Interview : Bâbak Amir-Tahmasseb
Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Bâbak Amir-Tahmasseb en avril 2021.
Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Tout va bien, période un peu compliquée pour tout le monde, mais en bonne santé. Donc tout va bien.
Les Secrets du Kayak : Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter, notamment dans le milieu du kayak ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Alors, question un peu piège !
Je suis un ancien kayakiste qui garde la discipline dans son cœur.
J'ai commencé le kayak en 1987. J'ai arrêté ma carrière sportive en 2007.
J'ai vingt années de pratique assidue.
Les Secrets du Kayak : Comment tu as commencé le kayak ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Classique, j'étais à Strasbourg, il fallait se mettre au sport avec mon grand frère donc ma mère nous a inscrit au club à côté de la maison.
C'était pratique pour elle en terme d'organisation qu'on fasse le même sport.
Ça a démarré sur un malentendu classique.
Avant ça je ne faisais pas d'autres sports, c'est ma seule licence sportive à 11 ans au club de Strasbourg Eaux-Vives qui s'appelait à l'époque l'ASCS association des cheminots de Strasbourg.
Je ne me souviens pas du tout de ma première séance de kayak.
Je me souviens de belles rigolades, de mes années d’adolescence au club, des stages en course en eaux-vives dans les alpes, de plans galères, de compétitions en Suisse, de soirées pluvieuses...
A Strasbourg, tu n'avais pas d'obligation à faire de l'eau vive mais le club est devant des chutes et un bassin de slalom, historiquement c'est la pratique de la descente plus que du slalom qui est instaurée au sein du club.
Le bassin s'y prête d'avantage, dans la mesure où l'Ill traverse la ville de Strasbourg.
Il y a un peu de courant donc c'est plus sympa.
C'est aussi une culture des éducateurs, c'est Bruno Dazeur qui tenait le club et qui vient de partir à la retraite tout récemment, c'est la dynamique de club instaurée pas Daniel Soerensen pendant longtemps.
Moi ça ne m'a pas empêché de faire de la descente de rivière, du slalom pour me sélectionner en cadet.
En minime, j'ai fait toutes les régates de l'espoir en course en ligne avec la ligue d'Alsace.
J'ai fait les championnat de France en cadet et en junior dans les deux disciplines à chaque fois.
Ça ne m'a jamais bridé !
C'était pas vraiment courant à l'époque de toucher à toutes les disciplines du kayak, je pense que cela dépendait de la sensibilité des éducateurs.
Quand tu es jeune, tu pratiques ce qu'on te propose.
En junior 1 donc en 1993, on a fait quatrième aux Championnats de France de kayak polo.
En hiver à Strasbourg comme il faisait froid, on avait des séances en piscine le samedi soir.
On a fait quatrième en D1 pour un club qui n'a pas vocation à faire un kayak polo à la base.
Ce sont plus des opportunités de calendrier ou de saison, ou de rigolade.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as rapidement fait partie des plus forts ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : A partir de minime 2, j'ai du commencer à me détacher des autres.
En minime, je faisais quatrième aux championnats de course en ligne en 2000m et en 1000m, donc en première expérience.
Comme c'est du régional, forcément tu es un peu au dessus du lot, dans les leaders de ta région.
Et en cadet, j'étais sur le podium en descente et quatorzième en slalom.
Entre les deux, j'ai du faire troisième en descente et septième en slalom.
J'avais été champion de France en 5000m en course en ligne à l'époque.
Oui donc dès cadet, j'ai commencé et en junior j'ai été champion du Monde en descente de rivière.
J'étais leader en descente et en course en ligne puisque j'avais gagné tous les championnats de France en course en ligne.
J'ai accédé au senior en gagnant des finales, je devais être six ou septième français sur les 500m et 1000m à l'époque.
Et de 1997 jusqu'à Athènes j'ai un peu tué le match, puisque j'ai gagné en discontinue en France toutes les années suivantes, sur des compétitions internationales en coupe du Monde, en championnat Olympiques.
