Interview : Philippe Boccara

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Philippe Boccara en octobre 2021.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Philippe Boccara : Ça va bien merci.

Les Secrets du Kayak : Ça me fait plaisir de t’avoir dans le podcast, tu as été décrit comme une machine, et il semblerait que tu sois plus grand que moi ?

Philippe Boccara : Je faisais 2,01m oui, et maintenant 1,98m. J’étais le plus grand de l’époque. Dans le bateau, tu peux vite être limité en taille. Les gens grands ne faisaient pas de bateau.

J’ai commencé le kayak vers 9 ans. J’ai fait du judo avant ça. Mais j’ai suivi mon frère et ma sœur dans le kayak. Je voulais me sentir libre, et faire de la vie un jeu.

Moi j’ai commencé en canoë ouvert, on prenait ce qu’on avait pour aller sur l’eau. Je n’avais pas pour but de faire de la compétition, je voulais m’amuser.

C’était dans la Sarthe, il y avait plein de virages, ce n’était ni de l’eau calme ni de l’eau vive. Ce n’était pas vraiment un club.

J’étais à l’école, j’étais dyslexique, et gaucher. Je n’étais pas heureux à l’école, je me sentais prisonnier. Dès mes 7 ans, je devais rentrer dans une école spécialisée où tu n’apprends pas grand-chose. Et donc le kayak m’apportait une bouffée d’air.

J’ai été amené à faire des compétitions parce que des petites courses étaient organisées. Mais pour moi la satisfaction de la médaille, c’était de se sentir vivant. Tout devait être un jeu pour moi.

J’en faisais deux fois par semaine. Mais l’hiver, l'eau gelait. Le club c’était comme un conteneur et le thermomètre affichait souvent moins de 0°C. Normalement à cette température, tu n’as pas le droit de faire du kayak, mais on soufflait sur le thermomètre pour avoir le droit d’y aller.

Ce n’était pas vraiment des entraînements, notre but c’était d'aller sur l’eau. Par la suite au club, on a eu deux bateaux de vitesse, un rouge et un vert en plus de la barquette.

La toute première fois, notre but c’était de tomber dans l’eau. On était content. Le lac lui même faisait 300m de large.

Quand on faisait de la rivière c’était plus froid, on campait au bord de l’eau. Et le matériel de l’époque ce n’était pas comme aujourd’hui, tu avais froid toute la journée, c’était l’aventure. Ce n’était pas un exercice de cardio, mais de survie.

L’école ne me convenait pas du tout pourtant ma mère m’a aidé, mais les orthophonistes n’étaient pas très performants. Tu devais rentrer dans un moule, pour savoir travailler en usine par la suite. Mais ça m’a permis d’être plus fort en kayak. J’ai pourtant fait mon doctorat aux USA. Ce n’était pas la même ambiance.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu t’es distingué en kayak par rapport aux autres ?

Philippe Boccara : A un moment, je faisais de la natation au collège, et mes parents avaient toujours peur que je me noie, ils me demandaient de rester dans le petit bassin mais je touchais le fond. Le maître nageur me voyait faire, et m’a emmené dans le grand bain. Et au final, j’ai rejoint l’équipe de natation en club. Ça m’a aidé pour le kayak.

Et vers 13 ans, j’avais un problème de poids. Je me suis mis au régime et j’ai perdu quinze kilos avec la natation. J’ai eu un déclic. J’en faisais quatre à cinq fois par semaine. Mais ce n’était pas assez pour être au niveau national. C’est vers mes quinze ans que j’ai performé.

Je n’avais pas vraiment d’idée de ce que je voulais. Je ne voulais pas être comparé aux autres, donc la compétition ne m’attirait pas, mais j’avais besoin de me bouger. Et j’avais des amis en natation.

J’avais mon propre style pour nager, je n'en faisais qu’à ma tête. Et au final aujourd’hui, les gens nagent comme je le faisais, je nageais plus vite qu’eux.

