Interview : Marie Delattre

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Marie Delattre en mai 2021.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Marie Delattre : Ça va super bien. Aujourd'hui il fait mauvais mais tu sais : on pratique par tous les temps, qu'il fasse beau, qu'il pleuve,qu'il vente ou qu'il neige. On monte toujours en bateau.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu commencé le kayak ?

Marie Delattre : J'ai commencé en 1994 parce que des copines de classe à l'école m'ont proposé de venir compléter un équipage. Il fallait faire un bateau quatre place, elles n'étaient que trois.

Avant ça je faisais pas mal d'athlétisme, et j'aimais la natation notamment avec mon père. Et j'avais aussi pratiqué la gymnastique pendant cinq ou six ans avec ces mêmes filles.

Donc j'avais un bon bagage musculaire.

J'ai commencé assez tard le kayak, j'avais 13 ans. Mais la gym m'a beaucoup aidé dans la souplesse, les étirements, la force des bras. On faisait des tractions, des pompes etc.

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Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu te souviens de ta première séance en kayak ? Es-tu montée directement en K4 ?

Marie Delattre : Je suis montée deux ou trois séances dans un bateau de slalom, et ensuite on m'a mise directement dans un course en ligne et j'ai mis trois semaines à décoller du bord.

On m'a donné un bateau de course en ligne, la pagaie qui va avec et voilà c'est parti. J'ai passé des heures sur le bord. Un jour l’entraîneur attrape ma pagaie, la jette au loin et j'ai du me débrouiller pour la récupérer et ainsi hop j'étais lancée.

J'étais sur les tout premiers bateaux blancs pour débutant, ceux qui sont stables pour les minimes. J'ai du le garder un an ou deux.

Au départ j'étais derrière mes copines, ce qui me contrariait. Donc je me suis efforcée d'être à côté, mais c'était compliqué on se prenait des coups de pagaie dans la figure, les berges étaient étroites.

Donc j'ai tout fait pour être devant. Et j'ai progressé, les premières compétitions sont arrivées, j'étais seule dans ma ligne d'eau, je ne comprenais pas grand chose.

J'ai fait ma course et je l'ai gagné dans le Nord-Pas-de-Calais, et c'est comme ça que j'ai été en championnat de France en minime en K1, en juillet 1995 pour faire deuxième et je crois que j'étais derrière Anne-Laure Viard.

Deux ans après j'étais en équipe de France alors que j'étais cadette.

Les Secrets du Kayak : Je vois que tu es du club de Saint-Laurent-Blangy. Est-ce que tu y côtoyais des membres de l'équipe de France ?

Marie Delattre : Oui, j'ai été entraînée par Virginie Baye, qui avait participé aux Jeux de Séoul en 1988. Et Olivier Baye, son mari, un athlète de haut niveau, il avait pour ambition de faire grimper le club dans le haut niveau.

Quand je suis arrivée il y a avait des tentatives pour quelques personnes d'intégrer l'équipe de France, de participer aux coupes du monde et au championnat d'Europe ou du monde. Oui il y a des athlètes de l'équipe de France dans ce club.

Moi je ne pensais pas à ce monde là, je voulais être avec mes copains et mes copines, être devant, gagner mes courses. Mes souvenirs de sélection pour l'équipe de France, je me souviens des sélections à Boulogne-sur-Mer, en cadette 1 j'ai fait ma course, et c'est Déborah Capon, qui m'a démontré que je pouvais être en équipe de France.

Je lui ai demandé de m'expliquer de quoi il en retournait. Et je me suis dis pourquoi pas. Et même pour les JO, j'y suis allée, comme ça, et pourtant c'était l'année de qualification des Jeux.

Moi dans ma tête l'objectif c'était de faire les championnats du monde, se montrer, se faire connaître, montrer ce dont on est capable. Être satisfait de sa course.