Les Secrets du Kayak : Est-ce qu'à partir de minime lorsque tu as de bons résultats, tu as l’ambition de devenir sportif de haut niveau en kayak ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Ah non ça ne se passe pas comme ça ! Moi, je me marrais en minime.
On pariait des bouteilles de limonade avec mon frère pour moi rattraper les concurrents en descente ou si je gagnais en course en ligne, c'était de la rigolade.
Je ne suis pas du tout fan de regarder du sport ou d'être spectateur.
Moi je voulais pratiquer, vivre l'émotion de ce que je faisais.
Même les Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, je ne les ai même pas regardé. J'étais dans mon monde.
C'est aussi un peu pour ça que je passe à côté des sélections des Jeux de 1996, je ne m'étais pas rendu compte de l'enjeu des JO.
Je ne m'entraînais pas vraiment avant junior ! Il ne faut pas que les jeunes m'écoutent là, faut pas le dire !
J'avais tendance à m'entraîner que trois à quatre fois max par semaine.
En Alsace tu fais beaucoup de ski en hiver, beaucoup de VTT dans les Vosges, je faisais pas mal de sport dans le cadre du collège-lycée et UNSS.
J'avais pas mal de diversité de pratique au final, et je pense que cette polyvalence aide pour toute les disciplines.
Il faut toucher à tout quand tu es jeune, ça adapte ton corps, ta gestuelle, ton mental, et après tu te concentre sur ta discipline en pleine maturité de carrière.
En junior quand tu vises un titre mondial naturellement tu deviens de plus en plus exigeant.
C'est un entonnoir vers le sport de haut niveau qui pour ma part s'est dessiné naturellement.
Je ne suis jamais allé en pôle espoir ou sport étude ou des choses comme ça.
Je suis toujours allé dans des collèges et lycées classiques sans trop d'aménagement horaire.
Je me suis adapté, et après il y avait l'exigence des études.
J'étais dans un univers familial qui m'imposait de faire des études, je ne devais pas faire du sport au détriment des études. Je devais donc réussir les deux.
J'ai fait des études basiques, et quand j'ai eu mon BAC je voulais faire des études dans le commerce international mais je me suis rendu compte que ça ne serait pas compatible, je venais de faire les championnats du Monde Junior, j'avais d'autres ambitions sportives.
Je ne connaissais pas les dispositifs d'aménagement comme on peut le voir aujourd'hui. Je suis passé à coté d'un truc.
J'ai pris une filière STAPS un peu par dépit mais c'était cool, j'ai fait ma Licence à Édimbourg en Erasmus ce qui m'a apporté tant sur la langue, les études, le sport et l'autonomie.
Je suis monté à l'INSEP en 1998 sur la fin de mes études sur un pôle France à 22 ans.
Ça n'a jamais été un objectif de rentrer en équipe de France, c'était la suite logique.
C'était lié à la performance et non pas au résultat.
Je dissocie beaucoup les deux : la performance c'est toi qui la réalise, c'est ce que tu produis, c'est la gestion de ton émotion, de ton corps, de l'effort.
Le résultat d'être champion du monde, d'être huitième, d'être en équipe de France, d'être au dessus ou en dessous de la ligne des sélectionnés, ça dépend d'autres gens, de tes concurrents, de tes entraîneurs, des sélectionneurs, du système de sélection.
Si j'ai un conseil à donner aux sportifs, c'est de se concentrer sur leur performance, et que le résultat se dessinera en fonction de leur performance !
Le résultat ne vient pas de toi au final même si tu fais ta meilleure performance.
Les Secrets du Kayak : Quand tu deviens champion du monde junior de descente, tu gardes des souvenirs de cette compétition ? Est-ce que c'est une consécration pour toi d'être champion du Monde de descente ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Je vais répondre un truc ridicule aujourd'hui...
J'étais sélectionné aux Monde course en ligne à Amsterdam, et aux Monde de descente aux USA.
Et en fait, j'ai choisi la descente juste parce que c'était sympa d'aller aux USA.
C'était mon choix « stratégique » de gamin de 18 ans.
