Interview : Rémy Boullé

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Rémy Boullé en mai 2021.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Rémy Boullé : Ça va très bien, je reviens de la coupe du monde de Szeged. La forme est au rendez-vous.

Les Secrets du Kayak : Comment ça s'est passé alors ?

Rémy Boullé : Pas trop mal, il y avait tous les concurrents de ma catégorie sauf le chinois, et l'anglais était en fin de course.

C'était une bonne répétition générale. Et comme en 2019 j'avais fait huitième, je voulais me replacer dans le top 5.

Je termine quatrième à moins d'une seconde du troisième. C'est de bon augure.

Les Secrets du Kayak : Il me semble que tu avais fait le temps que tu voulais également pour les Opens de France ?

Rémy Boullé : Les chronos n'étaient pas trop mal mais en référence à Nélia de l'équipe de France ; et Eddie qui était toujours devant moi auparavant, et depuis deux ans je suis devant lui.

Donc soit c'est eux qui régressent soit c'est moi qui progresse, mais je ne pense pas qu'ils régressent ! J'ai pas mal travaillé avec mon coach, je suis sur une bonne pente.

J'ai pratiqué le kayak à l'âge de douze ans, et j'ai arrêté à dix-sept ans en rentrant dans l'armée. Et ensuite je me suis relancé en 2016 soit six ans que je pratique.

Jeune, je faisais toutes les pratiques au club de Cloyes-sur-Loir, ils ne voulaient pas se spécialiser dans une discipline. Donc un week-end je faisais les championnats de slalom, l'autre de descente et ensuite le week-end encore d'après course en ligne.

J'avais déjà un petit faible en course en ligne et sur la vitesse.

Avant le kayak, j'ai fait 17 ans de football, j'ai arrêté à 20 ans. J'avais commencé plus tôt que les autres, j'étais plutôt explosif.

J'ai fait pas mal de course à pieds, et puis à l'armée tu en fais beaucoup. Je courrais quatre à cinq fois par semaine. Et ensuite je me suis mis au parachutisme.

J'ai toujours été super sportif, c'était une obligation dans la famille. On est quatre enfants, mon père partait souvent en mission à l'étranger avec l'armée. Ainsi ma mère avait ses samedi après-midi libre, ou ses dimanches un peu tranquille.

Mon frère fait encore du foot, ma sœur du kayak, mon autre frère a fait foot et kayak. Mais de toute façon on adorait ça.

boulle-actu.jpg

Les Secrets du Kayak : Tu as fait du kayak pour suivre tes frères et sœur ou bien c'était à ton initiative ?

Rémy Boullé : A mon initiative mais mon frère a commencé un an avant moi, et un jour pendant la journée du sport je suis allé au club essayer, ma sœur aussi.

Quelque mois après ça on s'est inscrit avec ma sœur. Je me suis lancé, et j'ai accroché. C'était familial, un petit club où on était une dizaine de compétiteurs. Tous les mercredis après le collège je faisais un petit tour de kayak. J'étais à fond dedans.

Après comme il fallait travailler pour gagner de l'argent, j'ai arrêté.

Les Secrets du Kayak : Donc tu es parti à l'armée ?

Rémy Boullé : Oui. En sortie de collège après mon brevet, j'ai fait un CAP chez les Compagnons du Devoir, en tant que métallier-serrurier. Je ne voulais pas rester à rien faire en attendant de pouvoir rentrer à l'armée.

Et puis c'est encore plus strict qu'à l'armée. Ça m'a permis de me cadrer. Et dès mes 17ans j'ai passé mon concours pour rentrer à l'armée.

Je voulais faire parachutisme dans les commando. En fait au départ je voulais faire GIGN, mais on ne pouvait plus rentrer sans le BAC. Du coup j'ai fait commando.

Mon père l'était, j'en ai discuté avec lui, j'avais hésité à défaut d'entrer au GIGN à faire la légion étrangère. Il m'a fait comprendre que c'était un autre mode de vie. Et je voulais tout de même une vie sociale.

Donc je suis rentré dans les commando de l'air. Par la suite j'ai gravi les échelons jusque commando parachutiste de l'air.

Les Secrets du Kayak : A quoi ressemble une journée de militaire ? Tu fais beaucoup de sport ?

Rémy Boullé : Ca dépend. Aucune journée n'est pareille. Si tu n'es pas en mission, obligatoirement le matin c'est sport ! Sauf si tu as un entraînement spécifique à faire.