Et même en senior je fonctionnais comme ça. En 2003, j'entendais Bâbak parler des quotas, mais je ne comprenais pas de quoi il parlait. Et c'est là qu'il m'a appris le fonctionnement des Jeux avec les quotas. Avant je n'étais pas dans cette optique.

Les Secrets du Kayak : Quand tu démarres et que tu es minime, est-ce que tu as le rythme d'un débutant avec seulement une ou deux séances par semaine, ou bien tu as déjà un rythme plus important dans l'entraînement ?

Marie Delattre : Non en minime, je suivais le même rythme que mes copains, c'était le mercredi et le samedi. Parfois on avait une séance le mardi soir pour faire musculation et footing, on courait trente minute, et on faisait des ateliers mais on apprenait juste les mouvements en fait. Du gainage, des machines.

En cadette 1, les entraîneurs t'informent qu'il y a le mercredi, le samedi, mais on sépare footing et musculation. Et arrivée en championnat de France, j'ai gagné. Je me suis entraînée l'été suivant, et j'ai augmenté les entraînements l'année suivante puisque je suis allée voir mon président de club, parce qu'on m'avait parlé de l'équipe de France. Donc il a fallu que je m'entraîne plus.

J'ai toujours suivi une scolarité normale, que ce soit au collège ou au Lycée. Après le Bac, j'ai fait un DUT GEA à Lille. Je l'ai fait en trois ans au lieu de deux.

Et donc là c'était particulier. Il y a eu une période où, si tu voulais être en équipe de France et participer aux championnats et aux coupes du monde, tu n'avais pas le choix, il fallait s'entraîner dans un pôle France.

Moi jusque là je m'étais toujours entraînée dans mon club. J'y allais tous les soirs pour m'entraîner.

Il y a eu la politique de la fédération qui en a fait une obligation en 2003. donc je suis allée à Vaires, j'étais dans ma dernière année de DUT GEA. J'avais une, ou une et demie journée de cours par semaine, le reste du temps je m'entraînais.

Et là, en senior, on passe de trois à quatre entraînements par jour. A six heure, on est dans l'eau jusque huit heure, donc bateau le matin à jeun, petit déjeuné ensuite, entraînement à 9h, on rentre, on mange à midi, on a un petit temps de repos, vers quinze heure un autre entraînement de bateau et le soir vers dix-huit heure la musculation qui dure parfois jusque trois heure sur la fin. Il fallait plus de récupération entre chaque série.

Les Secrets du Kayak : J'ai vu que tu mesures 1m74 pour 60kg. Les autres athlètes ont un gabarit plus imposant que le tien non ?

Marie Delattre : Oui et encore 60kg c'est à la fin de ma carrière. En 2002, lorsque j'ai commencé les premiers championnats du monde, je faisais 55 kg, j'étais un fil de fer. Et pourtant en musculation je me débrouillait bien. Je soulevais lourd, les tractions passaient bien.

Mais mon entraîneur en équipe de France m'a fait prendre conscience que pour progresser, je devais me muscler d'avantage. Cela voulait dire prendre du muscle mais aussi prendre du poids. Il fallait que je développe mon corps.

Au fur et à mesure des années j'ai pris peu à peu. Je suis montée très progressivement jusque 62kg et l'été je repassais facilement à 60kg pour 1,72m. Par rapport à certaines nations, je me sentais fine et peu musclée. Mais comparée à d'autres, plus les années passées et plus notre gabarit fonctionnait mieux.

Aujourd'hui cela se voit encore, les filles sont certes très musclées des bras, mais elles ont la taille fine. Elles sont féminines ce qui n'était pas le cas avant.

La force et le poids supplémentaire ça m'a aidé, même si on ne parle que de cinq kilos. Après ma morphologie je la dois à mes parents.

Et au départ, la musculation je n'en faisais qu'une fois par semaine. Ce n'est qu'en senior où j'ai réellement pratiqué la musculation dans le but d'être performante sur mon bateau. Et tu prends tout de suite de la masse avec quatre séance par semaine.

