Interview : Olivier Boivin
Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Olivier Boivin en septembre 2021.
Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?
Olivier Boivin : Salut Rudy, très bien merci.
Les Secrets du Kayak : Il me semble que tu es en Martinique, qu’est-ce que tu y fais ?
Olivier Boivin : Je suis conseiller d’animation sportive à la DRAJES (Direction Régionale et Départemental de la Jeunesse) de la Martinique.
Ne pouvant pas assumer pleinement mon métier de CTR suite à des problèmes de santé, j’ai choisi une voie professionnelle plus sage. Je connais bien les Antilles pour avoir travaillé sur le développement du département ultra marin au sein de la Fédération de canoë-kayak jusqu’à aujourd’hui.
Mais j’ai déjà travaillé en Guadeloupe aussi par le passé. J’ai sauté le pas. Moi qui aime la mer, passer des hivers agréables, avoir une pratique annuelle du kayak et la qualité de vie font que j’accepte la rupture avec la métropole, et j’aime bien, c’est tout récent. Je viens d’arriver.
J’étais CTR dans les pays de la Loire avant ça.
Les Secrets du Kayak : Comment as-tu commencé le canoë ?
Olivier Boivin : Je l’ai commencé par hasard, mais pas que. Mon père avait eu une mutation sur Pontivy, donc on a quitté la région parisienne pour la Bretagne.
J’avais 12-13 ans, j’avais toujours fait du sport à Fontainebleau. Il y avait le bataillon de Jointville, et tu pouvais y pratiquer du sport même en tant que civil. J’y ai donc fait du basket, de l’athlétisme, de la gymnastique, du tennis de table….
Lors de vacances j’ai essayé le kayak juste comme ça, j’ai trouvé ça sympa de flotter sur l’eau et de pouvoir se déplacer et glisser sur l’eau. En arrivant à Pontivy, j’ai vu qu’il y avait un club.
J’avais été accueilli par Jean-Pierre Laffont qui s’occupait du développement du canoë-kayak en course en ligne. Je suis rentré en CATS au club en 1978.
Au début j’ai commencé par le kayak. J’ai commencé par un bateau plat avec une pagaie double, c’est comme cela qu’on commence. J’ai fait deux séances pour apprendre à aller droit.
Puis on me fait essayer le canoë, en même temps Jean-pierre Laffont n’a pas une culture de kayak, il vient de l’athlétisme. Bref il me fait essayer, et là commence le cycle de la galère pour aller droit. Je l’ai pris comme un défi pour manœuvrer cette embarcation surdimensionnée assez compliquée.
J’ai bien aimé la pagaie simple. Le problème majeur n’était pas l’équilibre, mais aller droit sans changer de côté et sans déborder. Il a fallu en tout deux séances pour le manœuvrer.
On passe de bateau d’initiation à « un bateau de compétition ». Comme je n’y connaissais rien, pour moi c’était génial, un kayak de CATS. Le nouveau défi c’était : quoi mettre en oeuvre pour faire avancer mon bateau convenablement et sur la durée.
Je suis passé dans un canoë dès un mois. Ça n’a pas été drôle, c’était des paquebots. J’ai commencé dans un C1, la difficulté c’était la position tchèque. Les appuis sont assez inconfortables. Mais ils étaient stables. Double problématique qui se pose à nouveau : aller droit dans un bateau CATS, mettre en place mes acquis du bateau de slalom pour aller droit, et le problème d’équilibre ne s’est pas vraiment posé.
Je ne me suis jamais baigné, je n’ai jamais vécu la situation d’échec. J’étais le seul à pratiquer le C1 CATS donc je ne savais pas ce que je valais. J’ai progressé à mon rythme sans comparaison. Je ne me suis posé aucune limite. Je me suis toujours protégé de l’avis des gens extérieurs. J’ai toujours abordé les choses à mon niveau sans être influencé par les autres.
A la fin des années 1970, je pense que l’entraînement a évolué. Moi j’ai eu une formation assez polyvalente. J’ai fait de la course en ligne tôt, mais je me suis vite arrêté. Je suis vite passé à l’eau-vive, en sport d’hiver. Et surtout la descente de rivière principalement en canoë.
Je ne pense pas que l’apprentissage en soi ait changé. Et puis on construisait nos bateaux dans les moules. J’ai participé à la construction de mon premier kayak. Il y avait une dimension autour de son matériel.