Donc c'est deux à trois heure le matin. Tu peux aller faire un 20 km, ou bien 10 km suivis d'une séance musculation. Rien n'est figé. Tu es autonome dans l'armée de l'air, tu pouvais aussi juste faire une matinée de foot.

Repas à 11h, on reprenait à 13h30, et l'après-midi c'était de l'instruction. Soit une séance de tir, soit d'aero-cordage. C'est à dire que tu descend d'un hélico en rappel, ou en corde de lisse, c'est là où tu glisses sur la corde.

Ça peut être de la récupération sous grappe. En fait tu es au sol et l'hélico lance une corde sur laquelle on se clampe. L'hélico nous soulève pour nous emmener à un point différent.

Autrement c'est de l'instruction dans ta spécialité, donc moi c'était la transmission donc je révisais toute l'après-midi mes transmissions, les pratiquer ou bien je formais des jeunes.

Le lendemain ça peut être la même chose ou ça peut être différent. Ou bien tu peux faire matin instruction et après-midi sport, ou une journée complète de tir. Aucune journée n'est pareille. C'est l'avantage de l'armée.

Les Secrets du Kayak : Comment ça marche quand tu t'engages avec l'armée ?

Rémy Boullé : Quand tu t'engages à l'armée, c'est particulier. Dans la loi civile, l'état ne permet pas de faire plus de deux CDD. Après tu es obligé d'avoir un CDI, mais aujourd'hui à l'armée ce sont des emplois précaires, ce sont des contrats de trois ans.

Tu peux faire ta carrière en dix contrats de trois ans. Tu n'es jamais en CDI. En moyenne les militaires du rang on est tout le temps sous contrat. Donc moi j'ai fait quatre contrats de trois à cinq ans. J'ai des collègues qui ont vingt ans de service et qui ont toujours été renouvelés ainsi.

Depuis quelques années il y a des concours en interne à passer, dans l'armée de l'air c'est la SN1. Au bout de quatre ans tu le passes. Ça te permet d'aller sur une carrière de quinze ans.

Arrivé à dix ans de carrière, tu passes un deuxième concours, la SN2 et là tu peux aller jusqu'à vingt-cinq ans de carrière. J'ai fait la SN1 en étant major de promo, et après juste avant mon accident je devais passer la SN2. Pour passer sous officier.

Et après il y a d'autres concours pour les officiers sur le même modèle. Tout ça pour faire des carrières pleines. Et du coup les personnes qui ne passent pas les concours, ou qui ne l'on pas eu, au bout de huit ans ils ne peuvent plus renouveler leur contrat.

Et là en terme de retraite tu n'as rien. Avant c'était quinze ans de service minimum pour en avoir une. Maintenant c'est passé à dix-huit ans de service.

Mais tout dépend aussi de ce que tu as fait à l'armée. Si tu es comme moi en para, les sauts donnent des points pour la retraite. Donc à dix-huit ou vingt ans de service tu peux partir avec une retraite plutôt satisfaisante.

Par contre un basé, donc quelqu'un qui ne va pas trop partir en mission, lui à dix-huit ans de service il va partir avec une retraite de 500 – 600 € par mois. Les officiers eux partent avec un peu plus forcément.

Moi j'ai eu la chance d'avoir fait des missions et des sauts de parachutes qui m'ont permis d'avoir des points pour la retraite, et j'ai une retraite une peu plus satisfaisante. J'ai été réformé, ça veut dire que j'ai été mis à la retraite.

Les Secrets du Kayak : Que t'est-il arrivé comme accident ?

Rémy Boullé : J'ai eu un accident de parachute. Je revenais d'une mission au Mali, j'avais pris une petite semaine de vacances. Mais on m'a rappelé parce qu'il me manquait des sauts ops, donc j'ai du partir pour une semaine de saut à Gap. Aucun problème, j'adore sauter en parachutisme.

Ce jour là, le premier saut du matin s'est mal passé : mon parachute ne s'est pas ouvert. Il y a des procédures qui ne sont pas passées comme il aurait fallu. J'ai impacté le sol à une très forte vitesse, à peu près 50km/h.

Le temps de faire les différentes procédures, j'étais sous mes voiles emmêlées pour une hauteur de 800m. La chute a duré presque trente secondes. On a quand même le temps de prendre conscience de ce qui va se passer.

D'autant plus que j'ai eu une très bonne amie Blandine Perroud, multi championne du monde en parachutisme et militaire aussi, qui s'est tuée un an avant presque jour pour jour sur le même style de saut à Gap.