Au kayak c’était la même chose, je pagaie différemment des autres. J’utilisais ma taille, c’était naturel, une attitude et une démarche.

Les pagaies, on les faisait nous même avec des manches en plastique. Quand j’ai eu ma pagaie en bois après ma qualification des championnats Europe junior, c’était un événement. Mais au final, un jour j’étais coincé dans l’eau sous un barrage avec ma pagaie et mon kayak, j’ai du dessaller (esquimauter)et ma pagaie n’a pas tenu.

J’ai attendu d’être en équipe junior pour avoir une pagaie danoise. Elles n’étaient pas solides, il fallait taper l’eau toute en finesse, je ne les aimais pas. J’y avais mis toutes mes économies dedans, elle faisait 2,30m. Comme elle a cassé, ils m’ont renvoyé une pagaie en 2,15m.

Ensuite on est passé à la Wing suédoise, elles étaient plus performantes, elles twistaient mais tu tombais facilement dans l’eau. J’avais un copain qui travaillait sur le projet, il les vendait en paquet de vingt avant que ce ne soit copié. Au final, ce sont les pagaies que tu retrouves sur le marché aujourd’hui. Les temps ont descendu de plus de dix secondes d’un seul coup.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu fait pour entrer en équipe de France ?

Philippe Boccara : C’était à Vichy, il y avait une grosse équipe, je progressais donc je faisais du monoplace. L’entraîneur ne m’aimait pas de trop, j’étais un peu rebelle, je ne me mettais pas en tenue, j’ai eu du mal à m’intégrer à l’équipe, je voulais qu’on me laisse tranquille sur le sujet de l’école.

En plus j’étais grand, les gens faisaient 1,75m en moyenne, et mon allure ne collait pas au type militaire comme demandé. Mais j’ai gagné ma course de 5000m devant le hongrois. Donc comme j’étais trop grand pour l’équipage, je faisais du mono.

Moi je courais beaucoup, je ne naviguais pas tant que ça. Je courais avec un walkman pendant deux à trois heures jusqu’à n’en plus pouvoir. Je n’étais pas si fort, je courais longtemps.

Et au printemps, je m’entraînais plus dans le bateau, tout seul, sur mon lac. C’était assez court.

Quand je suis parti du Mans, c’était différent. J’en avais marre de l’entraîneur, j’avais du mal à communiquer même s’il était sympa. J’étais obligé d’être dans un moule vieille école.

Ça dû être mon meilleur entraîneur finalement. Il m’envoyait faire des courses senior alors que j’étais junior. Je n’étais jamais là, j’ai raté mon BAC, j’ai été envoyé en sport étude à Besançon. Et de là, tout a changé.

Niveau climat, ce n’était pas agréable, il faisait froid. C’était toujours un test de survie que de s’entraîner, et je continuais à courir beaucoup. Les entraînements étaient structurés avec Yves Léte le responsable de sport étude.

Il aimait ses athlètes, je me sentais soutenu. Et j’y ai trouvé mon premier équipier Patrick Genestier. En 1976, on fait du K2 ensemble. Je me trouvais dans le bateau de quelqu’un qui allait au JO.

Surany nous construit un K2, il me fallait être à l’avant. Il a fallu adapter le bateau du coup à force de couper l’hiloire, on ne pouvait pas mettre de jupette donc on a finit par prendre l’eau. Je l’adorais même si, petite anecdote, on était pas toujours d’accord.

Je suis passé du club du Mans à Condé sur Vire, mais le top c’était Besançon.

En sport étude, on s’entraînait une fois en bateau et le reste du temps je courais. Pour la musculation on allait dans la salle de gym de l’armée. Il y avait un club de culturiste pas loin de chez moi. J’y allais souvent. J’y ai découvert la rigueur et la discipline.

En sport étude, je ne visais pas grand-chose mais je suis allé en championnat du monde. En 1979, j’ai commencé à monter sur un podium. Je n’avais pas l’esprit olympique, je ne collais pas dans le décor, pour moi c’était pour m’amuser.