Mais la musculation je n'aimais pas vraiment. La seule raison pour laquelle je le faisais c'était pour aller plus vite avec ma pagaie.

Les Secrets du Kayak : Parallèlement faisais-tu une activité cardio en dehors du bateau ?

Marie Delattre : je faisais beaucoup de natation, du VTT. Ensuite en équipe de France tu as l'opportunité de faire des stages de ski.

Sinon j'adore courir, moins le temps aujourd'hui du fait d'être maman et de devoir gérer le quotidien des enfants. Et puis avec les restrictions liées à la Covid, ça n'aide pas non plus. J'aimerais m'y remettre d'avantage mais depuis deux hiver c'est dur.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça t'arrive encore de monter en bateau ?

Marie Delattre : Oui mais rarement. J'hiberne l'hiver et je sors quand il fait beau. Je vais voir les jeunes en compétitions et aux opens, ça me motive pour naviguer.

J'aime bien aller au club, j'y étais sept jours sur sept pendant des années donc ça me manque toute cette ambiance, préparer les course, les entraînements, les échauffements, se mettre dans l'état d'esprit de la course, déjeuner trois heures avant... tout ces petits rythmes de compétition, les déplacements, les tests... gérer décharger son bateau, le préparer... tout ça me manque.

Donc quand je le peux, je vais voir les Opens, ce n'est pas loin de chez moi et c'est la course la plus importante pour nos français, c'est la compétition des sélections équipe de France.

C'est là où tu vois leur stress, leur envie de gagner et d'aller à l'international.

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Les Secrets du Kayak : Comment s'est passée ta transition du club de Saint-Laurent-Blangy au pôle de Vaires-sur-Marne ?

Marie Delattre : Je ne l'ai faite qu'en 2003, c'était une politique menée en 2003-2004.

En 2004 on partait toutes les trois semaines en stage, et on revenait une semaine chez nous. Donc au lieu d'aller une semaine à Vaires pour seulement deux entraînements, j'avais convenu avec l’entraîneur de la fédération de m'entraîner dans mon club. Ça ne servait à rien, je préférais la faire chez moi plutôt qu'à Vaires.

En fait comme j'avais cours le lundi, je partais à l'école, le mardi j'avais cours que le matin, je sautais dans le train dans la foulée, j'arrivais à Vaires, je faisais deux entraînements, jusqu'au vendredi midi, puis je reprenais le train, et j'allais m'entraînais dans mon club le samedi et le dimanche.

Donc les entraîneurs du pôle et du club, faisaient ma planification à la semaine conjointement donc ça se passait bien.

Je suis allée sur Vaires mais dans ma catégorie dame, les athlètes étaient à l'INSEP. Et comme je venais la semaine, je ne les voyais pas. Elles étaient à l'école à l'INSEP, donc j'allais à Vaires pour m'entraîner toute seule.

Heureusement qu'il y avait des kayaks homme, dont Bâbak, la personne phare du moment. Il s'entraînait là bas et j’intégrais les séances des hommes. Le mercredi après-midi, j'allais aussi à l'INSEP profiter de la piscine et de la salle de musculation pour être avec eux.

Quand je dis que j'étais toute seule cela veut dire sans coéquipière, j'avais un entraîneur.

En faisant cette année à Vaires, je ne sais pas si ça été un tournant dans ma pratique, ce que je sais c'est que ça m'a permis de rencontrer des gens qui m'ont aidé dans ma pratique du bateau et de la musculation.

Des gens qui avaient d'autres visions pour performer, qui ont apporté leur façon de faire, différente, pour m'amener à mon objectif.

Après en 2005, on a performé avec Anne-Laure, en championnat d'Europe et du Monde, c'est la période où Jean-Pascal est arrivé. Il nous a apporté sa façon de faire, j'ai évolué.