Forcément pendant la chute j'ai pensé à elle et aux conséquences en touchant le sol. Je suis un peu un survivant parce que dans ce moment là, tu te dis que dans dix secondes c'est terminé tu es mort.

Tu n'as pas le temps de te poser des questions, tu essaies de survivre en ouvrant la voile, tu te bats. Et puis après tu essaies d'arriver le plus droit possible pour faire en sorte que ce soit des jambes qui cassent et rien d'autre. J'avais peur de faire une fracture de bassin et de faire une hémorragie interne et mourir de ça.

Les Secrets du Kayak : Et tu t'es réveillé à l'hôpital des semaines après ?

Rémy Boullé : Non même pas. Grâce aux réflexes de sauter en OA (saut retardés) comme dans les films de guerre : quand tu sautes de l'avion le parachute s'ouvre tout seul, ça c'est de l'OA : Ouverture automatique.

Avec les anciens tu impactais avec bonne vitesse de plusieurs dizaines de km/h.

Il y avait la procédure de toucher les deux pieds avec une flexion à trois quart pour te servir d'amortisseurs. Ce que j'ai fait. Je suis tomber sur de l'herbe. À dix mètres près c'était le bitume.

Mes pieds et mes jambes ont tout pris et c'est l'onde de choc qui a explosé mes vertèbres. Et comme je serrais les dents, j'ai eu aussi des dents cassées.

Mais je n'ai jamais perdu connaissance. Je vois encore mes collègues courir sur moi, l'infirmier, la voiture médicale. Mon collègue me demande si je sens mes jambes, j'ai vu qu'elles étaient pas très droites, j'ai compris de suite que j'étais paraplégique. Je ne sentais plus les jambes.

Dans mon malheur, j'ai eu la chance d'avoir de la morphine très rapidement, donc déjà au bout de vingt minutes la douleur était légèrement moins intense. Et comme on était sur une zone aéroportuaire, l'hélico est arrivé rapidement.

J'ai été transporté à l’hôpital de Gap, IRM en urgence, lésion trop importante pour eux. On repart en hélico pour l'hôpital de Grenoble. Et là opération vers 11h du matin. J'ai demandé au chirurgien de sauver mes jambes. Et quand je me suis réveillé en réanimation et que j'ai vu que je ne pouvais toujours pas bouger mes jambes, j'ai compris que c'était terminé.

podium-championnat-du-monde-paracanoe-2017.jpg

Les Secrets du Kayak : Ça donne des émotions ton récit ! Et toi tu le vis comment, c'est quoi la suite ?

Rémy Boullé : J'ai fait quinze jours en réanimation, la morphine ne calmait pas la douleur, et en réanimation tu n'es pas seul, il y a toujours du bruit.

Mon frère est arrivé, il a du gérer l'annonce aux parents. Même si ma mère avait été prévenue par les gendarmes. Elle a appelé mon père en minimisant les faits pour ne pas l'inquiéter plus que ça, ils avaient une dizaine d'heures de route à faire pour venir à Grenoble.

Quand je me suis réveillé mon frère était là. Mais c'est dur de voir ton frère pleurer.

Le chirurgien m'a annoncé que la moelle n'a pas été entièrement sectionnée, mais fortement compressée. Et j'ai compris que je ne marcherais plus dans son regard. Et je n'ai jamais ressenti depuis mes jambes.

Donc je me suis vite projeté.

J'ai été rapatrié à l'hôpital militaire de Bercy, en rééducation. Ils avaient l'habitude de rassurer les gars, les encadrer, voir et accompagner sur l'après. Moi j'avais tout perdu, j'étais en équipe de France espoir de parachutisme, c'était ma passion, mon métier c'était ma vie.

Ma deuxième passion c'était la course à pieds. J'ai pas de diplôme, pas le BAC. Je me demandais ce que j'allais faire.

Et au bout de quatre mois, le temps que les vertèbres se consolident, ma première douche assise, j'ai vu que j'avais perdu énormément de poids et ça a été le déclic. Il fallait arrêter de se morfondre. Je voulais me remettre au sport, et prouver à mes collègues que je pouvais encore faire quelque chose.

Et comme il existe une convention avec l'institut des invalides, donc avec du matériel spécialisé pour les handicapés, toutes les machines de musculation sont adaptées.