On était un petit groupe. Je suis désolé, je n'ai pas plus de souvenir. Que des photos que je regarde de l'époque, mais ça n'a rien de comparable aux titres senior ou olympique.
Il ne faut pas s'emballer en junior.
En senior 1 j'ai fait les deux pratiques, j'ai fait une coupe du monde à Beauvais en senior1, et en fait j'ai arrêté en milieu de saison car les calendriers étaient mal fait, il y avait deux coupe du monde à la même date !
C'est compliqué quand tu fais les deux disciplines et que tu es bon dans les deux, de concilier les deux calendriers.
Donc en senior 1 je me suis concentré sur un sport Olympique.
Je devais être sixième ou septième à l'époque. Ma performance des années 1995-1996 me positionnait en milieu de finale française.
Et quand ma performance s'est améliorée, j'étais un peu tout seul.
1995-1996, je suis en Staps à Strasbourg en DEUG.
1997 je pars à Édimbourg, et c'est l'année où j'explose ! Je gagne dans toutes les distances.
Édimbourg c'était une année dans le froid de l’Écosse, ce sont vraiment des conditions de merde, mais ça m'a transformé.
Et après les Jeux de d'Atlanta de 1996, il y a eu Kersten Neumann, un Allemand qui a été recruté.
Il est arrivé avec des plans cadre pour l'ensemble des athlètes, et du coup quand je suis parti à Édimbourg, j'ai suivi cette programmation là.
Je suis passé d'une programmation club à une programmation cadre fédérale, qui pour l'époque était très bonne.
A Édimbourg, j'étais avec un très bon ami du club de Colmar, Rémi Clermont, à deux en Erasmus à s'entraîner footing bateau musculation, ensemble tout le temps.
Lui faisait de l'eau vive, moi de la descente, ça ne nous a pas empêché de progresser.
Les Secrets du Kayak : Quand tu rentres d’Édimbourg, tu vas à l'INSEP ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Non c'est la rentrée d'après en septembre. Je rentre en France au printemps.
Je pars là bas pour finaliser mes études : je suis rentré en formation professeur de sport à l'INSEP ensuite j'ai eu le concours. C'était une trajectoire universitaire.
Le fait de s'entraîner en pôle France permet de s'entraîner tous les jours avec d'autres, tu te tires vers le haut.
Il n'y a pas de recette non plus, il y a des gens qui arrivent sur des structures où ils y a une forte densité de confrontation, ils se crament tous les jours et ils n'arrivent pas à lever le pied quand il le faut.
Quand tu es dans ton club, peut être que tu gères mieux la fatigue, et les jours où il faut lever le pied.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que l'arrivée de cet entraîneur étranger a changé radicalement ta façon de t'entraîner ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Oui la mienne et celle de beaucoup de kayakistes de l'époque.
Et encore moi, j'étais vieux en 1996, j'avais 22 ans.
Mais si tu prends des Guillaume Burger et autres, eux ils ont grandi dès les années minime-cadet avec la rigueur, du renforcement en musculation, des séance d'EB1 et d'EB2.
Il y a eu une rigueur globale imposée et je pense que pour moi c'était trop tard, mais ça m'a poussé à être plus rigoureux sur la pratique de musculation.
Il y a eu toute cette génération suivante qui est entrée dans ce moule qui leur a permis très tôt d'être meilleur que les générations précédentes.
Ce n'est pas vraiment une révolution d'entraînement, Kersten recyclait ce qui se faisait dans les années 1980 en Allemagne et dans les pays de l'Est.
Il est venu avec ses recettes qu'il a fallu adapter à la mode française.
Avant son arrivée, il n'y avait peut être pas d'homogénéité ou de rigueur globalisée.
Son intention était d'imposer une programmation commune, un socle d'entraînement commun pour les pôles France, pour les pôle espoir, pour les clubs formateur.
Après ce n'est pas une vérité non plus, deux athlètes peuvent faire le même programme d'entraînement et ne pas avoir les mêmes performances à l'issue.
Entre le papier et la vie sur l'eau, ce sont deux mondes différents.