J'ai aussi rencontré une athlète canadienne, les canadiens étaient venu faire un stage. A cette période, je ne savais pas si j'allais aux Jeux, donc j'étais un peu à l'écart en mono, et il y avait Caroline Brunet, qui m'a proposé d'aller avec elle m'entraîner.

J'ai sauté sur l'occasion. J'ai appris énormément, j'ai suivi sa méthode et ça s'est vu l'année suivante sur mon bateau. Concrètement, ce qu'elle m'a apporté ce sont des mots : « plus dur, plus fort ! ».

Que ce soit dans ma gestuelle, mes entraînements. Et elle me l'a fait voir, elle ne me l'a pas juste dit, elle était à coté de moi sur l'eau.

On parle de la porte drapeau des JO qui a fait troisième olympique. Elle a arrêté sa carrière juste derrière.

Les Secrets du Kayak : Comment se sont passés les Jeux de 2004 en K2 avec Anne-Laure, c'était prévu le K2 ?

Marie Delattre : En fait en 2003, lors des compétitions je me suis alignée sur le K1, et sur le K2 avec Anne-Laure.

On n'était pas qualifié ni en K1 ni en K2, en 2004 je ne me souviens même pas des rattrapages. Je n'étais pas la meilleure en 2004, et le K1 a vite été rattrapé. Donc suite à ça, bien évidemment c'est la première française qui part au JO, donc Nathalie.

Et du coup notre DTN tenait à notre K2, ça faisait donc trois filles qui partaient aux JO. Et puis il savait qu'une autre fille serait rattrapée. Donc s'il devait y avoir un K2 c'était Anne-Laure et Nathalie qui étaient prévues, mais ils voulaient me garder sous la main, au cas où ils emmèneraient un K1 et un K2. C'est comme ça que je suis allée en stage terminal.

Et c'est pour ça que j'étais un peu mise de côté. Et j'ai su cinq jours avant les JO que j'y allais. J'étais heureuse, et on a fait dixième.

Donc pour moi ces premiers Jeux c'était génial. J'ai tout vécu à 150% parce que tu veux tout regarder, tu veux monter que le K2 a sa place. Le bassin était démonté, et avec Anne-Laure on a fait notre course à fond.

Et ça été le déclic pour moi. Je voulais aller en finale et gagner, je veux ma médaille. Pourquoi les autres et pas nous ? J'avais tous les éléments pour y arriver.

Du coup, dès que JP est rentré il nous a bien dit que s'il devait y avoir une médaille c'était en K2. En monoplace on n'était pas assez fortes. Pour rappel il n'y avait que du K1 500m, le 200m n'existait pas encore.

Le K4 était impossible, K1 ça aurait été l'une ou l'autre, donc la solution était le K2.

Après on a eu des hauts et des bas. En 2007 en championnat du monde on ne se supportait plus. On ne voulait plus monter ensemble. Et la fédération avait peur, c'était à trois semaines des sélections pour les JO en pleine coupe du monde.

Alors que les années précédentes on faisait troisième, quatrième... c'était le moment de gagner le quotas pour les Jeux.

On avait mis nos affaires personnelles dans le bateau. On a discuté et mis ce qu'on voulait et ce qu'on ne voulait pas sur la table. Et en 2008 on a eu notre médaille au JO, mais aujourd'hui on n'a pas de soucis. On continue de se souhaiter l'anniversaire de notre médaille, on se parle.

Mais on était trop souvent ensemble, et le personnel a affecté le bateau. La fédération ne savait plus quoi faire, dilemme pour eux, le bateau qui pouvait gagner mais qui ne s’entendait plus. Ils nous ont alerté, précisant que c'était à nous de nous entendre pour trouver la solution. Chose qu'on a fait. Après je pense que depuis 2005 j'ai été actrice de toute cette progression.

Quand je suis arrivée en 2001, la politique de l'équipe de France c'était de faire du K4. Les françaises ne savent pas faire de mono, de chronos, ne savent pas faire du K2. Il fallait faire du K4.