Après mon BAC, j’ai fait l’INSEP en 1978 pour une année en tant que prof de gym, mais je n’aimais pas. En plus quand je suis stressé, je suis paralysé. Bref, ensuite je fais une année de kiné, ça ne m’a pas plus non plus. Moi je voulais gérer la personne dans sa globalité et non pas par petits morceaux, pour moi tout est relié d’où mon choix pour la chiropractie.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu es sélectionné en 1980 pour les JO ?

Philippe Boccara : J’allais vite tout simplement.

Ça s’est imposé à moi. Et même les Jeux de Moscou, ce n’était pas sérieux pour moi.

1979, je fais un podium. On faisait pas mal de tests de santé à la Salpêtrière. On nous donnait des crèmes à mettre sur la poitrine. Je ne sais pas trop à quoi ça servait. Je pense qu’à cette époque, il y avait énormément de dopage.

Moi j’ai fait du K4 avec Patrick Berard, Patrick Lefoulon et François Barouh. Il n’y avait pas de structure d’entraînement. On a fait sixième. On a réussit à remonter à la troisième place. Mais il y avait quelque chose qui n’a pas fonctionné, on a chaviré.

A cette époque donc en 1980, je suis toujours à l’Insep, j’avais 21 ans. J’avais envie de changer, j’ai testé l’aviron mais ça ne m’a pas plu et je suis revenu au kayak.

Après les Jeux de 1980, il y a eu une équipe pour aller en Chine. Et Alain Lebas qui avait bien réussi aux JO avait refusé de courir, donc j’ai fait toutes les courses. Je me suis senti au top. Après 1980, j’avais le monopole.

Je suis parti aux USA en 1982 et pendant huit mois je n’ai pas fait de bateau, il n’y avait pas d’eau.

Le DTN de l’époque en France m’a reproché de demander beaucoup plus d’argent que les autres. On s’est disputé, ils m’ont donné ce qu’ils ont bien voulu soit 100 fr.

Je pars à Kansas City pour l’école. Donc j’ai refait du bateau à mon retour en France. Pendant ce temps, j’ai fait de la musculation et de la machine à pagayer que le club m’avait envoyé. C’était bourré d’amiante.

Je suis rentré en France, j’étais le plus lent de l’équipe, j’allais moins vite que les filles. On m’a envoyé en stage en Hongrie mais ils ne s’entraînent pas l’hiver.

Et en fait au bout d’un mois, j’en suis revenu, j’ai gagné une médaille. Ils ont toujours été fort. Ils m’avaient mis avec le bateau de champion du monde en K2. Je m’entraînais deux fois plus qu’eux, ils s’en plaignaient.

On fait la course à Szeged, j’ai fait ma course sans barre à pieds, on me l’avait piqué et j’ai gagné. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que j’avais quand même trouvé de quoi trouver mon appui.

A mon retour en France, je continue de m’entraîner deux fois plus que les autres. J‘étais le seul en finale en équipe de France. On m’a aidé financièrement et je repars cette fois à Los Angeles. Je courais pas mal. C’était quatre mois d’école avec juste deux semaines de vacances sur trois sessions.

J’arrivais le vendredi soir faire du bateau jusqu’à épuisement. Et le samedi et dimanche, je faisais trois séances par jour. Je ne m’entraînais que l’année des Jeux en réalité. Je ne réfléchissais pas en fonction des JO et j’étais livré à moi même. En fait, j’étais hors norme.

Du coup les Jeux de 1984 se sont bien passés, j’étais sur place. Et je me suis retrouvé à conseiller à l’entraînement toute l’équipe. J’ai inventé tout et n’importe quoi, ça enlevait le sérieux de la chose.

A chaque anniversaire, je faisais mon nombre d’année x 1000m. Je me suis bien amusé. A Newport, j’ai rencontré beaucoup d'équipes et du coup, je les entraînais toutes.