A 22 ans, je me suis pris le gros coup de fouet de l'Olympisme en avril-mai 1996.
On s'est aligné avec en K2 pour la qualification des Jeux d’Atlanta.
On fait deuxième sur le K2 500m, et on fait deuxième sur le K2 1000m.
Un seul bateau pouvait être sélectionné ! Donc c'est là où j'ai pris conscience qu'il allait falloir se bouger.
C'est bien les échecs, c'est très constructeur.
Donc après ça j'ai eu envie de me relever et devenir plus fort.
Donc il me reste 4 ans avant les prochains Jeux.
L'idée c'était de m'améliorer en terme de performance chaque année sans griller les étapes.
Les résultats dès 1997 d'avoir gagner dans toutes les distances me confortaient dans ma progression.
Mais la performance était toujours insatisfaisante, je n'étais toujours pas le leader international en course en ligne.
Il faut relativiser les résultat nationaux avec les ambitions internationales.
1997, j'étais en moins de 23 ans avec Cyril Huguet, on faisait sixième aux Europe en K2 500m et 1000m moins de 23 ans à 21 ans.
On s'est fait le circuit compétition de coupe du du monde en parallèle avec les senior.
A trois semaines des championnats du monde au Canada en 1997, il m'a mis au pied levé dans le K4 en sortant Pierre Lubac, au tout dernier moment sans préparation.
Et ça a permis à la France d'arriver à une finale K4, ce qui n'était pas arrivé depuis un certain temps.
J'étais en finale championnat du monde senior.
Quand tu es jeune tu veux aller vite tout de suite, et c'est dès 1998 que j'ai commencé à m’asseoir sur des finales olympiques et mondiales.
En 1997, mon enjeu c'était d'entrer en finale, et en 1998 ce n'était plus un objectif, il fallait aller chercher un podium.
C'est dès cette date que j'étais confortablement installé dans les finales des championnats mondiaux.
Si les conditions changeantes de courses sont identiques pour tous, cette notion de performance ne pose aucun problème.
Par contre ça peut aussi devenir défavorable et poser des gros soucis d'inégalité comme en 1998 en finale il y a eu du gros vent de travers, mais après c'est aussi à toi de tirer les bonnes lignes si tu vois que le vent ne te sera pas favorable. C'est les aléas.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu distingue la notion de performance du chronomètre ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Mes meilleurs chronomètres, ça a été autour de 3'26.
Mais j'ai été champion du monde en 3'34 et franchement c'est nul comme chrono sur un 1000m.
Mais le jour où je l'ai sorti, c'était sur un bassin un peu compliqué, ça bougeait, mes adversaires ce jour là n'ont pas pu s'exprimer pour sortir une meilleure performance.
Tu peux avoir une performance avec un chronomètre fidèle comme par exemple en natation parce que tu es dans un milieu fermé, ou en athlétisme en salle a contrario de l'athlétisme en plein air.
Les chronos ne veulent donc plus rien dire, c'est pour ça qu'ils mettent des jauges de validation de records en championnat du Monde ou d'Europe en fonction du vent qu'il y a.
Mais sur l'eau quand tu connais les conditions météo, au final les records du monde ça sera toujours vent de dos, bassin lisse, et avec une chaleur d'eau correcte.
Ça joue aussi sur la résistance de l'eau.
Donc pour moi une belle performance c'est la réalisation. C'est produire l'effort max le jour J, c'est poser sa technique pour être le plus efficace possible, c'est repousser la douleur au maximum, c'est rester solide pour aller au delà de ce que tu es capable de sortir en entraînement.
C'est intrinsèque. Au final, je fais quatrième en 1998, grosse déception.
L'année 1999 était pas mal, je l'attaque revanchard, c'est une belle saison, je fais Vice-champion d'Europe.
C'était les qualifications pour les Jeux mais je n'en faisais pas une affaire tragique, il fallait être dans les 17 monoplace 1000m qualifiés pour aller aux JO.
Sur le 1000m, je visais le podium, je n'envisageais pas de faire dix septième mondial.
