Interview : Gabrielle Tuleu
Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Gabrielle Tuleu en décembre 2021.
Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?
Gabrielle Tuleu : Ca va très bien merci.
Les Secrets du Kayak : C’est un plaisir de t’avoir sur le podcast, j’attendais que tu sois prête pour le faire ensemble. De ce que j’ai compris tu as commencé le kayak grâce à un membre de ta famille ?
Gabrielle Tuleu : Exactement, grâce à mon frère qui a commencé lui même grâce à un copain et grâce à la ville de Tours. Notre entraîneur rameutait tous les enfants pour lesquels l’activité se passait bien dans les écoles. On s’est tous suivi. Ça a changé ma vie.
Avant ça je faisais un peu d’athlétisme, mais ça ne se passait pas très bien, puis un peu de cirque mais c’était du n’importe quoi. Donc j’ai commencé le kayak j’étais poussine 2, ça veut dire 9 ans.
Je savais nager et j’ai commencé tôt. Il y avait au moins cinq groupes de jeunes de 6-7 enfants. Au bout d’un mois, j’ai fait de la course en ligne.
Quand on partait en compétition on partait à cinq camions. J’ai fait des compétitions locales dès le début. On était un week-end sur deux en déplacement. Ça fait de beaux souvenirs.
J’ai fait un peu de descente comme moyen fédérateur. La descente permet de naviguer à d’autres endroits. Ça permettait d’avoir plus d’activité.
On faisait un peu de slalom, je n’ai jamais été à l’aise sur l’eau-vive. Je ne me suis jamais remise de ma petite expérience. Je n’ai jamais pris de plaisir dans cette pratique, je préfère être motrice dans mon bateau. Mais ça fait toujours plaisir d’aller dans les Gorges de l’Ardèche, faire un marathon international.
Les Secrets du Kayak : Ça veut dire qu’en descente tu ne contrôles pas le blocage de ton bateau ?
Gabrielle Tuleu : Je dirais que la manière d’apprendre la descente dans la région Centre, ce n’est pas ce qu’il me fallait pour apprendre la descente de rivière.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu te distinguais par rapport aux autres en compétition ?
Gabrielle Tuleu : J’étais un peu forte, j’ai de suite beaucoup gagné. J’avais déjà un certain touché d’eau. Je gagnais tout sauf les manches de slalom.
Très rapidement en course en ligne, j’ai performé dans le haut du tableau voir la première. Je pense que c’est ce qui m’a fait vouloir en avoir plus. A Tours, il y avait pas mal de gens sélectionnés en équipe de France, ça motivait.
Les Secrets du Kayak : Tu as commencé dans quel bateau de course en ligne ?
Gabrielle Tuleu : Il y avait deux bateaux qu’on appelait CAPS issus de vieux programmes de la fédération dans les années 1980. Ils convenaient parfaitement aux enfants. Et au club de Tours, il y avaient plein de bateaux qui convenaient à des enfants pour de la compétition internationale. On montait rapidement en gamme.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe les compétitions en benjamine ? Tu parles de sélectif inter-régions, ça existe déjà quand on est benjamin ?
Gabrielle Tuleu : Non, quand on est benjamin c’est le challenge jeune. Ça a des noms différents dans les régions. C’était de la descente, du slalom et de la course en ligne. Au niveau national, il y avait les régates de l’espoir.
Pour ma première année, c’était à Tours. C’était notre club qui organisait. Encore un bon souvenir. On avait pas mal gazé. J’ai encore des articles de presse de l’époque.
Les Secrets du Kayak : Comment ça s’est passé pour toi les régates de l’espoir ?
Gabrielle Tuleu : En individuel, je crois que je gagne le 500m. Mais tu es tout jeune, tu ne sais pas ce que tu vaux en compétition. Je crois que je fais deuxième sur le 2000m. Je ramène deux médailles, je n’y croyais pas. Pour moi c’était normal. La routine. Mais j’avais déjà un bon touché d’eau.
Un bon touché d’eau, c’est cette impression que ta main et ta palme ne font qu’un. D’avoir toutes ces subtilités qui font que tu sens vraiment tout ce qui se passe dans ta pâle. Comment ça va influencer la glisse et l’accélération du bateau.
Pour moi, c’est lié à la construction mentale de ton avancement du bateau. Il y a pas mal de composantes qui s’enrichissent avec ton avancement dans la technique.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu penses que si tu commences tardivement, ce touché d’eau est compliqué à avoir ?
Gabrielle Tuleu : Je compare ça avec l’haltérophilie. On s’y est tous mis en complément du kayak pour la pratique de l’explosivité en musculation. Et franchement, on est mauvais !
C’est lié à notre force physique. On a des facilité lié à notre force physique. Je pense que quand tu es petit, tu n’as d’autre solution que de jouer en finesse ce qui développe cette qualité de touché d’eau. Si tu commences plus tard, tu as des moyens physiques qui ne te permettent pas de travailler cet aspect.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait en terme d’entraînement ?
Gabrielle Tuleu : Je m’entraînais le mercredi, le samedi. Il faut ajouter les compétitions et les stages à chaque vacance. J’ai commencé à m’entraîner quotidiennement beaucoup plus tard.