J’ai fait du kayak d’eau vive sur mon propre kayak. Je suis ensuite passé sur des tubes, c’est à dire des vieux canoë. Puis arrive mars-avril, fin de l’eau-vive, du coup on fait de la course en ligne.
Pourquoi ? Toujours par rapport à l’athlétisme. Pour Jean-Pierre Laffont, il existait un lien entre les deux pratiques.
Donc on attaquait le C1 de course en ligne. Sont arrivées les régates de l’espoir, j’étais dans le C4 minime. Pour moi c’était ma première grande compétition internationale donc c’était magique. On fait troisième. Ça a été mon point de départ pour le goût de la compétition, dès ma première année de pratique vers 13-14 ans.
Pendant deux trois ans j’ai continué la compétition, je progresse, je passe dans les bateaux de compétition de tout le monde. On a construit mon bateau de course que j’ai gardé jusqu’en junior.
En cadet 2, je suis à fond compétition canoë de course en ligne. Il existait quand même la bivalence slalom/descente. C’était une obligation quand tu étais en cadet que de faire deux pratiques.
Le club était réputé, on avait de bons résultats. Donc j’ai fait à la fois les championnats de France de course en ligne à Mulhouse, à la fois les championnats de slalom/descente à Barcelonnette en 1981.
On partait vraiment à l’aventure dans des camions d’un autre temps. En course en ligne, première médaille dans les bateaux de compétition pour le club, j’ai fait vice champion de France. Et on fait troisième en descente, et troisième en combiné avec mon frère en eau-vive. Le bassin de Mulhouse est difficile pour les céistes. Mais l’eau-vive m’a bien servie pour ça.
Moi je viens de la Bretagne, je n’étais pas identifié course en ligne comme peuvent l’être les régions d’Île-de-France, le Nord-Pas de Calais, ou la Bourgogne. Donc je n’étais pas dans les petits papiers.
Mais arrive la saison junior, et je suis repéré par Bernard Bouffinier, le CTR en Île-de-France, il détectait les jeunes sportifs pour le championnat du monde junior en 1983. On faisait un test début mars, sur du fond : un 6000m pour les juniors, un 9000m pour les seniors, en contre la montre. Ça déterminait la participation aux stages de printemps à Mâcon.
Je participais à une action dans l’équipe de France junior, c’était une étape supplémentaire. Je suis retenu pour une première compétition internationale en Pologne, pour les pré championnats du Monde.
Je faisais déjà un peu de C2. Je restais dans ma logique de réussite personnelle. Moi j‘étais en structure club mais mes parents habitaient tout près du canal. Donc j’amenais mon bateau le soir dès junior, pour faire 5km après le lycée de 18h30 à 20h30, je m’entraînais sur le canal tout seul dès mi-mars.
Je m’étais informé sur les programmes, j’avais des trames, je faisais des séances d'aérobie. Je n’ai jamais été avare d’efforts. Je recherchais l’efficacité dans ma progression. Je me suis construit ma propre technique. J’essayais de reproduire les séances de personnes qui pouvaient m’inspirer.
J’ai rapidement compris cette notion d’efficacité parce que je m’entraînais avec des kayaks hommes. J’allais quasiment aussi vite qu’eux. Ce qui me faisait un bon référentiel.
Pour faire les championnats de France il fallait faire les sélectifs nationaux, un peu comme les opens. L’objectif c’était être sur le podium. Tout s’est fait progressivement. Je n’étais pas un talent. J’ai évolué grâce à de belles rencontres.
Bernard Bouffinier m’a fait confiance, il m’a invité à m’entraîner avec eux, il m’associe à Didier Labat pour faire un C2. Il m’invite à tous les stages parisiens. Les tests de mars, je suis dans les meilleurs, je gagne les sélections internationales.
Première compétition internationale qui arrive, on fait une tournée. On gagne en C2 en junior, on fait troisième sur le 1000m , on gagne le 500m. On rentre pour les championnats de France, la progression continue.
Championnat du monde junior ensuite, et on accède en finale, on fait huitième. Puis première année senior difficile, on se retrouve jeté dans la cour des grands, et je fais quand même des finales en championnat de France dès ma première année. Je n’ai rien lâché.