Pour 2,01m, je faisais en moyenne sous les 90 kg. Pour descendre en poids, je mangeais mieux tout simplement. La cuisine française est bien meilleure que la cuisine américaine. Je suis très sensible à l’alimentation. Quelque chose peut très vite ne pas bien passer, donc je me suis intéressé à la nutrition.

La médaille de 1984 est une consécration parce que c’est la seule médaille que j’ai eu. J’ai eu la médaille avec mon équipe, mes amis. La médaille en soit ne représente rien pour moi. C’est l’idée de l’avoir gagnée ensemble qui m’a plu. J’aurais du gagner en K1 mais je n’ai pas su gérer mon stress, et j’ai mal géré mon alimentation. Bref, tout le monde était content.

En fin de compte pour bien fonctionner pour moi, il faut que les JO reste un jeu. Quand tu arrives au JO, ça devient une obligation, tu as la pression des autres. Ça m’a ravivé les mauvais souvenirs de l’école, ça m’a déstabilisé complètement, ça m’a paralysé. Donc quand les journalistes te demandent comment tu te sens, prêt à gagner ? Tu doutes ! En 1984, j’étais responsable du bateau, on était soudé.

Après 1984, je recommence l’école aux USA. En 1985, je reviens en France, et je gagne toutes mes courses. Ensuite avec Pascal Boucherit, on voulait faire du K2, on nous le refuse. Au final on participe à une course, on gagne la course. Donc pour les JO de 1988 pour se préparer pour faire du K2.

Pour les championnats du monde à Montréal, en revanche je n’ai pas fait du tout de bateau, impossible avec l’école, on a fait sixième au final.

L’année d’après, c’était beaucoup mieux, on était complémentaire avec Pascal. 1987 on gagne tout. On n’était pas rapide sur le K2 500m on travaillait pour rattraper les autres. Et en 1988, on était devant tout le monde.

On était vraiment les meilleurs avec Pascal. Ce qu’il s’est passé aux JO, c’est qu’en fait on était livré à nous même, je ne sais pas pourquoi je m’étais convaincu qu’on était dans la deuxième course, donc la dernière. On part à la douche, on attend le rappel... qui ne viendra jamais. On venait de faire la première course en réalité. J’étais paniqué, je ne pouvais plus bouger. C’est Pascal qui m’a tiré pour se dépêcher pour prendre le départ, mais il était trop tard. J’ai été disqualifié pour le monoplace et pour le K2.

On continue, on ne se parle pas, le zoom des caméras se pose sur Pascal, et ils font partir une rumeur selon laquelle il dormait. On n’a pas simplement perdu, on a été démoli. Le gagnant a écrit pour se retirer pour me donner sa place, mais ça été refusé. Je m’étais investi pour réaliser les JO en 1988.

Après ces JO, j’étais bien déprimé, je suis retourné aux USA, je suis passé à autre chose, j’ai validé mon diplôme.

Après ça, je me remobilise pour les JO de 1992 facilement. Avec ma femme, on s’était lancé dans un projet de rénovation maison à San Diego. Je faisais du kayak pour l’aspect physique mais ce n’était plus pareil, je ne ressentais plus cet enthousiasme que d’en faire. En fait, j’avais perdu mon ami.

Les Secrets du Kayak : Pour les Jeux de 1992, c’est une revanche pour toi d’avoir la médaille avec Pascal ?

Philippe Boccara : En fait moi, je suis reparti aux USA après les JO de 1988 alors que Pascal est retourné en France et a subi toutes les conséquences de cet événement. Aux USA ce n’était pas insurmontable, faire une erreur c’est un moyen de grandir et d’apprendre sur la vie.

En France, pas du tout ! Il a souffert énormément. Donc en 1989, il n’y avait plus de vie dans le bateau. On a juste réussit à faire sixième aux championnats du monde.