Je faisais du sport tous les mercredis. Et j'ai pensé aux jeux paralympiques. J'en parle au moniteur, je voulais en un an y arriver, il me fallait un sport individuel. Et le canoë-kayak était inscrit pour la première fois.

Donc je téléphone à la référente handisport kayak qui me donne le numéro du DTN para canoë-kayak de l'équipe de France. Donc c'était en 2015, et je lui ai demandé s'il restait des places disponibles, et quels sont les chronos à faire pour se qualifier.

Il m'a expliqué que pour les championnats du monde en 2016 il y aura quatre places de redistribuées. Et je lui ai dit que je ferais partie des quatre !

J'ai commencé à sortir de l’hôpital de jour, et les samedi j'allais au club de kayak d'Orléans.

Agnès Lacheux avait également pratiqué le kayak pendant deux ans en paraplégique, et elle avait arrêté depuis un an lorsque je les ait contacté.

Je l'ai contactée elle pour avoir des conseils et avancer plus vite. Le club a tout fait pour moi. Je me suis entraîné pendant quatre mois j'ai fait les championnats de France avec le chrono demandé : 55 secondes.

Je pensais être pris en équipe de France par dérogation du DTN pour aller chercher dans les six premiers quotas aux championnats du monde en Italie, et je n'ai pas été pris. Ça m'avait déçu, j'ai fait une petite dépression pendant quelques mois, je n'ai pas fait de kayak.

Et en janvier Jean-Chritophe Gonneaud (DTN) m'a rappelé, pour venir au stage au Portugal avec l'équipe de France para-canoë-kayak, pour avoir un pied à l'étrier.

Je suis parti quinze jours, et ensuite j'ai été sélectionné en équipe de France en mai 2016. J'ai fait huitième au championnat du monde en mai 2016, j'ai pris le dernier quota qualificatif.

Un mois après j'ai fait deuxième aux championnats d'Europe en Russie, et en septembre c'était les Jeux et j'ai fait cinquième.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe le kayak pour toi, du fait de ne pas avoir de mouvement de jambes, tu es attaché dans le bateau ? Tu as le bassin libre ? Comment ça fonctionne ?

Rémy Boullé : J'ai le bassin semi-libre, je suis tenu au niveau du nombril et des abdos. Mes jambes ne sont pas attachées, j'ai une mousse entre les jambes un peu comme les slalomeurs.

J'ai un sol d'adaptation, une coque faite sur mesure. Et j'ai un cale-pied droit au lieu d'être incliné.

Mais mon bassin ne bouge pas trop puisque je pédale sans pédaler. Mes jambes peuvent bouger d'un centimètre dans le bateau. Et j'ai la chance de ne pas avoir de spasme par rapport à d'autres paraplégiques, moi je ne suis pas obligé d'attacher mes jambes.

Il y a une largeur obligatoire, ce sont Nelo et Plastex qui nous fournissent, ça doit faire 52 cm de large, soit environ 15 cm plus large qu'une personne valide, donc on est plus stable. Mais ça freine aussi le bateau.

C'est compliqué d'aller plus vite que 18km/h et j'en discutais avec Maxime Beaumont qui, lorsqu'il s'était cassé sa jambe, avait repris avec un canoë-kayak paraplégique, et il disait que passé une certaine vitesse c'est très très dur d'aller au delà.

Sinon en longueur ce sont les mêmes bateaux. Le poids c'est 12kg. Là le bateau est un peu plus lourd. Mais j'attends mon bateau au norme pour les Jeux.

J'ai commencé sur Nelo, même si je pense qu'aujourd'hui le Plastex est un peu plus rapide. Mais le Nelo est plus facile à gîter pour moi. A réussir à le diriger, car j'ai un gouvernail mais la corde passe sur le côté, il est fixé par un rail et une molette. Donc si j'ai un vent de travers, il ne faut pas que je me loupe.

Il faut tirer super fort pour l'emmener à 12-13 km/h.

Du coup en terme de pagaie, c'est un choix compliqué qui se pose à moi pour les Jeux de Tokyo.

J'étais parti sur une pagaie un peu plus petite, je suis passé sur une Jantex, j'étais sur une Braca en 11 avant. Je suis mieux en fin de course pour la sortir de l'eau, mais la Braca était mieux pour le démarrage.

Donc je réfléchis à monter sur une 760 au lieu d'une 740 en grosseur.

Pour l’appui les trois premiers coups sont durs, tu pars moins fort qu'un valide.