Pour ma deuxième année on fait quelques coupes du Monde, je fais deux régates en finale en C1. Je fais même un podium en C1 j’avais 20 ans. Je pouvais me projeter pour mon futur. Je décide d’intégrer le bataillon de Joinville en 1985-1986.
L’année est assez moyenne, je fais mon année d’armée. Je me mets dans des conditions optimales pour performer. J’y rencontre un ancien équipier Pascal Sylvoz, sa progression m’a impressionné. Je voulais faire pareil. Je rencontre Daniel Boucheret, l’entraîneur de l’époque, ancien militaire.
J’avais cerné le système de copinage des grands clubs qui placent leurs gamins en priorité en faisant pression sur le système pour que les gamins accèdent à l’équipe de France. Daniel Boucheret se foutait royalement de l’origine des sportifs. Il voulait des athlètes, la relation de confiance est bien passée.
Je m’engage totalement dans le projet, on fait du sport de 9h au matin jusque 17h le soir. La fatigue était bien présente. Notre priorité c’était de performer au kayak, on faisait de la PPG. Tous les matins on faisait 1h de course à pied, ensuite 2h de musculation, l’après-midi 2h de bateau. Et cela tous les jours. L’organisme a du s’adapter. J’ai explosé.
Et je rencontre ensuite Alain Lebas, l’entraîneur national des canoë, il voulait construire une équipe, il voulait des bons athlètes sur du 10000m et en équipage. Pour lui le mono était compliqué, l’équipage était une porte d’entrée.
Il fait donc deux équipages. On s’entraîne, tous les jours j’étais détaché sur Paris pour m’entraîner avec Daniel Aubert, à Choisy-le-Roi. Je rentrais chez ma sœur en région parisienne, trois mois comme ça. On coure en C2, arrive la régate de Choisy-le-Roi, une coupe du monde, on fait cinquième, mais on est devant les titulaires du C2 1000m. Ça nous met en confiance pour les piges 3000m.
Du coup on est sélectionné pour les championnats du monde 1987. On intègre le collectif de l’équipe de France canoë.
Sur le 10000m championnat du monde, on était sur un podium virtuel, on mène la course. On a voulu donner le relais aux autres, et à l’avant dernier virage on est à six bateaux, on se fait déborder, et du coup on fait cinquième. J’étais déçu du résultat mais avec le recul pour un premier championnat du monde, c’était pas tant mal, mais je sentais que c’était accessible.
Je finis mon service militaire, je fais un doublé en mono 500m et 1000m. J’assoie mon statut, je rentre dans les standards des meilleurs français. Je vais sur Angers et je commence les entraînement biquotidiens.
Je participe à des actions avec le collectif de l’équipe de France olympique. Je suis invité aux stages, arrivent les sélections, je les gagne, je fais un podium sur les distances de fond. Pour la première fois, ça se finissait au sprint.
Ma coupe du monde continue, je fais des finales, et je demande au DTN de l’époque de me confirmer si ça peut le faire pour les Jeux. On me répond que l’équipe est faite, que je n’irai pas aux JO, peu importe le résultat !
Je ne me démonte pas, j’intègre quand même les actions équipes de France. Je gagne les France sur 500m, je fais deuxième sur le 1000m. Je considérais que je me faisais du mal tout seul à poursuivre mon but de sélection alors qu’on m’a refusé de participer aux JO, je ne voyais pas de finalité.
J’étais la cinquième roue du carrosse, alors que j’avais largement le niveau.
1989 arrive, je décide de monter à l’INSEP et à Paris. Je m’entraîne avec le groupe des médaillés. Je m’entraîne de façon engagée avec des objectifs ambitieux. Alain Lebas décide de m’associer à Didier Hoyer, le C2 marche correctement, on règle des problèmes, puis arrive la régate de Paris.
Sur le 1000m on fait deuxième. Mais en fait Didier m’a fait découvrir l’entraînement nécessaire pour gagner. Et donc j’ai appliqué. On refait un autre podium ensuite, et deuxième sur le fond, donc double podium sur une coupe du monde.
Toutes les nations y étaient, je suis rentré dans la cour des grands, il me fallait continuer le plus longtemps possible. On déchire tout là bas. On est propulsé dans la cours des grands. On avait explosé les chronos. On était devant l’URSS !
Les gars faisaient 15 kg de plus que nous. Il y a eu un profond respect des nations du bloc de l’Est envers nous. On a continué avec des hauts et des bas sur les années suivantes.