Au monde à Milan, il y a eu un gros soucis, j'ai été disqualifié sur une erreur de jugement qui a été reconnue par la suite, mais bon c'est comme ça.
Et sur une course avec zéro enjeu... Ça m'a flingué la sélection pour les Jeux en plus de ma saison, puisqu'il n'y avait pas de repêchage pour les Jeux à l'époque.
Donc un quota olympique perdu pour la France.
Ça, ça été très dur, j'avais le sentiment de m'être fait voler ma qualification pour une disqualification injuste.
On m'a disqualifié pour un faux départ avec des arceaux à Milan, il n'y avait pas d'avertissement, donc celui qui trichait se faisait disqualifier, à part que c'est un Italien à côté de moi qui a volé le départ, le juge me disqualifie en montrant la vidéo sur laquelle on voit que je n'avais pas bougé, et que c'était la ligne d'à côté.
Ils l'ont reconnu, et ont dit que la vidéo n'était pas un support de réclamation.
Donc ma demande n'était pas recevable.
Et du coup l'année d'après la vidéo est devenu un mode de contestation. Comme quoi chaque expérience est utile.
Mais on est d'accord que sur le coup, on ne l'accepte pas.
Les Secrets du Kayak : Finalement tu te concentres sur les équipages pour les Jeux ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Je fais du K2 500m, et comme j'ai été tellement dévasté par cette histoire, on ne passe pas en finale, donc pas de quota.
Du coup c'est le K2 1000 et le K4 1000m qui ouvrent les quotas à Milan en 1999.
Au final on avait six places pour la France.
Donc six personnes ont été sélectionnées dont un K2 pour moi avec Philippe Aubertin sur le 500m et 1000m, un K4 1000m composé en gros de Pierre Lubac, qui faisait aussi le K1 1000m, Frédéric Gauthier Maxime Boccon et Stéphane Gourrichon.
A six, on a couru quatre bateaux.
Le K2 500m ne s'est pas qualifié mais en fait aux Jeux, une fois que tu as qualifié un K2, tu peux courir l'autre K2. C'est le nombre d’accréditation qui compte et non pas le nombre d'engagement par course.
Donc ces Jeux là, je fais quatrième, dans des conditions folles sur le K2 500m.
On fait cinquième, plus éloigné sur le 1000m dans des conditions plutôt classiques.
Je suis très content de ses résultats sachant que je revenais de super loin.
Encore une fois, ma disqualification m'a anéanti pendant très longtemps, j'avais fait une croix sur les Jeux.
C'est à l'issue des Jeux que j'ai commencé à travailler puisque j'ai eu mon concours en 2000. J'étais étudiant et j'ai fait mes quelques jours de service militaire.
Donc j'avais une solde de 800 francs par mois.
Je n'avais pas vraiment de sponsor financier.
Quand tu es étudiant, tu as un train de vie très modéré. J'avais la chance d'avoir des aides de la ville de Strasbourg, du conseil général, et de la région Alsace.
Donc avec ces trois aides cumulées ça m'a aidé à vivre au quotidien, et il y avait les aides personnalisées de l’État qui permettaient d'arrondir ça.
J'avais un partenariat avec un constructeur de bateau, qui me filait du matériel gratuit.
A 20 ans, tu n'as pas d'autre prétention que de bien manger, bien t'entraîner et bien étudier.
A l'époque et jusque 2003, j'étais en Winner Pro.
Quand il y a eu le changement des normes sur la largeur des bateaux, on a bossé ensemble avec Marc Guillard à l'époque pour sortir le BBK.
C'était une bonne collaboration, de qualité, une entreprise française. Pas très à l'heure mais de qualité.
La réglementation, un K1 devait faire 60 de large obligatoirement, et ils ont enlevé la notion de largeur, donc ça a retiré le pont pour limiter la prise d'air, donc les bateaux sont beaucoup plus étroits.
Ils avaient la même forme puisqu'il y a la réglementation concave/convexe, mais comme tu n'étais pas obligé de monter les ailerons à 60 de large, du coup tu pouvais faire descendre le centre de gravité pour gagner en stabilité.