Moi je rentre la pagaie dans l'eau lors du ready-set, pas avant par rapport aux valides. Avant non, sinon je ne tiens pas en équilibre.

Les Secrets du Kayak : Tu parlais aux open de ton point faible que sont les départs, tu sais comment le travailler pour les Jeux ?

Rémy Boullé : Déjà je vais les travailler en en faisant !

On n'a pas fait beaucoup de départ cette année. Avant j'étais assez fort, un gros 120m puis j'explosais, aujourd'hui c'est plutôt 150 m mais ils sont moins explosifs. Il faut que je retrouve cette explosivité.

Avec un mauvais départ, tu n'arrives pas à ta vitesse max. Les trois premiers coups de pagaie sont les plus importants, si tu les rates c'est fichu.

Les Secrets du Kayak : A quoi ressemble une semaine d’entraînement pour toi ?

Rémy Boullé : Entrainement tous les jours, deux fois par jour. Ça fait trois ans qu'on est sur une grosse dynamique.

Quand on est en stage, on fait deux séances le lundi, mardi, une séance le mercredi, deux séances les jeudi et vendredi, une séance le samedi, et le dimanche c'est en fonction de l'état de forme. Soit on refait deux séances, soit repos complet, ou une seule.

En stage, c'est onze séance par semaine. Comparé à Maxime Beaumont avec qui je discute beaucoup, lui était à 23 h par semaine, moi 17h ; et moi c'est tout dans les bras.

Je fais du cardio, mais on est sur du 50 seconde donc il me faut de la puissance. Ça peut être du skierg, des circuits training à soulever des cordes, des haltères à soulever au niveau des pectoraux, j'ai un handbike, un vélo à bras.

Et pas mal de machine à pagayer. Ça m'a permis aussi de passer un cap. Avant le confinement, j'avais changé la machine para-canoë-kayak, et j'ai vraiment adapté l'appareil pour avoir la même assise que sur mon bateau. Et reproduire au maximum ma position.

Bon après avoir fait principalement de la machine à pagayer et revenir dans un bateau, ça n'a pas été simple. La sensation de la pagaie était très bizarre.

Ça mime le geste, mais la différence c'est sur le toucher. Ça fait travailler les mêmes muscles, et c'est ça qui est intéressant.

Mine de rien c'est compliqué pour moi de m'entraîner sur l'eau, il y a ma coque, et puis à Orléans ils ont coupé les arbres, ce n'est pas simple au niveau de l'accessibilité, donc je fais beaucoup de machine à pagayer.

Là je suis rentré de compétition, et donc je vais en faire tous les après-midi ou du vélo.

C'est le même geste mais pas le même ressenti, rien que la pagaie est plus lourde que la vraie. Donc je peux comprendre que des valides qui ont plus facilement la possibilité de monter en bateau que moi, aiment moins la machine à pagayer. Moi pour monter en bateau, il me faut une personne pour m'aider, pour porter le bateau, descendre du fauteuil...

Moi la machine m'a fait passer un cap. Je me tire la bourre.

Rémy-BOULLE-@Agence-ARC-e1607678962270.jpg

Les Secrets du Kayak : Je voulais revenir sur les jeux de Rio, comment ça c'est passé pour toi ? Est-ce que c'était un rêve éveillé, ou plutôt une super expérience pour toi ?

Rémy Boullé : Ça a été une très bonne expérience, ma famille et mes parents sont venus, ils n'avaient jamais pris l'avion, donc pour eux aussi ça a été une expérience.

C'était à la fois bien et pas bien. Les leçons que j'en tire c'est que j'avais ma famille, mais ça m'a peut être fait contre-performer. Tu es dans le village et tu penses aux moments que tu loupes avec eux.

A Tokyo ça va être différent, avec le confinement ils ne pourront pas venir, mais même sans ça, je leur avait dit que je ne voulais pas qu'ils viennent afin de rester focus. Et j'en ai parlé beaucoup avec Nélia.

Et puis moi ça n'a pas été un rêve que de faire les Jeux Paralympiques. Ce n'était pas comme un aboutissement. Moi j'avais des rêves que je voulais faire dans l'armée et que je ne pourrai jamais faire.

Les jeux paralympiques pour moi c'est pas comme quelqu'un qui naît avec une maladie et qui rêve de les faire. Moi ça m'a permis de me reconstruire, de faire le sport que j'aime, et quand je suis dans le bateau, les gens ne voient pas mon handicap, sauf les connaisseurs, et ça c'est cool.