Et moi en 2002, stage de rentrée, on est huit françaises, convocation avec l'entraîneur. Sur du 500m on faisait du 1'57-58. Les K4 on avait du mal à aller en finale, et je terminais neuvième. Ça m'avait perturbé.

J'ai dit stop, je fais mon sport comme je le veux, je veux faire du K1. Mon entraîneur de club m'a dit ok. Mon entraîneur de fédération m'a dit «  Marie tu te plantes, tu n'y arriveras pas. On va t'aider, mais si tu ne veux pas faire d'équipage tu n'y iras pas. Tu feras que du mono, mais tu as intérêt à performer, si les résultats ne sont pas là tu rentres chez toi ». j'ai dit ok.

Ça a été dur. Je suis arrivée en coupe du monde, je ne me laisse pas faire. Je ne suis pas en finale, mais j'ai fait une belle demi-finale. Mes chronos descendent. Au mois de juin, on me dit qu'on ne peut pas me prendre en championnat d'Europe senior en équipe parce qu'en K1 tu seras à la traîne.

Par contre on peut te mettre en équipe de moins de 23 ans. Et on va tenter en mono. Et si je faisais une médaille en moins de 23 ans, je partais en championnat du monde avec l'équipe.

J'ai dis ok. Quand tu es en équipe de France, et qu'on te dit que ton niveau n'est pas bon, et que tu fais partie des meilleures française... tu pleures, ça fait drôle.

Je ne me suis pas laissée faire : j'ai fait les championnats d'Europe, j'ai fait une médaille, j'ai fait 1'52. Et on m'a fait partir aux championnats du monde, et j'ai fait le meilleur résultat des filles, douzième en K1.

Du coup ça a un peu remis en question le système de sélection en K1 K2 K4. J'ai augmentais mon niveau de K1, ça faisait longtemps qu'une française n'avait pas autant performé. Du coup ils ont bien voulu faire progresser les filles individuellement et Anne-Laure a bossé en K1, elle a très vite progressée, après elle était dans l'année de son Bac et les études ont fait qu'elle ne pouvait pas s'entraîner comme elle le voulait en 2002.

Elle est revenue dans les trois premières en 2003, et on a fait une coupe du monde à deux, le K2 titulaire faisait le 500m, et nous deux le 1000m. Et on est allée en finale. On a du faire cinq ou sixième.

Mais on avait performer dans le sens où on avait atteint le 500m sur notre course de 1000m avec un meilleur chrono que les filles du K2 titulaire. Et là la fédération avait trouver son K2, on est devenue titulaire du K2 avec Anne-Laure.

On est parti sur le principe qu'il fallait être forte en K1 pour avoir un meilleur K2. Du coup on a continué comme ça jusqu'en 2008. et j'ai encore tout en mémoire de mes JO de 2008.

Je me souviens de toutes mes pensées. Je me rappelais tout ce que je devais faire pour être la meilleure de la pagaie au gainage. Je ne me souviens même pas de mes adversaires. J'étais concentrée.

Cette troisième place c'est une consécration, c'est la reconnaissance. La notre a été historique chez les féminines.

Par exemple Mathieu Goubel, un garçon que j'adore, on a commencé en même temps. Lui a eu la quatrième place. La quatrième place c'est différent.

Être médaillé aux JO c'est différent que d'être quatrième.

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Les Secrets du Kayak : Avais-tu des problèmes techniques en kayak ?

Marie Delattre : Notre physique fait qu'il y a des choses pour lesquelles on est fort et d'autres pas.

Pour performer aux JO il faut continuer de progresser dans ses points forts, mais surtout travailler ses points faibles.

Moi j'ai besoin de m'entraîner sur mes départs. Ça me demandait beaucoup de concentration. Anne-Laure, une sprinteuse, elle ne pensait pas aux mêmes choses que moi. Moi je suis plus endurante que sprinteuse.