Au niveau des pagaies, à l'époque c'était : Braca présent depuis plusieurs années, Lettmann, les Gut qui étaient tchèques, un peu grosses mais de très bonnes pagaies les double Dutch.
2001, j'ai surcompensé de tous mes entraînements de 1999-2000, c'est l'année du début de ma carrière professionnelle, juste après les Jeux, donc il y a toujours un petit relâchement.
J'étais ultra frais prêt à concourir, sur toute la saison coupe du Monde je me suis régalé, et cette fois je me souviens de certaines courses, notamment en K2 500m.
Ce sont des courses indélébiles. J'ai une course assez drôle, qui va à l'opposé de tout ce dont je viens de te parler en terme de performance.
C'était au mois de juillet 2001, aux Europe juste avant les Monde, je prends une branlée je fais quatrième mais à 4 secondes du premier.
Avec mon entraîneur on se remet en question. Et en fait c'était une course très offensive de partout, attaqué de tous les côtés, j'essayais de lutter.
Mais au bout d'un moment, tu peux pas répondre à tout le monde. Je me suis bien fait avoir.
Du coup pour les Monde on s'est marré, j'étais très en forme avec des courses bien fluides, et pour la finale l'idée ce n'était pas de sortir la meilleure performance, c'était l'allemand qui fallait battre absolument !
C'était mon seul objectif, mais ça veut dire que s'il avait fait neuvième j'aurais fait huitième !
C'était un pari assez, drôle, je gagne cette course, je savais que j'étais devant lui, mais en fait j'avais un copain argentin en ligne d'eau numéro 9 qui s'intercale entre nous, qui fait deuxième, et lui, je ne l'avais pas calculé de la course.
Donc je gagne, je coche mon plan de course avec mon objectif, et en fait mon pote aurait pu s'intercaler bien plus, et là je n'aurais pas été champion du monde !
Et pourtant dans cette course là j'avais vraiment la pêche, toutes les conditions étaient réunies, que ce soit en terme de préparation, d'aisance, et de mental, tout était fluide.
Ça été un duel entre l'allemand et moi !
Les Secrets du Kayak : Quand tu deviens champion du monde, la pression retombe pour les années suivantes ? Ou tu estimes avoir fait le tour ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Ça c'est super dur !
J'admire des sportifs comme Tony Estanguet qui ont récidivé dans leur titre olympique ou mondial.
A mon niveau quand j'ai validé ma place de champion du Monde en 2001, d'autant plus avec une quatrième place à Sydney, les qualifications en 1999, un quatrième place en 1998, c'était la case cochée !
Là il y avait une satisfaction. Et après c'est compliqué de se remobiliser et je ne parle que du K1 1000m.
En k2 ça a été facile de se remobiliser. J'étais dans le projet de gagner.
Mais donner du sens à reproduire une performance c'est dur ! Je n'ai jamais su le refaire.
Je ne ferai les prochains JO en 2004 que en K1 500m, en 1000 aussi mais je fais demi-finale, je passe à côté.
Avoir un nouvel objectif en K2 ça m'a remobilisé.
C'est comme quand j'ai arrêté ma carrière en 2007, pendant 3 ans je n'ai pas fait de bateau, je ne pouvais pas refaire du kayak parce que j'avais un niveau d'exigence, par rapport aux sensations que j'avais qui n'était plus corrélé quand je n'étais plus entraîné.
Je courais, je faisais du vélo, de tout... mais pas de kayak, il a fallu quelques années pour que je revienne au kayak et reprendre plaisir à naviguer, en ayant fait le deuil des sensations d'avant.
En 2001 je gagne, mais les années d'après je n'ai jamais retrouvé ces sensations d'aisance et de fluidité que j'avais cette année là.
Du coup, tu es à la recherche de quelque chose que tu as vécu, que tu n'arrives pas à reproduire.
Alors que sur une autre distance, un autre équipage, c'est un autre projet !
Contrairement au kayak d'eau-vive où il faut être technique, savoir lire une trajectoire etc, le kayak de course en ligne est plus simple sur le papier.
