxe. Est-ce pour les Jeux de 2016 tu te demandes si tu continues ?
Romain Marcaud : Oui, je me pose la question.
Jusque 2012, je fais partie de l'équipe de France de marathon.
Entre 2010 et 2012, j'ai gagné cinq ou six coupes du Monde. Je suis vice champion du Monde et champion d'Europe en marathon. Ça se passe bien.
2012 je suis remplaçant aux Jeux, et je suis devenu plus entraîneur qu'athlète.
J'ai peiné à me mettre dedans. Je voulais vraiment intégrer le sprint pour 2016.
Donc 2013-2014, je fais parti du groupe élite au 200m.
Entre temps mon président de club de Nancy Philippe Kowalski, sent que ça va être compliqué pour moi d'aller aux jeux en 2016 avec les trois cadors, parce que si j'y vais c'est pour l'or ! Et j'en ai pas le niveau.
Il me met au défi d'emmener quelqu'un du club en 2016, c'est ma mission.
C'est en 2012 que je mets en place mon groupe d'entraînement au club de Nancy, avec mes meilleurs athlètes, ils sont 15 dont moi.
Il en faut un aux Jeux. Je ne sais pas qui à les capacité d'y aller.
Je lis beaucoup de choses sur les entraînements des handballeurs via Claude Onesta, sur les entraînements de biathlon de Martin Fourcade, je suis très curieux et je constitue mon groupe dont je fais parti pour les emmener le plus haut possible jusqu'en 2015, pour en extraire un ou plusieurs qui ont le potentiel d'aller aux Jeux.
C'est un groupe commando, tous les jours on repousse les limites en s'entraînant plus dur que la veille. Toutes les vacances, on fait des stages plus durs que les précédents.
Ça amène beaucoup de performance ! J'ai Amélie Marchal qui intègre les équipes de France en marathon, et qui fait sixième aux championnats d'Europe.
J'ai Martin Artère en canoë qui intègre l'équipe de France junior.
Ce groupe est hyper solidaire, et Nancy devient le sixième club français parce qu'on récolte des médailles aux championnats de France !
Du coup ce groupe évolue en grandissant, ce n'est pas un groupe d'entraînement c'est un groupe de vie !
Ils partagent la même chambre, le même lycée, je met une section sport étude en place.
Et j'ai plein d'athlètes extérieurs que tu connais d'ailleurs, qui viennent se greffer au groupe, qui changent de club pour s'inscrire au club de Nancy et intégrer ce groupe de commando. Je pense à Francis Mouget. Donc de 2013 à 2016.
Dans ce groupe qui a commencé en 2012, il y a une jeune femme Amandine Lhote, qui a intégré le groupe en fin 2013, que je connais bien.
A la naissance du groupe elle ne faisait pas partie de ça, elle avait arrêté le bateau en 2008 suite à des problèmes physiologiques, et quand elle a vu ce groupe fonctionner, je peux le dire parce que c'est ma compagne, ça lui a redonné envie de se remettre au bateau.
Moi je m'entraînais avec eux mais je les suivais aussi en bateau à moteur.
Les jeunes m'ont boosté avec leur fraîcheur, leur aspect léger, on a tous progresser.
Amandine a intégré le groupe en 2012 et c'est en 2014 qu'on l'a identifiée comme pouvant aller aux Jeux.
Elle a décroché les quotas au championnat du Monde en 2015 à Dunan, elle va aux Jeux, et moi je suis son entraîneur.
Non, je ne suis pas satisfait du résultat mais avec des années de recul, le résultat ce n'est qu'une place marquée sur un bout de papier, rien d'autre.
C'est 1min30 de course dans une carrière sportive, donc ce n'est pas ça qui est important.
Ce qui est important c'est ce qu'on a vécu, ce qu'on a appris et comment on retranscrit les choses maintenant dans notre vie sociale, privée et professionnelle.
Tout ce qu'on a appris est valable dans notre vie, ce n'est pas une rafale de vent ce jour là qui va discréditer tout ça.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que d'avoir envoyé Amandine en tant qu'entraîneur, c'est aussi gratifiant que d'avoir fait les Jeux ?
Romain Marcaud : Ce n'est pas équivalent, mais c'est un projet qui a été co-construit à deux, c'est un défi, et quand tu vois ta compagne qui est aussi ton athlète mettre sa plaquette de porte numéro, après tout ce qu'elle a vécu... ça envoie !
Je me suis payé mon billet d'avion et j'y suis allé officiellement en spectateur.
J'ai profité de tout, les nuits étaient courtes, je voulais pouvoir profiter de tout.
C'est formidable, non descriptible.
C'est beau physiquement et mentalement, ce sont de belles valeurs.
Il n'y a pas trop de triche, les valeurs du CIO sont fidèles sur place. C'était énorme !