Les Secrets du Kayak : Après les Jeux de 2008 tu as eu un enfant, est-ce qu'à ce moment là tu avais en tête d'arrêter ta carrière en kayak ?

Marie Delattre : Je voulais reprendre après et je le voulais avant d'avoir un enfant. Les gens me prenaient pour une folle, on m'a tout dit.

Je voulais aller en 2012 mais mes objectifs ont changés.

Moi j'avais eu le Graal avec ma médaille, ma carrière pouvait s'arrêter ce n'était pas grave. Quand j'ai repris, j'ai posé mes objectifs pour aller aux JO. Comment me motiver, parce qu’honnêtement, ma reprise ça été les huit mois de l'enfer, je n'ai jamais autant souffert de ma vie.

Les entraînements c'était une horreur, ça faisait mal partout, tu n'avances pas. Tu as l'habitude en monoplace de faire du 12 km/h et là c'est à peine si tu fait du 5-6 km/h, tu as beau y mettre de l'énergie, tu ne tiens plus tes abdos, les bras c'est la catastrophe... j'ai repris avec les minimes.

Donc je me suis fixé des objectifs atteignables pour ne pas craquer, et en un an je suis revenue presque à mon niveau d'avant. Je voulais que mon enfant voit ce que faisait maman avant qu'il arrive. C'était mon objectif phare.

Et quand j'ai recommencé c'était pour faire du K4. Mais il n'y avait pas de filles, donc j'ai dit c'est pas grave elle vont arriver. Et on a construit un équipage.

On a fait les championnats du monde et on a fait une finale. Le temps que je re-progresse, je suis revenue au niveau des senior vers septembre, j'ai fait les sélections en mono et les résultats étaient là.

Du coup ça a branché les filles de faire un K4. Il y avait six filles du même niveau, donc ce n'était pas toujours les mêmes. Et c'est la période où Sarah Guyot est arrivée.

J'avais fait du K2 avec elle. Elle a progressé très très vite. La fédération voyait là la possibilité de gagner une médaille en K2.

Les Secrets du Kayak : A ce moment quand tu reprends, tu dis que tu t'entraînes avec les autres. Tu es retournée au pôle de Vaires ?

Marie Delattre : Non je suis restée à mon club. Je ne suis allée qu'une année à Vaires.

On se voyait que pendant les stages. Mais après les JO il n'y en a pas, c'est deux ans avant les jeux que ça reprend, parce que ça demande des moyens.

Il n'y en avait pas beaucoup et moi j'avais dit que je ne voulais pas faire les stages de l'équipe de France, que je reviendrais au niveau mais à mon rythme. J'étais assez surveillé au niveau des résultats, alors qu'ils traînent à venir. J'ai mis un an à quasiment retrouver mon niveau.

Après mon objectif, c'était de faire progresser les filles et montrer à mon garçon ce que maman sait faire, je n'étais pas dans une optique de gagner une médaille. L'approche était différente.

On m'alignait sur du K1 200m et je faisais le job.

Et le K4 était top. On discutait beaucoup avec les filles. J'étais la maman du bateau, leur transmettre mon savoir.

De plus au K4 la sélection se fait un an avant les JO aux championnats du monde, ils prennent les dix premières, et dans ce lot il fallait trois continents.

Les chronos continuent de descendre en mono et en K4, et les autres filles n'avaient pas du tout compris que le bateau était sélectionné à la fin de la demie-finale. Moi je hurlais de joie, et elles n'osaient pas me croire.

On pouvait s'entraîner cool pendant un an. Et donc pour Londres on ne visait pas une médaille mais plutôt la cinquième place. On était quatre filles de niveau différent. Je savais qu'on ne gagnerait pas mais qu'on pouvait faire un bon chrono.

On voulait prouver qu'on avait notre place. Donc je suis contente de mes trois Jeux.