En France, il y a eu une rumeur selon laquelle j’aurais dit que c’était la faute de Pascal. Ce qui est faux. On est toujours amis, on en parle encore. Il décide donc qu’on se sépare. Il fait le K2 avec Bernard Brégeon ce qui était une bonne idée. Je me sentais coupable de ce qu’il s’était passé. Donc en 1990, je me suis mis au K1.

Je me suis blessé le dos avec les travaux de ma maison. Je me suis fait battre par Pascal aux régates de Paris. J’avais décidé de rentrer chez moi et de m’arrêter là, mais l’équipe m’a motivé pour faire du K1.

Je devais courir contre lui. Mais la course n’a pas eu lieu, il ne s’est pas présenté, on m’a donné la place pour le K1 en 1990. J’ai fait les championnats du monde et j’ai retrouvé un peu de plaisir sur le K1. C’est à cette époque que j’ai eu ma Wing avec un manche en aluminium. Mais ça ne m’allait pas bien, alors j’ai bricolé et j’ai fait un double manche pour aller passer des tests au club de Besançon. C’est avec cette pagaie que j’ai gagné.

Je gagne le 10 000m parce que c’était un jeu. J’étais remotivé. Et pour l’année suivante, les responsables de l’équipe de France voulaient qu’on reprenne le K2 avec Pascal. Moi je le voulais, mais d’un autre côté j’appréhendais.

Les Secrets du Kayak : Tu travailles et tu vis aux USA à ce moment là. Tu rentrais seulement en France pour les compétitions internationales qui se passent en Europe ? Tu t’entraînais tous les jours ?

Philippe Boccara : Oui, même si je partais en vacances à la montagne, j’avais mon kayak sur le toit. Je passais mon temps à bricoler mon bateau pour l’optimiser par rapport à mes grandes jambes et pour caler mes pieds. Je testais beaucoup de choses.

Mes entraînements étaient toujours rapides, en allure de course. Ma technique était bonne, chaque coup de pagaie est important, donc le but était de voler sur l’eau. J’ai écouté ton podcast sur l’imagerie mentale et moi même j’ai une facilité à me représenter dans l’espace, et à me visualiser tel un oiseau pour voler sur l’eau.

Je sentais les choses, tout était fluide. Je sentais que tout mon corps et ma respiration suivaient et le cerveau était déconnecté. C’était facile d’aller vite.

En 1991, on repart en K2 avec Pascal mais ce n’est plus pareil, nos esprits sont blessés, on se respectait tout naturellement mais on n’était plus bien ensemble. Il n’y avait plus cette euphorie des premières années.

On fait les demies finales, c’était une surprise ! On arrive mais on se fait disqualifier parce qu’on était trop près de la ligne à un moment. Nouveau coup de grâce. Donc, je décide de rentrer. Au final, on se voit et on ne se dit rien du tout, on fait au final le 10 000 m mais ce n’était pas la même chose.

On repart pour un tour en 1992 pour Barcelone, c’était une obligation, ce n’était pas un jeu pour moi. J’avais envie mais quelque chose en moi m’empêchait de me réjouir. On a demandé de l’aide d’un point de vue mental, on nous a dit d’aller faire du sauna, pour te dire que l’aspect mental n’existait pas à l’époque. J’ai toujours eu des problèmes de communication.

Donc 1992 en demi-finale, je pagaie trop vite, j’ai perdu Pascal, on a perdu le timing et on ne passe pas en finale. On ne faisait plus partie des favoris, c’est comme si on avait le système contre nous. Il aurait fallu repartir sur un K4.

A cette époque, là je repars aux USA, je fais ma vie. Je parle attitude, diététique, sport, santé avec mes patients. Et là je n’ai plus l’intention de participer aux futurs JO, j’avais 33 ans. Et pour les responsables de l’équipe de France, on était devenu trop vieux. Moi je me suis mis au surfski, Pascal a raccroché totalement. Les patients m’ont redonné la vie. Je n’ai pas fait de compétition jusqu’en 1996.