Et on a la chance de pouvoir courir avec les valides, ce n'est pas le cas pour toutes les fédérations. On est sur les mêmes compétions, elles se font en même temps, on n'est pas exclus comme 99% des autres sports.

Il n'y a que les Jeux que tu ne fais pas avec les valides, mais c'est normal, ça serait trop cher. Ça demande de l'organisation.

La seule chose qui nous aiderait c'est que ce soit plus médiatisé. Par exemple en Angleterre le para-olympisme est ultra suivi. Tu es reconnu comme un athlète.

Nous la fédération de canoë-kayak, elle nous aide, je ne connais pas d'autre fédération qui suis ses athlètes autant. On a un DTN alloué, on est trois dans l'équipe, on a un entraîneur, un kiné, qui nous suis en stage, un pour trois ! Il y a des prises en charges des aides financières. Il y a eu un passage où ça n'existait pas.

Donc pour répondre à ta question, ça a été dur à vivre. Je savais qu'il y avait un coup à jouer, mais je n'étais pas prêt physiquement.

En plus deux mois avant les jeux, sur mon seul jour de repos avec ma compagne, on a décidé de se faire une journée de balnéo, et au sauna je n'ai pas fait attention j'ai mis mes pieds devant la buse qui crache de la vapeur. Résultat je suis brûlé au troisième degré aux deux talons.

Pendant un mois je n'ai pas fait de kayak, la priorité était de guérir, que ça se cicatrise pour les Jeux. Je n'avais aucun entraînement autre à cette époque. Pas de Crossfit, pas de machine à pagayer... donc tous les jours j'allais faire des kilomètres de fauteuil pour me faire les bras.

Quand je suis arrivé aux Jeux, je visais la troisième place, au final j'ai fait cinquième à une seconde du premier, donc j'étais dans le coup.

Et là ça y est j'étais confronté avec des handicaps plus lourd que le mien, plus léger aussi. J'étais catégorisé handicapé. Ça faisait un an que j'étais sorti de l’hôpital, c'était dur à accepter, mais avec Martin on dédramatisait, c'était comme si on faisait une compétition régionale, on a fait des JO sans se prendre la tête.

Là pour Tokyo, je vais chercher un podium, c'est différent.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que pour te préparer tu fais de la préparation mentale, tu fais attention à ce que tu manges...  tout est optimisé pour cette médaille ?

Rémy Boullé : Non je n'en suis pas encore à ce niveau là. Aujourd'hui je vais m'orienter sur l'alimentation, je mange assez mal. Il faudrait que j'arrive un peu plus sec.

Et pour la préparation mentale je suis suivi par Anaëlle, une psychologue de l'INSEP. Mais c'est tout récent.

Tu vois la FFCK s'est vraiment professionnalisée et s'est donné les moyens. Aujourd'hui dans l'équipe tu n'as que des personnes capables d'aller chercher des médailles. Il y a des barèmes de sélection strictes depuis un an.

Même moi j'étais pile dans les chronos. On a comme chef de l'équipe un ancien champion, on nous met des camions adaptés à notre pratique et notre handicap depuis deux ans. Ça nous facilite la vie au quotidien.

Il y a des moyens financiers, il y a des stages. Moi je n'ai pas d’entraîneur de club, mon entraîneur c'est Eric, donc s'il n'est pas là, je m'entraîne tout seul. La FFCK a compris que pour aller chercher des médailles on a besoin de stages. On a besoin de cette structure.

On fait 20 jours de stage par mois, on bouge pas mal jusqu'en Guadeloupe. Et puis moi je vise des courses où il y a du monde, là les Europe je n'y vais pas, je veux une médaille qui a du mérite. Aux Europe ils sont cinq à concourir.

Je ne suis pas là pour me mentir à moi même. Faire une course c'est bien, ça permet de communiquer, mais il me faut du monde pour concourir.

Donc plutôt que de faire les Europe j'ai créé un stage, avec Eric Leleuch et Guillaume notre kiné que je félicite au passage pour son engagement depuis trois ans, c'est quelqu'un qui ne lâche rien, toujours souriant, gros potentiel pour notre équipe de France. Il se bat pour nous, peu importe l’heure, il est là pour nous, c'est important de le souligner.

Le but de ce stage c'est de me préparer pour les Jeux sur une vingtaine de séances, pour aller chercher une médaille à Tokyo.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe ces stages avec ta vie familiale ? Tu arrives à avoir une vie sociale autour ?