En cadette, on hésitait à m’envoyer au pôle espoir de Tours. Je crois qu’ils ont choisi de me garder au club pour ne pas vider le club.
On faisait un peu de musculation au poids de corps. On n’avait pas des conditions idéales, mais ça m’a permis de progresser. Je suis vite entrée en pôle espoir à Tours, avec des entraînements deux fois par jour. Je pense que je n’y suis pas allée de suite aussi parce que mon frère avait intégré le pôle espoir. Les deux ensemble, ça aurait été un peu compliqué à gérer.
En terme d’études, j’avais un an d’avance. Je devais être en seconde en cadette 1. Avec mes options, je n’aurais pas pu être en horaires aménagés. J’ai eu mes horaires aménagés en pôle espoir. Les sections sportives existent, mais ne se développent pas assez vite.
Je sais que c’est compliqué de libérer les élèves comme il le faut. Il y a des endroits avec de super dispositifs, mais ce n’est pas le cas partout.
En cadette 1, je n’avais pas besoin de naviguer plus. La montée en charge s‘est faite plus tard.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu faisais aussi de l’aérobie ?
Gabrielle Tuleu : Je crois que non. J’ai du commencer à courir en pôle espoir. J’étais une ancienne petite fille un peu forte. Quand je n’étais pas au kayak l’hiver, j’étais devant ma télé avec un bon chocolat chaud. J’avais la chance d’avoir un ordinateur très tôt à la maison.
Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait les stages enfants en club ?
Gabrielle Tuleu : Ce sont des stages de pratique de kayak sur place à Tours à la journée. C’était composé de diverses activités. Ça pouvait être de la course en ligne ou bien de l’eau-vive, faire des sorties vélo.
En stage d’avril on allait sur la Vézère, une semaine de stage d’eau-vive. On partait avec les grands. Ça apprenait la vie. Le programme était adapté aussi à la météo. Ça permettait de fédérer un groupe. On passait du temps ensemble.
Les Secrets du Kayak : C’est l’augmentation du rythme d’entraînement en pôle espoir qui te fait exploser ?
Gabrielle Tuleu : Je ne sais pas. Pour moi l’année où j’ai vraiment explosé, c’était en junior 1. Cadette 2, j’avais encore le statut de fille forte, avec beaucoup de pression à gérer.
Je pense que ce qui m’a fait évoluer, c’était le changement de bateau, qui m’a permis de m’exprimer. Il fallait mériter son bateau à l’époque.
Ça et le changement d’entraîneur ça m’a aidé dès junior 1.
Les Secrets du Kayak : Tu restes combien de temps en pôle espoir ?
Gabrielle Tuleu : Deux ans. J’avais un an d’avance, donc en junior 1 je suis sélectionnée mais je choisis de rentrer en classe préparatoire à Poitiers. J’ai suivi les traces de mon frère.
Le pôle espoir n’était plus compatible. J’ai fait une grosse coupure. Je ne me voyais pas continuer avec le pôle France. J’ai arrêté et dès que c’était possible, je suis repartie à fond.
Avec Xavier Ledru, notre entraîneur à Tours on faisait pas mal d’exercices, il aimait beaucoup mettre en place des exercices techniques ou des dispositifs qui influençaient sur les sensations de glisse du bateau.
Il avait mis en place plein de dispositifs pour s’adapter à plein de contraintes. Ce côté ludique permettait de trouver de nouvelles sensations et des techniques. A l’époque, je n’avais que très peu de conseils techniques. Ça m’a manqué, tu devais apprendre par toi même. Et cette approche me plaisait.
J’ai coupé cinq ans au total. J’ai eu une vraie vie d’étudiante. Je n’ai fait que très peu de sport en école d’ingénieur et l’été je retournais au club. Je ne pratiquais pas beaucoup. Je n’ai pas vraiment fait de sport.
A la base, j’ai repris parce que j’avais des soucis de santé, et il fallait que je me remette au sport. J’ai refait six mois à Tours en 2010, je revenais de neuf mois de République Tchèque. J’étais mal en point.
De retour à la maison je travaillais au comité régional, donc je faisais des séances pour les jeunes du pôle espoir, et en fait j’ai repris comme ça le kayak.
Ensuite je suis repartie à Budapest pour finir mon stage de terrain. Et comme je voulais faire les championnats de France avec Sarah Guyot, je faisais tout mon possible pour faire le K4.
Et il y avait un contact sur place qui pouvait m’accueillir pour faire du kayak là bas. Et en fait, c’était un gros traquenard, c’était des jeunes toutes issues de l’équipe nationale hongroise début senior.
Elles étaient vraiment fortes. Je me suis accrochée. Tous les matins, j’allais m’entraîner avec elles. Il y avait une fille qui me traduisait ce que disait l’entraîneur. A la fin de ces trois mois, j’avais progressé à force de faire des 20 km le samedi matin.