Les Secrets du Kayak : Après ces Jeux là, tu as fait un autre enfant, est-ce que tu t'es dis que tu allais revenir après ?

Marie Delattre : En fait 2012 a été dur. De janvier jusqu'aux Jeux ça été dur, mon garçon avait trois ans ce n'était plus un bébé, il demandait maman mais moi j'étais en Australie trois mois en stage, puis au Maroc.

En plus j'étais enceinte en 2012, je voulais ce deuxième bébé. Malheureusement je l'ai perdu après les Jeux, en fait il a fait une infection virale. Je suis tombée malade après les Jeux, c'est passé dans le placenta.

Cette expérience nous a fait prendre conscience qu'on voulait vraiment fonder une famille. Je suis très vite retombée enceinte derrière, j'ai eu Adam. Et on a voulu laisser la nature faire et huit mois après j'attendais mes jumelles.

Et là je me suis dis que c'était tout, que ma vie c'était d'être maman. J'ai eu de la chance d'avoir pu faire autant de kayak et j'ai annoncé la fin de ma carrière quelque mois après la naissance de mes filles.

J'ai arrêté ma carrière, mais je n'ai pas arrêté de faire du sport. Certes j'ai mis le bateau de côté pour avoir mes enfants, inconsciemment j'avais peur de perdre d'autres bébés. Après Adam j'ai repris le bateau, et j'avais fait les championnats de France.

Je m'entraînais trois quatre fois par semaine, de la musculation etc. Et quand j'ai su que j'attendais des jumelles, le gynécologue m'a invité à me calmer. C'était quand même une grossesse à risque.

Donc je me suis concentrée sur ma grossesse, j'ai respectée mes engagements pour les championnats, et j'ai stoppé le bateau. J'ai eu mes filles et maintenant c'est que du loisir.

Je prépare les championnats de France et les qualifications pour dire de ne pas avoir trop mal en course.

Les Secrets du Kayak : Et à côté de ça tu fais d'autres activités ?

Marie Delattre : Pas du tout. Des activités de loisirs avec mes enfants. Quatre enfants c'est du sport. Et avec mon mari, le but c'est que nos enfants sachent courir, nager, faire du vélo.

Je ne leur demande pas d'aimer le sport, mais de savoir en faire un minimum pour qu'on puisse se balader sans problème.

Qu'ils puissent aller au bord du bassin sans appréhender le danger. Et puis même pour l'école, nous on trouve que c'est un minimum.

Les Secrets du Kayak : Tu parlais d'avoir fait trois mois de stage en Australie, est-ce que tu as pu observer des pratiques différentes ?

Marie Delattre : Non, c'était pareil. On a tous les mêmes façons de s'entraîner.

Les contenus peuvent changer. La séance d'EB1 ça reste 1h30 sur l'eau. La séance dans le fond peut changer, on s'adapte on essaie des choses, voir si ça va.

Mais mon meilleur stage ça reste celui avec la canadienne. C'est une chose dont je me souviendrai toute ma vie.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que la préparation mentale se pratiquait déjà à ton époque ?

Marie Delattre : Oui, j'en faisais beaucoup. Je disais à mon entraîneur Olivier Bayle que je voulais être en équipe de France. Il m'a suivi certes au niveau des entraînements mais la contre partie c'était d'aller consulter Maryse Lebas, une sophrologue.

Je ne savais pas ce qu'était la sophrologie. Pour te dire je me souviens de ma première séance, avec une page blanche sur laquelle elle m'a demandé de préciser tout ce qui était nécessaire de mettre en place pour atteindre mon objectif qu'est la performance : l'entraînement, l'alimentation, l'hygiène de vie, le mental, le médical...

C'est là où je me suis rendue compte que beaucoup de paramètres entraient en jeu.

Et j'ai vu qu'il me manquait une préparatrice mentale, pour préparer mes courses, avoir confiance en moi, limiter mon stress. Et ça m'a beaucoup apporté.

