Interview : Claire Bren
Ceci est la retranscription écrite du Podcast enregistré avec Claire Bren au moins d’octobre 2021.
Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?
Claire Bren : Ça va bien, c’est dimanche, il fait beau. Je suis en récupération donc c’est une super journée.
Je suis en récupération parce que je vais aller participer à la coupe du monde de descente de rivière à Treignac la semaine prochaine en tant qu’ouvreuse, parce que je n’ai pas fait les sélections. Je vais en profiter pour m’amuser et le faire en mode chrono.
Du coup je ne serai pas classée en kayak dame senior, mais je serai classée avec toutes les autres ouvreuses. On part les premières sur ce schéma de course contre la montre.
En fait il y avait les sélections de France de descente de rivière. Cette année je ne les aient pas passées pour me consacrer à la course en ligne. La saison de course en ligne vient de se terminer, donc j’en profite.
Cette saison s’est super bien passée, c’était mes premiers championnats du monde en course en ligne. Super expérience, très bonne ambiance avec les filles, qui pour la plupart rentraient des JO et donc étaient bien fatiguées.
J’ai fait du K2 et du K4. On a fait des courses pleines pour les finales. En K2 on fait deuxième de la finale B donc onzième, et en K4 on fait sixième de la finale. On a bien progressé, on est contentes.
Les Secrets du Kayak : Tu es quelqu’un qui vient de la descente, mais comment et par quoi as-tu commencé le kayak ?
Claire Bren : J’étais au club de Chartres, au nord de la région Centre. On y faisait de tout. J’ai commencé par la descente et le slalom (beaucoup moins) en benjamine. Puis j’ai fait un peu de course en ligne en cadette.
Je me suis plutôt dirigée vers la descente parce qu’au niveau de mon club on nous emmenait sur les compétitions en descente, donc je suivais. Et puis être tout seul dans le bateau c’est sympa.
Dans la descente il y a plusieurs disciplines. Il existe deux formats de course, une dite classique avec des courses longues entre dix et vingt minutes, et il y a le format sprint avec deux manches de qualifications et de finales. Ça dure environ une minute.
Chaque format de course existe en individuel en international, et aussi par équipe. En équipe, on est engagé en trois bateaux, on doit faire la course ensemble pour arriver le plus vite possible. Souvent on se suit avec une distance de sécurité en fonction des bassins. Il faut avoir une stratégie.
Au niveau des entraînements, j’ai l’impression qu’on fait beaucoup moins de musculation que pour les athlètes de course en ligne. Sinon au niveau de l’entraînement c’est pareil, sauf qu’il nous faut aller sur les rivières pour pouvoir pratiquer en eaux-vives.
Le plus souvent en club, l’eau est calme. Donc les 3/4 de l’entraînement se fait sur eau calme comme pour la course en ligne, et ensuite on fait des stages et des week-end en eau-vive pour appliquer.
Cette répartition permet de travailler la technique du coup de pagaie et le foncier. Et d’un point de vue logistique ça prend moins de temps de naviguer de la sorte. L’eau-vive demande beaucoup d’organisation, c’est chronophage.
Mais faire un maximum d’eau-vive ça aide c’est certain. Et chaque rivière est différente. Il faut les connaître sur le bout des doigts.
Les rivières sont classées en fonction de leur difficulté. Pour te dire il existe une classification « infranchissable ». Je ne sais pas qui fait cette cotation des rivières, mais ça permet de jauger la difficulté.
En plus, il y a des pagaies de couleur en kayak, un peu comme au judo. Il y a une pagaie couleur associée à la difficulté de la rivière. D’autant plus que pour participer aux compétitions, ton niveau de pagaie est demandé.
Ma première compétition de descente, je l’ai faite en bateau plastique. C’était ma première année, en plus dans mon club, et ils voulaient que tout le monde participe. Ça été un peu long, ça n’avance pas très vite dans ce type de bateau. C’est un super souvenir.
Par la suite je suis montée en bateau de descente, au début je n’étais pas stable donc pas rassurée, mais c’était sur de l’eau calme. Je faisais des courses départementales et régionales, j’étais sur les podiums.
En descente il y a différentes formes de bateaux mais il n’en n’existe pas de plus stable que d’autres. Ce qu’on nous donne au début ce sont de vieux bateaux qui ne craignent rien, des incassables. Il y a plein de formes différentes.
Les plus simples, ce sont les wave hopper, il sont en plastiques, assez solides mais hyper lourds à manoeuvrer. Un bateau de descente c’est 11 kg, à l’international et c’est moins long qu’un bateau de course en ligne.