Le surfski c’est un gros bateau, donc c’est facile pour naviguer. J’ai un Fenn élite. Il ne faut pas que je sois trop gros, et je peux adapter la barre à pieds facilement.

Et un jour, un patient me parle de son kayak, je lui rachète, je me présente à une course et je la gagne. Puis je vais aux piges américaines, comme les français ne voulaient plus de moi, ça ne posait pas de problème. J’ai été qualifié in extremis. Donc j’ai été intégré dans l’équipe.

Aux USA, les gens sont procéduriers, et le challenger avait poursuivi la fédération en justice, donc eux n’en voulaient plus pour le K1, et nous le K4 était compromis pour plusieurs raisons. On a fait les JO de 1996 avec une personne hospitalisée qui est revenue deux jours avant l’épreuve, et une autre ayant un problème cardiaque !

Du coup, le K4 n’est pas passé en finale. Il n’y avait pas de relève car ce n’est pas un sport universitaire. Donc ce n’est pas sponsorisé, ni organisé. En université aux USA, les athlètes ont leurs études qui sont payées, et on leur donne un salaire. Ce qui fait que tu as du monde en natation et en aviron, mais pas en kayak.

Je repars du coup pour les JO de 2000. Je me sentais bien, j’avais le moral. Je m’entraînais avant le travail. J’ai travaillé très très dur, 27h par semaine. Je gagne les piges facilement. Mais je me suis vite fatigué avec le travail. Donc j’ai décidé de faire le K4. On ne s’entendait pas très bien.

J’ai rencontré ma femme à Los Angeles, elle s’est retrouvé à faire du kayak avec sa copine. Je l’ai vu pagayer un peu n’importe comment, donc je me sentais obligé d’aller la voir. On a parlé, elle m’a dit qu’elle voulait être chiropracteur, et ça s’est fait comme ça.

Donc pour reprendre, j’ai repris le bateau en 1999, donc de 1996 à 1999, je faisais mon sport de maintien avec le surfski.

Du coup, Sydney 2000 on le fait en K4. J’étais le plus rapide sur 1000m. Je voulais être à l’avant.

Aux USA, chaque équipe présente un candidat pour se faire élire pour être porte drapeau à la cérémonie d’ouverture des Jeux. Les équipes de Kayak ont nommé Cliff Meidl. Avant qu’il ne soit élu, on me dit que je suis dans le K4 et je décide de ne faire que le K4. Cliff Meidl est le remplaçant de l’équipe, donc il n’a pas de compétition à faire.

Le lendemain, on me dit que je ne fais pas le K4, mais le K2 avec lui. Il devient tellement célèbre que je ne le vois plus, donc on ne s’entraîne pas du tout ensemble. Donc la course c’est n’importe quoi, mais je ne cherchais plus la médaille, ce n’était pas le but, donc je n’étais pas déçu et c’est un super copain.

Porter le drapeau pour lui, ça a été extraordinaire. Et grâce à ça, il a pu s’investir dans la prévention des risques dans son corps de métier suite à son accident. Je vis à travers son succès. Je suis content.

Au total, j’ai fait six olympiades. Je suis kayakiste dans l’âme.

J’ai dépanné pour entraîner un peu. Si bien que je le fais sérieusement. J’ai eu une année Pauline Freslon du club du Mans, à 19 ans elle était présidente du club. Limite, elle dirigeait son père qui lui aussi travaillait au club. Je crois que cette année, elle est championne d’Europe en descente.

Quand elle est venue pour que je l’entraîne, c’est limite si elle ne m’a pas forcée un peu la main, mais c’était génial. Je ne la coachais pas sur le programme d’entraînement, mais sur la manière de penser. Sa jupette c’était «  je pense comme une américaine, je mange comme une française » ça a changé son état d’esprit. Elle se pensait trop petite, on a changé sa perception sur elle même.

Prendre quelqu’un pendant un an et l’entraîner, c’est ce que je fais aujourd’hui puisque la chiropractie avec le covid, je l’ai arrêté. Et comme je prends toujours beaucoup de plaisir avec le kayak, c’est possible que je renouvelle l’expérience.