Mais ces gens là, il faut trouver les bons et ne pas les lâcher. Parce que c'est dur de faire confiance aux gens, même les entraîneurs. On accroche qu'avec trois ou quatre sur vingt.

Et cette personne m'a suivi même après ma carrière, même pendant les moments douloureux, l’arrêt, ma reconversion, le travail.

Parce que parallèlement à ma carrière, je travaillais. J'ai eu la chance après ma Licence passée à distance de rencontrer le président de la communauté urbaine d'Arras, qui voulait m'aider.

Mon entraîneur lui a expliqué que la seule chose qui manquait à mon épanouissement c'était un travail. Et il m'a proposé un poste à la CUA. C'était un contrat CIP qui était du détachement de travail pour me permettre de m'entraîner.

Donc j'avais une garantie d'emploi, un CDI, après avoir fait un stage et avoir été titularisée. J'étais contente d'avoir un petit salaire à la fin du mois, pour ma vie à côté. Ça me faisait une garantie pour acheter une voiture, puis une maison. Ça m'a fait vivre.

Et après ma carrière, je suis passée à temps plein même pendant mes grossesses. À partir du moment où je lâchais l'entraînement, je travaillais à temps plein.

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Les Secrets du Kayak : Est-ce que sans ce travail tu aurais pu vivre normalement ? Est-ce que tu as eu des sponsors ?

Marie Delattre : Je n'ai pas eu de sponsors financiers. Le kayak c'était ma passion, mon club m'aidait beaucoup, en fonction des moyens qu'il avait.

J'avais un contrat d'image avec la communauté urbaine d'Arras, la ville m'aidait, la région, le département aussi.

On a créé des collectifs aussi. Donc tout ce cumul faisait que je m'en sortais bien à l'année. Ça me convenait. Je ne voulais pas de partenaire financier. C'est mon club qui gérait, j'envoyais les gens vers mon club. Ils devenaient partenaires de mon club.

J'ai eu des soutiens pour du matériel, par exemple Nelo, tous les ans ils me changeaient mon bateau. A la fin ils me l'offraient. Pareil pour la pagaie, j'en achetais une on m'en offrait deux.

Après c'était pour les vêtements avec Craft. Et je me débrouillais pour qu'on ait les mêmes lunettes, les mêmes vêtements pour les Jeux, c'est quand même une vitrine.

Aussi j'aimais bien certaines barres de céréales, je les ai démarché, ils ont dit ok, ils m'ont envoyé tous leurs produits.

Les Secrets du Kayak : J'ai une question personnelle, comment ton conjoint vivait ta carrière sportive ?

Marie Delattre : En fait moi, j'ai eu Olivier en tant qu'entraîneur. Je l'ai rencontré j'avais 15 ans, il en avait vingt, il entraînait des athlètes au club.

En passant senior, à faire des stages, mon entraîneur a passé le rôle à mon mari, donc il a pris le relais, ce n'était pas simple, mais au moins je pouvais m'autoriser à partir en vacances.

Mon mari organisait tout ça autour d'un plan d'eau, donc on partait mais mon entraîneur savait que je m'entraînais, parce que mon mari venait au rapport. Il me suivait, il a fait tous les championnats du monde, je lui payais au début son voyage.

Et ensuite il a intégré le comité olympique canoë dames, donc le CIO a créé une équipe de stage, et c'était mon mari qui nous encadrait. Il était avec les canoë dame, et du coup il était accrédité, et c'était plus avantageux.

Il a toujours été à côté de moi et m'a toujours soutenu.

Aujourd'hui il est toujours entraîneur, il accompagne toujours les athlètes de haut niveau. Il est vice président du club. C'est pas simple non plus avec la vie de famille, mais il encadre une fois par semaine au club.

Les athlètes ont une extrême confiance en lui. Si un athlète l'appelle, il y va.

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