Puis au championnat de Vaires-sur-Marne, on domine, on gagne un peu partout. On éjecte les anciens médaillés de leur distance de prédilection.
Les JO de Barcelone arrivent, après une année assez difficile. C’est à dire que je suis quelqu’un de très exigeant, Didier je l’ai vraiment beaucoup poussé. J’étais vraiment dans une démarche de tout faire pour gagner. Il y a des régates où on ne fait pas de podium, ça remet en question notre bateau.
Didier s’était cassé cinq côtes, juste avant les JO, notre capital confiance était au plus bas, et c’est là qu’Alain Lebas nous a démontré ce qu’était un coach. Il a réussit à reconstruire l’impossible à deux mois des JO. Et on est allé chercher une médaille.
On n'y va pas pour faire de la figuration. On est sélectionné pour gagner. Moi la mise en action qui est le plus important. C’est bien beau d’avoir un projet de faire des discours pour se projeter, mais la vérité c’est l’engagement personnel dans l’élaboration, tout ce qu’on va mettre en place pour gagner. Ce qui fait triper c’est notre histoire. Le futur est un néant en construction.
Les Secrets du Kayak : Quand tu finis troisième au JO, pour toi c’est un aboutissement ?
Olivier Boivin : Pour moi c’est l’histoire qui continue à ce moment là. Le capital confiance était de retour pour nous deux. Il revenait d’une blessure de cinq côtes cassées.
La course était construite pour aller chercher un podium. C’est très important un podium olympique. Moi ce qui m’a toujours intéressé c’est tout le travail effectué pour y arriver. C’était un clap de fin pour Didier qui a arrêté ensuite sa carrière, mais aussi à une aventure de quatre ans ensemble.
Alain Lebas a arrêté également. C’était une période extrêmement importante, j’y ai puisé énormément de choses. Ça m’a permis plus tard d’accéder au métier d’entraîneur assez facilement par la suite.
Les Secrets du Kayak : Comment tu fais la transition pour devenir entraîneur ?
Olivier Boivin : J’ai vécu un échec avec les JO d’Atlanta. Il me fallait reconstruire quelque chose avec l’arrêt de Didier. L’entraîneur a changé. Je m’étais auto formé donc j’étais assez autonome.
J’avais un niveau de production d’entraînement assez élevé. J’étais en décalage de maturité sportive avec le nouvel entraîneur. Tu es toujours à la recherche de la manière de te renouveler, ce qui veut dire que tu dois accepter de perdre. Et à un moment donné tu n’acceptes plus de perdre. Tu veux te rassurer, te reposer.
Donc cette olympiade a été compliquée même si on fait vice-champion du Monde en 1993. Je ne suis pas le meilleur athlète en terme de résultat brut, mais j’ai eu le plus de podium en championnat du monde en course en ligne, en France.
Donc Sylvain remplace Didier, ça ne se passe pas très bien. On fait les quotas les internationaux, mais la fédération décide de ne pas nous retenir pour Atlanta. Au bout du compte, ils avaient raison.
Ça a été un arrêt brutal et violent, d’autant plus qu’on t’oublie du jour au lendemain après dix ans de carrière. Le désert, zéro relation de la fédération, jusqu’à ce que la personne en charge du suivi des sportifs de haut niveau me contacte et me propose un bilan de compétence.
Donc là je pars aux Antilles et je deviens conseiller technique fédéral pour la ligue de Guadeloupe qui était en pleine construction. Je fais ça deux ans. Puis j’ai été recontacté par mon DTN de l’époque Hervé Madoré, il avait un très haut poste à la fédération. Il me propose de contacter Antoine Goetschy, DTN, pour intégrer la fédération en tant qu’entraîneur.
Donc je prépare le concours de prof de sport en 2000 pour accéder ensuite à ce poste. Je reviens donc sur l’INSEP à Paris pour intégrer la formation. Je l’ai dès la première année par la voie externe.
J’ai toujours été autodidacte dans la démarche de compréhension des processus, et j’ai beaucoup lu. Donc les oraux sont passés facilement.
Et en parallèle, je suis recruté par la fédération sur un poste d’entraîneur national responsable du collectif dames. Ça ne me dérangeait pas de m’occuper d’elles. Je me donnais pour mission de monter un vrai projet. Elles étaient des athlètes davantage en fin de carrière.