Rémy Boullé : J'avoue que j'ai une femme exceptionnelle, que j'ai rencontré à Bercy. Je t'invite à regarder le reportage sur Youtube « coup de foudre à l’hôpital » c’était passé sur France 2.

On avait prévu de faire notre enfant après les Jeux. Donc on a mis les choses en route après les Jeux, sauf qu'il y a eu le confinement. Mais les choses étaient lancées, ça a été beaucoup de discussion avec elle, parce qu'elle sait que c'est mon métier.

Il y a aussi l'armée des champion qui m'aide, les sponsors aussi. Donc mine de rien, ne serait-ce que par respect pour eux je me dois d'aller chercher une médaille.

Ils n'ont pas attendu que j'arrive en équipe de France pour me soutenir. Il m'ont soutenu sur leur fond propre, même pas sur leur entreprise. Il y a eu des concours de circonstances qui font que j'ai rencontré des personnes assez exceptionnelle qui m'ont aidé.

Je ne peux pas ne pas être à 100% dans mon projet. Tout comme Eric mon entraîneur, je ne suis pas facile à vivre, quand j'ai quelque chose à dire je le dis, donc quand je m'énerve c'est lui qui prend.

Le coupable idéal et le plus facile c'est toujours l'entraîneur !

Même si je sais que ce n'est pas bon pour moi et que je travaille dessus.

C'est comme Guillaume, aujourd'hui on a qu'un kiné en équipe de France, il est là à tous les stages, lui aussi à mis sa vie entre parenthèse. Il aimerait ouvrir son cabinet, il a aussi des projets de famille, mais il attend les Jeux.

Toutes ces personnes font que je me dois d'être au maximum.

Donc ma vie de famille est difficile. Pas avec ma compagne mais je ne vois pas forcément ma fille grandir.

Je t'avoue que j'ai mis des caméras chez moi suite à de mauvaises aventures, donc je peux la voir à distance. On s'était fait cambriolé, je dormais à la maison, ils auraient juste pu me tuer et c'était fini. Ils ont tout dérobé alors que j'étais là. Ça m'a refroidi d'où les caméras un peu partout. Et du coup je peux la voir même depuis mon stage en Guadeloupe.

Et tu vois même ma compagne aujourd'hui s'occupe à plein temps de notre fille. Elle a arrêté son travail à l'IME à Paris. Elle travaille juste en libéral le mercredi et le samedi. Elle a fait des concessions aussi.

Ce n'est pas facile, mais en même temps pendant dix ans j'étais militaire, je partais sur des missions de six sept mois, donc partir 20 jours par mois, ça passe. J'essaie de tout concilier pour être au maximum à la maison. Mais il reste trois mois à fond et après on va relâcher un peu.

Les Secrets du Kayak : Tu parlais des sponsors, mais j'ai l'impression que tu en as pas mal non ? Alors que les autres kayakistes que j'ai interrogé galèrent à en avoir, comment tu l'expliques ?

Rémy Boullé : Comme je te disais, c'est un concours de circonstances. J'ai rencontré la bonne personne au bon moment.

Lorsque je suis allé demander une bourse à la mairie d'Orléans, je suis passé devant un colloque avec l'adjoint au sport. Il y avait l'adjointe événementiel qui a aimé mon histoire, et en fait sa maman est présidente de la Légion d'Honneur, qui est présente dans beaucoup d'associations et qui m'ont contacté par la suite.

Elle m'a aidé à créer mon association pour aider d'autres militaires blessés à se relancer dans le sport. Et de fil en aiguille elle m'a aidé à rencontrer mes différents sponsors.

Grâce aussi à Maxime Beaumont, j'en ai rencontré d'autres, et j'en rencontre encore. Je vais bientôt l'annoncer sur les réseaux sociaux.

Mais attention, moi ce sont les relations humaines qui priment sur le côté financier. J'ai déjà refusé des sponsors, où il n'y avait pas ce côté humain.

Et quand tu as des PDG qui sont à l'antipode du PDG hautain, qui viennent te voir et qui ne te demandent pas de contreparties, que ce sont des personnes tellement géniales... alors tu fais tout pour leur rendre.

Même la mairie d'Orléans m'a beaucoup aidé, par une aide financière. Le nouveau maire aussi, il est dans la même dynamique.