Mais il en devient plus complexe car plus accessible par plein de gens.
Donc si tu veux te détacher d'eux, tu dois aller au delà de la finesse de la navigation, de la glisse, du meilleur rendement.
Tu n'as pas d’échappatoire ! Tu as ta pagaie, ton bateau, ton plan d'eau.
Et quand tu arrêtes ta condition physique se dégrade, donc les positions techniques, tu les tiens moins longtemps. Donc tu transmet moins bien la glisse à ton bateau, tu n'as pas les bonnes sensations et donc tu es frustré.
Il te faut un certains temps pour ré-apprécier tout ce qui va avec, la nature…
Les Secrets du Kayak : Comment se passent tes années après 2001 ? La qualification des JO de 2004 reste dans un coin de ta tête ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : J'ai eu le projet du K2 avec Philippe Aubertin qui avançait bien jusqu'en 2003 où on fait cinquième au mondial.
Et en monoplace, je me suis pris des baffes à chaque fois, dès l'arrivée en 2002 de Nathan Baggaley, l'australien qui s'est dopé chopé positif par la suite.
2003, c'est Adam Van Koeverden champion olympique qui a vraiment explosé. Moi je vieillissais !
Et après il y avait l'objectif des Jeux d'Athènes, avec Philippe Colin, on a cherché à monter un nouvel équipage.
Très bon au niveau des sélections françaises au printemps 2004, on a gagné le K2 500m et le K2 1000m.
Mais performance insuffisante aux sélections internationales, le bateau n'a pas été qualifié pour Athènes.
Donc j'ai fait les JO en K1 avec des qualifications que j'ai eu de part ma place en K1 1000m en 2003.
J'ai profité de la redistribution des places du K1 1000m où j'avais fait premier de la finale B et ainsi j'avais obtenu ma place pour les JO de 2004.
Du coup ces JO en 2004 c'était mieux que ceux de 2000.
On était moins nombreux, j'avais moins de choses à partager du fait d'être en mono. J'ai du gérer seul le quotidien, l'entraînement, la fatigue... j'ai toujours préféré l'équipage pour ces tranches de vie.
Content d'avoir fait une finale, mais ce n'a pas été ma plus belle année sportive.
Les Secrets du Kayak : Après 2004, est-ce que malgré l'absence de résultat, tu as encore la motivation nécessaire pour poursuivre dans ces objectifs là ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : J'ai arrêté ma carrière en 2007, mais soyons honnête : ma carrière s'est arrêté à Athènes.
En 2005, j'ai eu beaucoup de mal à revenir, j'ai pris un gros break après les JO. L'année aura été très maigre.
L'année 2006, je suis revenu mais sans l'inertie favorable de l'entraînement de l'année 2005, donc pas terrible.
2007, je me suis arrêté aux sélections, je n'étais pas au niveau.
Donc clairement, en 2004, j'ai inconsciemment arrêté ma carrière.
Mais j'avais aussi d'autres priorités dans ma vie, il y a eu la naissance de mon fils début 2005, je suis passé dans un processus qui m'a éloigné de l’égoïsme du sport de haut niveau.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu pratiquais de la préparation mentale à l'époque ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Oui dès les années 2000.
Pas au quotidien, mais régulièrement quand même. Si tu veux aller au delà de la douleur, c'est bien dans la tête que ça se passe.
Et pour performer, je pense que j'ai eu de tout temps une très bonne hygiène de vie, puisque je me concentrais sur la performance.
Je suis un très gros dormeur, j'ai toujours su me reposer et m'alimenter correctement. Les fêtes, c'était le soir des Europe et le soir des Monde.
Pour moi, le sommeil c'est la clé pour le mental et la récupération.
Je n'ai jamais vraiment eu de blessures, depuis les années 1997-1998 j'étais suivis par un bon ostéopathe, je ne jure que par certains d'entre-eux qui sont de vrais magiciens et qui t'évitent de prendre des saletés.
De toute façon, quand tu t'entraînes tout le temps au taquet, tu as mal partout ! Tu es en vrac.
Mais ça fait parti du jeu.