L’objectif c’était Athènes 2004, Pékin 2008. Je leur donne les règles. Je savais que pour la fédération, limite elles n’avaient pas des qualités de championne. Ce qui faisait qu'elles avaient une perception de l’environnement très masculin négatif.
La première étape c’était construire un collectif, redonner la confiance aux filles. Donc j’ai détaché les filles du collectif kayak, pour leur permettre de s’exprimer et d’être en confiance.
Et j’avais une génération de jeunes sportives également. Donc je leur explique ce qu’on va mettre en place et comment on va fonctionner. J’ai priorisé les objectifs. Donc on a mis en place des stages types commando objectifs larges.
On travaillerait principalement l’équipage, le deux places. Relever le standard de l’entraînement.
Toutes étaient déjà en structure. Il fallait monter d’un cran dans l’investissement et l’engagement. J’ai aussi tenté de créer du lien avec les responsables de club. Ça a bien fonctionné la première année, l’effectif a été réduit à deux filles pour courir en 2001 au championnat du Monde.
J’ai pris les meilleures. Je ne voulais pas de résultats moyens. Aux Europe les filles font six et six. Par exemple avec Marie Delattre, qui voulait faire du mono mais qui n’avait pas le bon niveau, à mes yeux elle collait dans l’équipage. J’ai tout fait pour amener un collectif de jeune, et en 2003 révélation !
On associe Marie avec Anne-Laure et les résultats sont là. Puis ça a été la crise au sein du collectif global de l’équipe de France, et les filles en ont payé les frais. Il n’y avait pas de résultats donc bras de fer entre la commission nationale et le haut niveau chez les hommes et le canoë.
Leur politique, c’était d’emmener du monde et non pas les meilleurs. Pour ma part moi les règles étaient rappelées, le programme d’entraînement n’était pas discutable. J’étais l’architecte de leur réussite. Je leur expliquais les enjeux.
Leur niveau était en construction donc elles n’avaient pas à discuter. J’étais convaincu qu’elles en étaient capables. Et donc au moment de la crise je n’avais plus la main sur le projet des filles alors qu’on avait déjà réalisé de belles choses, et on était à deux doigts de remporter une finale avec Marie Delattre si on avait suivi mon plan. Mais hélas ça n’a pas été le cas.
Ensuite Pascal démissionne, et le dispositif mis en place par la suite fait qu’on était tout le temps en déplacement. Quinze jours à la maison, quinze jours en stage d’octobre jusqu’à Athènes.
J’ai donc composé un nouveau collectif l’année suivante, mais la perte de confiance était réelle. Les filles ne s’entendaient plus. Elles n’ouvrent pas les quotas. Donc on fait une réunion, pour rappeler le projet à nouveau et poser mon engagement, en leur disant que je n’irai pas aux JO parce que les résultats n’étaient pas là.
J’ai continué jusqu’en 2008, Marie et Anne-Laure ont commencé à être médaillées. Moi je me suis occupé un peu des dames, un peu des hommes dont Mathieu Goubel, il a fait une année exceptionnelle.
2008, je décide de m’arrêter pour raisons personnelles. Donc je quitte la fédération, pour partir en tant que conseiller d’animation sportive. Et je suis revenu à la fédération en 2011 sur un poste de CTR. J’ai retrouvé le contact avec le haut niveau par le régional puis avec le para en 2017 et Eddie depuis deux ans.
J’essaie d’apporter des réponses dans les problèmes que les athlètes rencontrent dans leur projet. Il ne faut pas tout jeter, ce qui est difficile c’est de voir les erreurs arriver, les voir se répéter tout le temps.
Il faut s’interroger sur l’héritage des précédents, même si parfois ça peut faire mal, il faut accepter de se tromper, on a le droit de se tromper, il faut rebondir.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu peux préciser pourquoi ça ne marche pas actuellement ? Alors que ça marche plutôt bien chez les paralympiques.
Olivier Boivin : Les paralympiques n’ont pas fait de bruit, ils étaient tranquilles. Pas de mise sous pression, ce n’est pas une discipline olympique, mais paralympique.
Moi je trouve qu’il faudrait déjà un réel projet de la part des entraîneurs qui se présentent au poste. Il faut être capable de comprendre ce qui n’a pas marché. Pourquoi aujourd’hui l’équipe de course en ligne n’a pas fonctionné dans cette dernière olympiade. Il faut se faire violence, le staff a merdé.