J’aime faire les choses à ma manière. Tu les guide et c’est eux qui s’expriment. Lorsque j’écoute tes précédents podcasts, on parle de kayak scientifique. Ça aide, mais ça limite en même temps. Tu deviens prisonnier de la science. La science n’est jamais en avance sur l’humain. Si tu peux comprendre l’humain et te comprendre toi même, tu auras toujours un temps d’avance. Bref, ré-entraîner quelqu’un ça se discute.

Pourquoi ne pas avoir tenté les sélections pour 2004 ? Tout simplement parce que je me suis lancé dans d’autres choses à faire que le kayak.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as eu l’ambition de faire des compétitions de surfski ?

Philippe Boccara : J’en ai fait, j’aime bien les vagues mais sans plus. J’étais en recherche des sensations de finesse et de vitesse, ce que tu n’as pas en surfski puisque tu passes la vague et tu laisses la vague te porter.

Pour moi, c’est une récréation. J’avais encore l’esprit de faire bien sur les courses à San Francisco, sur un 10km j’aimais garder les gens à distance pour ne pas me faire coincer. Je menais la course jusqu’à la bouée, mais ensuite j’ai éclaté. Je n’avais pas vraiment d’objectif.

Et la dernièrement, la mer est fermée, de l’huile de pétrole s’est échappée. Donc on reste actuellement sur du plat. J’aime bien faire un circuit, tourner en rond, pour faire des chronos. Ça me permet de continuer à pousser.

Les Secrets du Kayak : Comme tu es grand, de quelle taille étaient tes pagaies ?

Philippe Boccara : En général, elles étaient en 2,24m. La longueur d’une pagaie dépend de la taille de la pale. Si les pales sont plus courtes, le manche devient plus long. Donc il y a des variations selon le type de pagaie.

Pour te donner un exemple, j’avais un collègue qui était plus petit, il mettait un pouf dans le kayak.

Par conséquent, cela le grandissait, donc pour compenser sa longueur de bras il avait des pagaies assez longues pour avoir plus de levier. Ce qui est important, c’est ta taille assise.

En revanche, j’ai de l’allonge.

J’ai donc connue l’évolution des pagaies. Aux USA, j’avais une Epic et en fin de compte pour le K4, j’ai pris une Braca. Pour moi il valait mieux que tout le monde ait la même pagaie pour une meilleure harmonie dans le bateau.

J’étais à la recherche de la meilleure transmission. Un peu comme en course à pied où tu tapes le sol fort pour ensuite planer. Ma force était la rotation. Il faut faire attention de ne pas se blesser le dos. Mais de part mon métier, je comprenais la logique des vertèbres.

Les vertèbres thoraciques sont importantes dans ta rotation. Elles viennent vraiment du haut du dos. Il faut vraiment se relever sur l’arrière du coup de pagaie pour avoir une meilleure rotation et attaquer ensuite avec de la puissance « gratuite ». Avec Pascal, au départ on n’allait pas vite et on partait en arrière. Je lui ai montré cette rotation, et après on a glissé sur l’eau. Il faut initier la glisse au démarrage et laisser le bateau glisser ensuite.

Il fallait que le bateau plane. La vitesse s’adaptait en fonction de celle du bateau.

Je n’ai jamais eu de blessures ni aux épaules ni au dos. Je pense que les douleurs arrivent avec les secousses, avec la transmission. Pour moi si ça arrive c’est parce qu’il y a des parties du corps qui ne sont pas fonctionnelles. Ce sont des compensations qui se mettent en place, et ce n’est pas bon.

L’avantage pour moi de la pagaie dure, c’est qu’elle était liée à mon poids car je suis lourd. Je voulais des pales très dure, donc le manche se devait d’être dur.