Donc tu vas moins vite, mais tu pars plus vite sur un départ arrêté. Tu sens vite le kilo de différence. Parfois tu t’entraînes en rajoutant des poids pour lester le bateau. Ça pouvait aller jusqu’à 7kg je crois, mais c’est plutôt entre deux et cinq kilos. C’est pour faire comme des séances d’appuis.
Les Secrets du Kayak : A partir de quel moment tu t’es distinguée par tes performances ?
Claire Bren : En junior j’ai fait troisième en championnat de France de descente. J’ai vite fait une pause pour mes études en classe prépa. J’ai repris en étant en école d’ingénieur, à vingt ans. J’ai toujours eu de bon résultats avant ça. Je suis revenue, j’étais en bas de tableau.
Pendant ma pause je continuais le sport, il me fallait une pause dans mon rythme d’étudiante.
Je n’ai pas fait les régates nationales minimes parce qu’en minime je ne faisais pas de course en ligne, je n'ai commencé qu’en cadette. Au début c’était la catastrophe. Ensuite j’ai fait les deux disciplines.
Mon premier bateau de course en ligne c’était un Orion, dans mon club il n’y avait rien de plus petit. J’ai commencé sans le siège pour être stable, puis à force je l’ai ajouté. Ça a été long à venir, mais ça reste que quelques séances d’adaptation.
Depuis 2018 où je fais beaucoup de course en ligne, je vois que la technique est plus importante en course en ligne qu’en descente. Je me suis pris la tête sur des choses comme gîter à l’inverse de mon coup de pagaie. La position des mains qui me faisait perdre du temps.
En descente, il y a la rotation des hanches et du buste également, mais on a plus de calage qu’en course en ligne.
Les Secrets du Kayak : Tu n’as pas eu de parcours scolaire aménagé ?
Claire Bren : Le club était à 500m de chez mes parents, donc c’était facile d’y aller au collège et lycée. En prépa, non plus pas d'aménagement.
Et en école d’ingénieur à Poitiers, où j’ai fait trois ans, la première année non plus pas d'aménagement. Ensuite je suis entrée au centre d’entraînement à Poitiers, et j’ai eu des facilités pour aller m’entraîner. J’avais la confiance du directeur. Je ne me prenais pas la tète si j’étais en retard. Mais j’avais vingt ans.
En fait au début je m’entraînais seule sur la rivière, un jour j’ai croisé les athlètes et l’entraîneur du centre d’entraînement. L’entraîneur m’a proposé de faire une séance avec eux, de faire un chrono en descente. Et de là il m’a proposé d’intégrer le centre d’entraînement.
Tout à commencé en 2009-2010, j’ai énormément progressé. J’ai fait ma première compétition internationale en 2012. Cela a pris du temps j’étais souvent en bas de tableau en sélection équipe de France. C’est en 2011 que je fais podium en équipe de France.
En fait, tu peux être champion de France et pour autant louper tes piges. Mais je pense que c’est aussi le cas à cause du calendrier des compétitions. Les sélections ont lieux avant le championnat de France. Tu peux être champion du monde et ne pas être champion de France.
Les Secrets du Kayak : En terme d’entraînement pour la descente, c’est beaucoup d’aérobie ?
Claire Bren : Oui, majoritairement, comme en course en ligne. On n’utilise juste pas les mêmes termes en descente.
On va parler d’aérobie et non pas d’EB1. On parlait de capacité et puissance aérobie. Tout comme on pourrait le dire pour la course en ligne. Les filières énergétiques me parlent davantage.
Les Secrets du Kayak : Lorsque tu participes à ta course de kayak, dois-tu choisir entre la classique ou le sprint ?
Claire Bren : Souvent le descendeur ne choisit pas. Il fait les deux. Il y a des petites exceptions, des personnes meilleures en sprint qui n’aiment pas la classique. Même aux sélections les deux sont fixées, ça s’alterne.
Depuis quelques années, ça a tendance à se spécialiser. Il existe des championnats de sprint tous les ans. Alors que la classique c’est tout les deux ans. Regrouper les deux ça fait de très beaux événements.
Ma première compétition internationale en descente c’était une coupe du monde, en Bosnie. Je n’avais pas fait un super résultat, ce n’était pas fameux. Et la même année, en 2012, il y a eu le championnat du Monde à La Plagne.
Donc on faisait classique et sprint, ça a été dur pour moi de gérer mon stress. Je suis la première à m’élancer, le favoris part en dernier. En fait j’ai fait ma descente sans pression, et à la fin je suis championne du monde de sprint.
Quand tu rentres en équipe de France, l’objectif c’est d’être au top. Mais pendant l’événement je n’étais pas dans cet objectif, j’avais besoin de gérer mon stress.