Les Secrets du Kayak : Après les Jeux, tu t'interroges sur une retraite ?
Romain Marcaud : Je suis très réaliste, je ne me mens pas à moi même : en étant à fond j'ai raté le coche.
La force de l'âge est passée, je ne vois pas ce que je peux mettre en place de plus.
Peut-être qu'il me manquait quelque chose pour y aller, j'ai peut être fait des erreurs, mais arrivant à 35 ans en 2020 je ne vois pas ce que je pouvais mettre en place de plus pour y arriver.
Et en même temps, Amandine a fait les Jeux Olympiques, moi j'ai récolté pas mal de médailles à l'international, c'était le bon moment pour arrêter tout ça.
J'arrête également ma carrière d’entraîneur pour une raison que toi peut être tu vas comprendre : je ne me vois pas être entraîneur sans être à 100%.
Pour moi ça demande d'être impliqué : pas de week-end, pas de jours fériés...
Entraîneur de haut niveau ou pour un athlète qui cherche à intégrer le haut niveau, tu ne peux pas demander le meilleur à ces personnes si toi tu travailles qu'un certain nombre d'heures par semaine.
Moi si je suis entraîneur c'est H24 et c'est épuisant, c'est dur à tenir, tu n'as pas de vie sociale.
Fin 2016 on est arrivé au bout du processus, et je n'avais plus l'énergie pour continuer avec la même rigueur l'olympiade d'après.
Pour moi, mon métier d'entraîneur est arrivé à une date d'expiration, donc j'arrête fin 2016.
Le club a changé de président, je ne m'entend pas avec lui, ça devient compliqué.
J'ai deux ans de chômage pour réfléchir. Pendant deux ans, je ne remonte pas dans un bateau.
Mes derniers coups de pagaie c'était pendant 2016 la récupération après la finale du 200m en K4 où on fait vice champion de France.
Et même si j'en faisais tous les jours, on a tellement de sensations en mémoire et tellement moins le niveau que tu fais le choix de ne plus pratiquer. On balance tout, on revend tout, j'achète une paire de basket, et je me mets à courir, je me suis mis au trail.
Directement en vacances à Rio De Janeiro, juste après les Jeux on y est resté une semaine après les Jeux avec Amandine.
Et quand tu es sportif, que toute ta vie tu t'es entraîné trois fois par jour, tu ne peux pas rester dans ton canapé à ne rien faire, tu trouves autre chose.
On aime beaucoup la nature, donc c'était le meilleur moyen d'en profiter et de s'évader un peu.
Alors j'avoue que maintenant je ne fais que de l'ultra trail, donc des courses de 120km, je suis le plus gros sur la ligne de départ. Mais je ne suis pas le moins performant !
Au début je ne m'entraîne pas tous les jours, quand tu fais 100kg les rotules et les chevilles prennent de méchants coups.
Donc au départ quand je cours 20-25 km j'ai mal partout, donc je complémente avec du vélo et aujourd'hui je cours tous les jours sans problème, sauf actuellement du fait d'une blessure.
Les Secrets du Kayak : Et pendant cette période de chômage, tu as eu l'illumination de ce que tu allais faire par la suite ?
Romain Marcaud : Oui ça été assez court. Fin 2016, Amandine prend aussi quelques mois de vacances pour réfléchir.
On a envie de construire une vie de famille : on est ensemble depuis 2003, on a plus de trente ans, on s'est installé dans la vie... on ne se voit pas rester à Nancy, on y a vécu par contrainte, par obligation.
On imagine notre vie de famille ailleurs, et on connaissait une petite bourgade qui nous plaisait bien pour y avoir fait tous nos stages de Kayak depuis 2005, Marcillac-La-Croisille.
Il y a une station sport nature avec de l’hébergement, de la restauration et toute une structure de loisir autour des activités nature.
J'avais toujours dit à la directrice que le jour où elle voulait arrêter cette activité, de m'appeler parce que je voulais le poste.
En juin 2017, elle m'appelle pour m'annoncer son départ !
Je t'avoue qu'en deux mois j'avais postulé à plus de 250 postes en France. On voulait vivre à la campagne, dans un endroit isolé en totale cohérence avec nos valeurs nature, d'écologie et de vie.
Et finalement au mois de juillet j'ai été pris comme directeur de cette structure. Donc on avait un mois et demi pour déménager de Nancy pour la Corrèze !
Les Secrets du Kayak : Tu as pas mal parlé d'avoir envie d'une vie sociale, est-ce que ça veut dire que quand on est entraîneur et athlète de haut niveau, on n'a pas de vie sociale ?
Romain Marcaud : On a une vie sociale mais tronquée puisqu'elle tourne autour de ce milieu là.