J'ai eu beaucoup de chance, mais il ne faut pas se mentir, mon histoire y fait pour beaucoup. Je suis un ancien militaire, j'ai servi la France, j'espère encore servir la France et la faire briller au plus haut niveau. Peu être que j'ai donné mes jambes pour la France, donc ça peut toucher, c'est plus facile pour moi, et c'est malheureux mais c'est un fait.

C'est plus facile pour moi d'aller chercher un sponsor, que un mec comme Maxime, vice-champion olympique.

Et je ne cherche pas les sponsor, mais ça marche. Moi je suis vraiment bien aidé. Je n'ai rien à envier à d'autres athlètes, je ne peux pas me trouver d'excuses.

Je n'ai pas le droit de me plaindre, j'ai un handicap, mais je suis tellement bien aidé et entouré, que je n'ai pas le droit de me plaindre.

Quand je rencontre des personnes handicapées de maladie, ou qui ne l'ont pas voulu, qui se sont fait faucher dans la vie, et qui n'ont aucune aide... j'ai ma retraite de l'armée en plus de tout ça. Ma vie peut être très dure, mais en fait je n'ai pas encore accepté ma vie d'handicapé.

Mais je n'ai pas le droit de me plaindre, je suis là pour rendre aux autres.

La paraplégie ce n'est pas bien connu, mais on fait très régulièrement des infections urinaires qui peuvent être mortelles. Il y a quinze ans, tous les paraplégiques mourraient de ça. J'en ai fait une il y a un mois, tu fais 41,5°C pendant deux jours. C'est compliqué à gérer et ça te défonce ta performance.

Donc j'essaie de tout faire pour être au meilleur de mon niveau. Et il n'y a pas que la famille ou les sponsors, il y a pleins de gens, des amis, qui te manifestent leur soutien, c'est énorme.

Sans tout ça je n'aurais pas envie d'aller jusqu'à 2024. Tout ce soutien donne envie de continuer et de leur rendre.

remy-boulle--720x471.jpg

Les Secrets du Kayak : Oui, je le ressens avec notre discussion, tu transmets beaucoup d'ondes positives, et tu me motives à ne pas me plaindre aussi. Tu as un super discours à mes yeux et je comprends tout le soutien que te manifestent ces gens. Quand on t'écoute on a envie de te soutenir, tu es un exemple. Je te tire mon chapeau !

Rémy Boullé : J'aime dire les choses, et je suis certain que si tu avais eu un parcours similaire au mien, ça aurait été pareil. Regarde toi, aujourd'hui tu fais du kayak et avec « Les Secret du Kayak » tu essaies de développer notre discipline et tu essaies de mettre une pierre à l'édifice et c'est énorme.

Ça veut dire que ton tempérament fait qu'en cas de pépin de vie, tu arriverais à le surmonter comme moi.

Alors je suis d'accord tu ne peux pas motiver tout le monde, et je l'ai vécu avec un collègue qui à perdu ses jambes, il n'allait pas bien mentalement, j'ai essayé de le tirer vers le haut, de le faire réagir, et de lui faire prendre conscience de l'avenir, de rebondir.

Je pense que ça l'a aidé. Et aujourd'hui il est dans l'équipe de France de volley assis, et il sera aux Jeux de 2024, du moins je lui souhaite.

Et puis honnêtement je n'avais pas le choix, si je ne rebondissais pas je me tirais une balle. J'avais tout perdu. Quand tu es au fond du fond, handicapé, fini les rêves de parachutisme et mes rêves dans l'armée.

Et sans aucun métier ni diplômes. Qu'est-ce qu'il me restait à faire ?

Je n'avais pas le choix !

Les Secrets du Kayak : J'ai une dernière question à te poser, d'où vient ce surnom Bobby ?

Rémy Boullé : De l'armée. Quand tu es en mission, tu n'as pas le droit d'avoir ton nom, on doit prendre des surnoms pour les missions.

S'il t'arrive quelque chose, que tu viens à décéder, que tes collègues ne peuvent pas te récupérer. Si ton nom de famille est visible, tu ne peux pas savoir les conséquences pour ta famille.

Avec le terrorisme et le djihadisme, il y a des procédures. Et ton pseudo dois commencer par ton nom de famille. J'étais jeune, Boby ça fait un peu enfant, on m’appelait junior, donc Bobby.

Les Secrets du Kayak : Je voulais vraiment à te remercier pour ce que tu as partagé avec nous.

Vous pouvez retrouver Rémy Boullé sur sa page Facebook.

Précédent
Précédent

Interview : Marie Delattre

Suivant
Suivant

Interview : Guillaume Berge