En plus pour rentrer en liste ministérielle haut niveau, il faut avoir fait déjà un bon résultat au niveau international. Donc à ce moment là, je ne suis pas sur les listes. J’y suis l’année suivante.
Après au niveau des médias et des partenaires c’est plus facile lorsque tu es champion du monde pour avoir des retombées. Je n’ai pas eu de sponsors en 2012 parce qu’il faut faire le premier pas vers les entreprises. Par contre au niveau des partenaires institutionnels, on est plus aidé par les régions et le département.
Je n’ai pas travaillé tout de suite après mon diplôme d’ingénieur. J’ai fait un service civique au comité départemental de kayak, sur le thème de l’environnement. On devait faire 20h semaine, ce qui m’a permis de me préparer pour les compétitions.
Je n’ai pas travaillé en tant qu’ingénieur parce que ce n’était pas conciliable avec le sport de haut-niveau. Je crois que je me suis trompée de voie, du coup j’ai fait le professorat des écoles en 2014. Entre 2012-2014, je travaillais à Décathlon.
Être professeure des écoles m’a permis d’obtenir un mi-temps annualisé. Je travaillais plein temps de septembre à février. J’étais payée à mi-temps. Il a fallu que je fasses des démarches pour obtenir une décharge, donc pour être payée à plein temps pour être déchargée à mi-temps. C’était top.
Même si je n’étais pas championne du monde tous les ans, je faisais quatrième, cinquième. Donc je restais en liste senior, et je conservais le mi-temps avec la décharge.
Du coup j’ai pu faire davantage de stages dès le mois de mars de chaque année, je n’avais pas de contraintes. Mais de septembre à février j’étais coincée, je devais m’organiser pour glisser les entraînements le soir ou le midi.
Après, on fait toujours une coupure l’hiver. On va faire des stages de ski de fond. On en revient mi janvier pour faire du volume bateau. On a des séances de musculation, de course à pied ou vélo ou natation.
Après, je ne me suis jamais entraînée énormément en faisant beaucoup de séances par semaine. J’étais entre dix et onze séances par semaine. Il fallait faire du qualitatif. Maintenant, je vais jusqu’à trois séances par jour.
Les Secrets du Kayak : Après 2012 est-ce que redevenir championne du monde est un objectif qui te motive pour continuer ?
Claire Bren : Le but était de ré-obtenir mon titre en sprint mais aussi en classique. Moi c’est la course longue que j’aime, je ne l’ai pas encore atteint.
Le but de tout ça c’est qu’en 2017,j’avais quasiment tous les titres, il me fallait un autre défi, la course en ligne.
Je ne sais pas ce qu’il aurait pu me manquer pour y arriver. J’avais fait de la préparation mentale mais je ne l’ai pas encore optimisé.
Après je ne suis pas fan des séances longues, une heure de séance me convient. Je ne sais pas si faire plus d’aérobie m’aurait aidé.
Avec la musculation, j’ai pu faire un travail de rééquilibrage de posture générale. Les tests que j’ai pu faire profil / force / vitesse m’ont aidé pour savoir comment axer les séances au cours de l’année. Il me fallait gagner en force, je suis à la traîne par rapport aux autres. Ensuite il me fallait axer sur la vitesse.
Après on s’entraîne en groupe. C’est une émulation. Rester seule c’est difficile.
Poitiers était un pôle France par le passé, donc je continue de m’entraîner dans mon club, et on se retrouve souvent avec les filles en stage. En course en ligne il y a des stages quasiment tout le temps, et on peut choisir son stage. On s’organise pour bouger.
Mon entraîneur de descente, Laurent Urvois, qui m’a détecté, m’a accompagné pendant ma carrière de descente, et pour la course en ligne il ne pouvait pas tout m’apporter.
Donc il m’a mis en lien avec Sabine Kleinheinz, ça fait deux ans qu’on travaille ensemble, elle a révolutionné mon coup de pagaie. Elle intervient à distance par visio et téléphone, et de temps en temps on se voit pour faire de la technique, et le mental. Elle entraîne également d’autres athlètes. Elle ne s’occupe pas de ma planification d’entraînement, ça ce sont les entraîneurs fédéraux.
Le staff en 2017 était composé du kiné, la préparation mentale, Sabine, un préparateur physique du temps du CREPS. Mon suivi était spécifique.
Aujourd’hui, je suis avec le préparateur de la fédération Audric Foucaud, j’aimerais me reformer un staff pour le coup. Ça aide, depuis le Covid tout a été éclaté.
Les Secrets du Kayak : Tu gères ton alimentation seule ?
Claire Bren : Je gère seule. J’ai vu une spécialiste pour Pau en 2017. Elle me disait que ce que je faisais c’était ce qu’il fallait.