La fonction d’entraîneur c’est d’être entre la hiérarchie (le marteau) qui épuise à avoir des résultats, et les sportifs qui les produisent (l’enclume). On est des acteurs fondamentaux, on est le fusible.
Donc si on remet en question tout le temps l’entraîneur, à tout point de vue, s’il n’y a pas de confiance, ça ne fonctionne pas. Il faut créer un climat de confiance.
Aujourd’hui Eric a fait une vraie équipe de France en para-canoë. Ce qui n’est pas le cas chez les kayakistes de course en ligne. Au lieu de faire du ménage chez les entraîneurs, rien de bouge chez la tête pensante.
Ça fait 50 ans qu’il n’y a pas eu de médaille française. En 2019 on a eu des prémices, mais depuis ça s’est complètement effondré. Il suffit de reprendre les statistiques. On a clairement reculé. Il y a eu un abandon total des jeunes en course en ligne. On ne s’occupe plus des jeunes !
Tout ne vient pas des entraîneurs. Il faut que les règles, le projet soit clair. Et ça pendant quatre ans je ne l’ai pas vu. On a été que dans du réactionnel. On a fait de la construction puis de la déconstruction. C’est le chaos complet. Je n’ai pas tous les codes, je suis un peu dans l’émotion.
C’est comme le principe de l’enthropie. Il faut arrêter de mettre de la communication sur ce qui ne fonctionne pas. Il faut revenir aux fondamentaux, au lieu de se perdre dans trop d’actions pour faire de l’énergie perdue. Ça reste ma vision des choses mais elle n’est pas partagée par d’autres.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que dans le programme que tu proposes aux athlètes que tu encadres, il y a des choses que d’autres n’ont pas ?
Olivier Boivin : L’ossature c’est déjà ce que moi même je suis capable de proposer. Mais c’est aussi la capacité à pouvoir absorber.
Mon baromètre c’est l’état de mon athlète. L’objectif c’est d’être le plus en phase avec ce qu’est l’athlète pour qu’il puisse progresser. Ça ne sert à rien de charger comme un mulet si derrière il ne peut pas encaisser.
Il faut d’abord échanger avec le sportif et savoir comment se sent l’athlète. Il me fait un retour pour savoir comment ça s’est passé. L’année dernière on faisait beaucoup de vidéos, on échangeait les statistiques via une plateforme mais j’ai vite vu les limites.
Donc cette année on a fait très peu de vidéos je n’ai pas embêté Eddie sur les cadences, j’ai voulu qu’il se recentre sur l’objet montre / vitesse. Se recentrer sur lui car au moment de la course il n’est pas appareillé.
Les Secrets du Kayak : Avec le recul, toute ta carrière d’entraîneur ne s’est pas passée comme tu l’aurais souhaité ?
Olivier Boivin : C’est le jeu. Pour moi 2000-2004 est un période extrêmement positive. Les filles ont été médaillées derrière. Donc tout ce travail mis en place a payé.
Tout ce processus de collectif a permis aux filles de reprendre confiance en elles. Ça faisait 20 ans qu’on les prenait pour de la merde.
Pour moi le projet a fonctionné car en 2006 malgré la crise entre Marie et Anne-Laure qui allaient à en casser leur kayak, hé bien les kayaks hommes en sont arrivés à leur expliquer à quel point elles étaient importantes pour eux même ! Ils avaient besoin d’elles.
Et nous entraîneurs, on n'était pas convié à ça. Les filles se sont remobilisées et on connaît la suite. Ça c’est de la réussite ! Créer des situations, créer les conditions de la médaille, être dans l’action c’est plus important.
Aujourd’hui je navigue pour moi, je fais du kayak, de la pirogue, du surf-ski, de la régate. Ok, on est confiné, mais je fais du sport loisir pour moi.
Pour moi la fédération a été particulièrement incompétente et ce sont les athlètes qui en pâtissent aujourd’hui. Mais c’est mon point de vue. Je ne le clame pas sur tous les toits. Il y a quand même trop de copinage et de réseau. L’objectif c’est d’être au rendez-vous dans trois ans. Il ne faut pas faire des copier-coller, on est une équipe, il ne faut pas l’oublier.