Si tu t'étires bien et que tu fais tout ce qu'il faut, normalement tu ne te blesses pas.
Les Secrets du Kayak : Au moment de ta retraite sportive, tu as travaillais pour la fédération ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Oui, 3 ans de 2007 à 2010, en charge de tous les volets sociaux professionnel et vie de l'athlète, c'était une très bonne expérience.
Ensuite, je suis parti dans le privé histoire de me prouver que je pouvais faire autre chose.
Et ensuite, j'ai intégré le ministère des sports, un petit parcours politique en 2014.
Puis, j'ai rejoint la grande maison INSEP en 2017.
Un parcours assez diversifié finalement.
Depuis un an, je suis à la tête d'une cellule qui gère toutes les relations internationales de l'INSEP et la relation au centre du réseau Grand INSEP : c'est les centres et autres instituts qui sont reconnus et intégrés par le label qu'on octroie à l'INSEP.
C'est du travail en réseau, de la mise en commun des ressources et des compétences.
Au niveau national ça va, au niveau international pour l'instant c'est beaucoup de visio, de mails, de conventions, de plan d'action...
C'est compliqué avec la COVID.
Les Secrets du Kayak : Tu as mis combien de temps pour remonter dans un bateau après la fin de ta carrière sportive ? Est-ce qu'aujourd'hui tu en fais encore un peu ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Oui oui, j'ai mis deux trois ans vers les années 2010.
J'ai toujours été licencié depuis 1987 avec mon club de Strasbourg.
J'ai ma ligne directrice, j'adore ma fédération, j'adore la pratique du canoë-kayak sous toutes ses formes, même en mer.
Après je ne suis pas revenu travailler au sein de la fédération pour des conjonctures politiques qui ne me satisfont pas.
Des changements à opérer au sein de la fédération ? Ah mais j'ai plein d'idées, oui.
Mais pour autant comme je ne suis pas aux affaires, je ne m'étendrai pas sur le sujet.
On verra si j'y reviens un jour pour aider cette belle fédération, et ses jeunes.
Avec la Covid, on a comme tout le monde une chute de licenciés, c'est normal.
Mais je suis très inquiet pour les jeunes aujourd'hui de la tranche 10-20 ans qui n'ont pas la dérogation pour s'entraîner.
Après sur la pratique dans notre fédération, je pense que les gens adhèrent ou pas à une direction fédérale, une dynamique fédérale.
C'est individuel, je ne suis pas sur que ça ait un impact sur le pratiquant lambda.
Mais oui, la fédération mériterait un prompt développement, plus innovant, plus moderne certainement.
Les Secrets du Kayak : Y a-t-il des sujets que je n'ai pas abordé dont tu aurais aimé discuter ?
Bâbak Amir-Tahmasseb : Non, ça a été historique, ma mise en œuvre en suivant le calendrier.
Je ne sais pas si ça passionnera du monde.
Ce qui serait intéressant, c'est un jour de corréler une pratique sportive de haut niveau avec ce qui pour moi a été un moteur pendant toute ma carrière et qu'on n'a pas évoqué : les émotions !
Je pense qu'on fait une pratique, on agit en fonction de ses émotions, et moi le sport c'est un domaine, c'est ce qui m'a procuré les émotions les plus incroyables de ma vie.
Pour moi que ce soit dans le sport, la vie privée ou la vie professionnelle, si tu veux être bon il faut gérer tes émotions.
Et elles peuvent t'emmener soit sur des situations pacifiques soit vers la colère soit vers la tristesse, soit vers le dégoût, la peur… des situations surprises... tu as cinq-six émotions qui nous orientent dans toutes nos actions, le tout est d'en rester maître.
Donc à tous ces jeunes pagayeurs : faites du sport, procurez vous des émotions, et si un jour vous n'avez plus d'émotion ou de plaisir, il faut se poser les bonnes questions et essayer de retrouver ces émotions là !
Ça ne sert à rien de forcer si tu n'es pas en phase.
Vous pouvez contacter Bâbak Amir-Tahmasseb sur son compte Linkedin.