En surfski, j’ai cassé plusieurs pagaies, ce n’est pas pareil. Du coup, j’en ai repris une ancienne, une Epic. Je pense racheter une Jantex ou une Braca 11. En surfski, tu es plus bas dans le bateau, je pars sur une 2,18m et les pales sont plus petites. Tu dois accélérer rapidement, et tu n’es jamais vraiment en équilibre, c’est impossible !

Du coup, j’utilise les bras plutôt que les jambes. Je dois compenser avec la vague le fait que j’utilise davantage les bras.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu te souviens de ce que tu faisais en musculation lorsque tu étais athlète de haut niveau ?

Philippe Boccara : J’en faisais beaucoup. Je faisais de la force en faisant des séries longues.

J’évitais de me saboter pour le bateau. Je faisais 12 à 20 répétitions ou souvent des pyramides. Je ne faisais jamais de max de répétitions, ça ne m’intéressait pas. Je faisais de la force endurance. En 2000, je faisais 2-3 h de musculation par jour, cinq fois par semaine.

Pour les jambes, je faisais de la course à pieds. Il me fallait rester léger. Je n’ai jamais eu de problèmes de jambes. Trop de muscles dans les jambes font que tu vas utiliser plus de sang dans les jambes et donc ça te ralentit, c’est plus difficile pour ton cœur.

Je cherchais à réduire les irritations pour mon foie, pour mes reins.

Les Secrets du Kayak : Tu as commencé à t’intéresser à la nutrition à partir de quand ?

Philippe Boccara : Lorsque j’ai ouvert mon cabinet. Je ne bois pas d’alcool. C’est avec la chiropractie que j’ai commencé à me spécialiser sur les pilules alimentaires permettant la préservation de tes organes.

Ensuite dès lors que je mange de la viande, je cherche à manger des animaux « heureux ». Aux USA c’est de l’industrie, pour trouver quelque chose de sain c’est compliqué. Et tu ne trouve pas d’abats à manger ou de cartilages. Donc j’ai pris des suppléments pour les articulations.

Donc, je prenais des pilules de nourriture concentrée. Je pense que ça m’a permis de ne pas me blesser. La nutrition est importante, tout comme ton approche avec la nourriture. Je suis surpris de ce que peuvent manger les athlètes américains juste avant de courir des JO. Ton corps reflète ce que tu manges. A la fin du compte, tu peux détruire tes reins, Il faut faire attention.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert la chiropractie ?

Philippe Boccara : En 1980, je rencontre Frédéric Allemann, le chiropracteur de descente et de course en ligne. Il était kiné et était venu faire ses études de chiropractie aux Usa. Il m’a inspiré et poussé à aller à l’aventure.

J’écoutais ses histoires, je ne voulais pas faire médecine. La chiropractie, c’est une médecine de santé et non pas de malade.

Pour moi la fin de carrière, il me faut rester en bonne santé. Quand tu arrêtes le sport, tu peux être perdu.

Pour moi, ça a toujours été facile parce que je fonctionnais en dehors des structures. Dans mon métier, j’ai par exemple créé une charte avec la pression cardiaque ce qui me permet de donner un score pour pouvoir connaître comment fonctionne le cœur de mes patients afin de les orienter vers le bon praticien.

Ensuiten j’ai fait une charte pour savoir comment continuer à faire du sport et être performant en fonction de ton âge. Tu calcules un score, moi j’ai 12,5% d’ handicap par rapport à une personne de trente ans. Donc si je souhaite avoir un niveau olympique j’ajoute 12,5% et ensuite tu as ton temps. Ça s’empire avec l’âge.

J’ai fait ça pour créer de la motivation pour les gens et leur expliquer qu’ils peuvent toujours faire du sport, et ne pas leur laisser dire qu’ils ne peuvent plus rien faire. Pour les filles, c’est 10-11% de moins que les hommes du même âge. Cette vision permet de te repositionner lors d’une course, en fonction de l’âge de tes adversaires.

Vous pouvez contacter Philippe Boccara sur son compte Facebook.

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