Je prends des compléments alimentaire avec un partenaire, Juice plus+, ce sont des fruits et des baies encapsulés. J’ai remarqué que je récupérait mieux. Ça fait parti de ma routine alimentaire.
Les Secrets du Kayak : As tu développé d’autres pratiques complémentaires pour optimiser ton entraînement ?
Claire Bren : Depuis 2015, je fais de la préparation mentale et de la sophrologie, je fais de la visualisation. Ce sont des choses qui m’apportent beaucoup.
Et j’ai travaillais avec un hypnothérapeute suite à des blocages que j’ai eu, et j’ai trouvé ça pas mal.
Depuis le confinement, j’ai accentué ma pratique du yoga et de la méditation, notamment avec l’application « petit bambou ». Je trouve que ça joue sur la concentration.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe en 2017 pour recommencer la course en ligne ?
Claire Bren : En fait, je n’ai jamais arrêté même si je faisais de la descente, les pratiques sont complémentaires. Et puis j’y suis allée progressivement.
J’ai commencé en Nelo, et j’ai essayé un Cinco. Ensuite, je suis passé en Plastex bullet 2020.
Je restais toujours assez loin des premières, et je me rapprochais au fur et à mesure. Ça me demandait du travail. Manon avait ouvert le chemin du passage de la descente vers la course en ligne. C’était plus facile pour moi.
Je me voyais davantage faire du 500m et 200m. En 2019, je ne fais pas de descente. Que de la course en ligne. Je ne vois pas de bond de progrès chrono, mais en terme de technique j’ai clairement évolué.
A force, j’ai changé ma pagaie par rapport à la descente. J’ai onze centimètres de plus en course en ligne. Elle est longue par rapport à mon gabarit. Pour les pales, j’ai aussi un peu oscillé. Je me sens mieux avec plus d’appuis. La musculation m’a permis d’utiliser des pales plus larges.
Quand tu regardes les pagaies, il y en a pour tout le monde.
Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu rentres en équipe de France en course en ligne ?
Claire Bren : En 2019, c’était ma première expérience en K1 sur du 500m. Je ne suis pas allée en finale, mais j’ai fait de bonnes courses, une bonne première expérience. Pour y participer j’ai du faire une sélection.
Sinon, j’ai commencé avec des K4 en moins de 23 ans sur des coupes du monde. On s’est apportée chacune des expériences complémentaires.
L’objectif des Jeux se profilaient dès 2018. Je savais que ça serait compliqué. J’étais remplaçante aux JO de Tokyo. Il me faut progresser plus vite que les autres pour atteindre mon but.
Les Secrets du Kayak : Tu fais de l’ergomètre ?
Claire Bren : En course en ligne, en période de crues, c’est compliqué d’aller sur l’eau. Donc je l’utilise.
Et pendant le confinement, comme on ne pouvait pas se voir avec Sabine, ça nous arrivait de faire des visios pour me voir pagayer.
Ça m’a bien aidé pour ne pas perdre la technique pendant le confinement. Je n'en ai pas refait vraiment depuis. C’est dur physiquement quand même l’ergomètre.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que d’être cinquième pour les JO et donc remplaçante c’était frustrant ou une réussite pour toi ?
Claire Bren : Un peu des deux. C’est comme quand tu es au pied du podium. Mais c’était bien dans le sens où j’ai pu bénéficier des stages. Pour progresser c’était sympa. Donc une réussite.
Ça aide à la récupération, et à progresser plus. Et il y a l’aspect de l’équipage, ça apporte beaucoup aussi dans le dynamisme. J’arrive à mieux m’investir en équipage qu’en mono.
J’ai encore des choses à trouver pour ne pas m’effondrer en mono. Il me faut entretenir ma vitesse.
Les Secrets du Kayak : Quelle est la suite pour toi aujourd’hui ?
Claire Bren : Une pause après la coupe du monde à venir. Puis me remettre un peu en question.
Continuer la course en ligne pour progresser. J’aimerais participer aux championnats du monde de descente de Treignac l’année prochaine. Il faut en discuter avec la fédération. Et voir pour faire les Jeux de Paris pour terminer ma carrière.
Fin de carrière ne veut pas dire que j’arrêterai de naviguer, mais je ne serai plus une acharnée des entraînements.
Je pense que j’aurai toujours besoin de faire du sport. Rien n’est figé. Je vois les années les unes après les autres. Il ne faut pas se prendre la tête.
Les Secrets du Kayak : As-tu de la littérature qui t’as inspiré ?
Claire Bren : oui, c’est lié au sport, la méthode de Gasquet pour les abdominaux. Et la Bible du Yoga.
Vous pouvez retrouver Claire Bren sur son compte Instagram.