C'est à dire que tu vis kayak, tu manges et dors kayak, tes amis sont kayakistes !
Il n'y a pas vraiment d'ouverture extérieure. Quand tu es à fond dans une discipline, tu n'as pas l'énergie d'aller en voir une autre.
Je n’apparente pas notre vie à un sacrifice parce qu'on a toujours aimé ce qu'on faisait, et avec envie.
Mais on a eu l'impression d'avoir fait le tour de ce monde là. Un monde qu'on connaissait par cœur, qui n'allait pas changer ! On voulait voir autre chose.
Donc je dirige une base de loisir qui fait de l'hébergement de la restauration, et des sports de pleine nature (vtt, tir à l'arc, accrobranche, de l'escalade... ). J'ai sept employés à plein temps, en pleine saison j'ai vingt employés l'été.
L'hiver c'est calme mais j'invite des clubs de kayak à venir découvrir ce petit bijoux pour des stages d'entraînement, comme nous on pouvait faire les nôtres à l'époque.
C'est un lac qui fait 230 hectares, 8km de long. C'est un endroit très encaissé en pleine nature.
Il y a douze habitants au m². Tu as plus de chance de croiser des biches au bord de l'eau que des gens.
C'est un lac de barrage, de retenue d'eau avec au plus profond quarante mètres.
Il est assez tortueux, donc il y a forcément une partie du lac abrité du vent.
Et donc Amandine va m'y rejoindre au mois de septembre, elle passe son BP activités pour tous pour encadrer toutes les activités sportives.
Le sport fait partie intégrante de notre vie, on en a besoin, sinon on devient insupportable. Amandine me pousse à en faire dès qu'elle constate que je deviens pénible.
C'est notre nature de faire du sport ! Si tu n'en fais pas ça ne va pas ! Comme si ta pile d'énergie doit se vider pour te permettre de t'endormir.
Les Secrets du Kayak : Tout à l'heure on parlait, musculation, course à pied, PPG, équilibre, etc. Est-ce que tu as beaucoup utilisé l'ergomètre pour toi même ou pour tes athlètes ?
Romain Marcaud : Je l'ai beaucoup utilisé dans deux phases.
Une phase de dépouille, il permet de rester fixe et stable donc physiquement tu peux aller au delà de tes limites lactiques. Ça c'est le top !
Et l'autre phase est plutôt en musculation, une fois que tu as fait une bonne séance d’excentrique, essayer de replacer une technique gestuelle de qualité, pour remettre de la technique après de la fatigue musculaire. Tu as plus de chance d'avoir une technique qui soit belle, le jour de la course.
Les Secrets du Kayak : Toi qui a été remplaçant de luxe toute ta carrière, et avec ton recul et ta double casquette, si tu devais changer quelque-chose dans ta carrière, qu'est-ce que tu changerais pour être un meilleur athlète ?
Romain Marcaud : C'est compliqué ! Je dirais que ma double casquette ne m'as absolument pas gêné dans ma quête de performance en tant qu'athlète.
Ça m'a poussé à la recherche qui m'a aussi profité personnellement. J'étais payé pour ça.
Ce que je changerais peut être, c'est certains entraîneurs qui m'ont orienté dans de mauvaises directions. Qui m'ont fait perdre du temps, qui m'ont fait ralentir sur de la gestion de course, et qui m'ont fait douter.
J'étais spécialiste pour le sprint. Sur les 500m et sur les 1000m je gagnais les courses en partant de derrière pour tout remonter les adversaires, c'était galvanisant un truc de dingue ! J'étais hyper fort !
Et on m'a dit que si je n'étais pas dans la tête de course dès le départ, je ne gagnerai jamais.
Il a réussit à m'y faire croire, ça m'a dégoûté ! En tant qu'athlète c'était sa façon de gagner, donc ça ne pouvait pas se faire autrement ! J'ai persisté longtemps comme ça.
Donc il faut vraiment s'entourer de personnes compétentes et bienveillantes.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu voulais aborder d'autres points ?
Romain Marcaud : On pourrait en discuter 10-15 heures, il n'y a pas de limite !
Juste rappeler que athlète de haut niveau c'est une tranche vie, qui a une date de péremption, il faut y être préparé.
Et être conscient que tout ce qu'on a appris pendant cette période, c'est transférable dans sa vie professionnelle et dans sa vie personnelle.
Certes on gagne des médailles, mais aussi des valeurs ! Et c'est ça le plus important.
Et ça souvent on s'en rend compte quand on n'a pas la médaille. J'ai eu la chance de vivre les deux, gagner la médaille et ne pas la gagner, et je n'en serais pas là aujourd'hui si je n'avais pas été athlète de haut niveau.
Vous pouvez retrouver Romain Marcaud sur son compte instagram.