Je me suis inscrite aux tests 2000m et 200m. Il fallait l’appui du CTR. Et je casse la baraque en 2000m. Donc je redescends sur Montpellier pour ma dernière année d’étude. Je m’entraîne le matin à 7h, le soir je faisais des séances de musculation. Un peu le week-end parfois. Finalement ça se passe bien.
Les Secrets du Kayak : Tu faisais toi même ta planification ?
Gabrielle Tuleu : Oui, on avait mis en place une feuille de route pour axer les priorités. Je devais bosser le physique.
J’avais pas mal échangé avec Stéphane Santamaria, un descendeur de haut niveau, pour me conseiller quelques séances pour être autonome. Il me demandait de varier le coup de pagaie sur un 2000m sur différentes cadences.
Ces variations permettaient de casser cette notion d’EB1. C’était une de mes séances préférées. J’en faisais 4 d’affilées. Donc 4x 2000m. Et je me déplaçais en vélo à Montpellier. Et le soir, j’avais des gens qui venaient courir avec moi.
Côté musculation, j’étais assez douée en terme de puissance-endurance. On faisait pas mal de puissance dans ma jeunesse. Après cinq ans d’arrêt, je me remets à pousser en DC une barre de 60kg, j’étais assez fière. Je n’avais pas de difficulté en musculation.
Je suis déjà montée à 95 kg lorsque j’étais étudiante. Mon poids de forme est aux alentours des 65 kg.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu penses que ton poids de corps influe sur la vitesse de ton bateau ?
Gabrielle Tuleu : Pour moi, mon niveau de poids et ma rigueur sont corrélés à mon état mental. Je sais que les moments où j’étais affûtée c’était l’automne et c’est là où j’avançais le plus vite. Pour moi, c’est lié au mental pas spécialement au poids. C’était plutôt de la confiance en soi.
En 2017 j’ai fait des tests avec l’INSEP pour voir où j’en étais de mes différents seuil de VO2 et de lactates et ce qui déterminait leurs arrivées. C’était un processus très compliqué qui le détermine. Pour faire simple; j’avais un fort taux de lactate et je le tenais très longtemps.
Les Secrets du Kayak : A Montpellier, est-ce qu’après tu te sélectionnes en équipe U23 ?
Gabrielle Tuleu : Exactement. Je change de bateau deux fois cette année là. J’ai racheté un des bateaux de Sarah. Je monte aux sélections voir ce que ça a pu donner. Et là, le début des ennuis commencent.
Il a fallu que j’annonce à mon master que j’étais prise en équipe de France. Et à l’époque, alors que j’étais en recherche de stage de dernière année c’était une surprise. Il fallait que je leur demande de repousser mon rendu de mémoire de stage qui devait se faire en pleine coupe du Monde.
Ça a été le début de grands questionnements. Je rentre dans la cour des grandes, avec tous les changements qui vont avec, et tous les aléas des choix de la fédération.
Avec les impacts financiers qui vont avec, j’ai du casser mes économies pour aller à Rennes pour préparer le K2. Et la fin de la saison a été compliquée.
Ça m’a donné envie de continuer, on me propose d’intégrer le pôle France de Rennes, en plein stage de fin d’étude. J’ai privilégié les JO au Master.
A Rennes, ça été dur et super. L’entraînement collectif, dès le lundi soir j’étais ko. J’ai doublé ma charge d’entraînement. Je ne connaissais que Sarah, j’ai tout quitté, j’ai changé de vie. Mais je ne regrette rien.
J’étais la nana qui débarque de nulle part. Il n’y avait pas d’esprit de groupe très formé à l’époque.
Les Secrets du Kayak : A ce rythme, tu as rapidement intégré les équipes senior ?
Gabrielle Tuleu : Oui. J’avais encore une marge de progression importante. Ça s’est vu rapidement à l’entraînement. J’arrive aux sélections équipe de France des JO confiante, et là je finis troisième des piges derrière Sarah Guyot et Marie Delattre. Et on monte un équipage avec Joanne Mayer.
La progression a été vraiment rapide. Les entraîneurs étaient directifs, on ne doutait pas, on faisait le taff.
Les Secrets du Kayak : Ton objectif, c’était de voir jusqu’où tu pouvais aller ?
Gabrielle Tuleu : Oui c’était ça. J’essaie toujours dans ma vie de nouvelles choses sans pression voir jusqu’où ça va. Tant que j’ai envie, je continue.
Le fait de rentrer en structure de haut niveau avec le staff de l’époque, c’était un grand moment. La carotte c’était la place pour aller aux JO pour le K4. Je voulais y être, pour me sélectionner dans ce bateau.
Au briefing d’avant finale, on se dit que tout est possible, mais au fond de nous on savait qu’on avait pas le niveau individuel pour aller en finale. On était jeune, Marie était enceinte, on savait qu’on avait pas de chance de médaille. On était au début du haut niveau, on s’est exprimé le mieux possible.
Les Secrets du Kayak : Quand les JO se terminent en 2012, tu te remotives pour participer aux suivants, côtoyer le très haut niveau ?
Gabrielle Tuleu : C’est là où je suis passée à l’objectif de la médaille. Ça n’a pas marché puisque je n’ai pas fait les Jeux et je n’ai pas fait de médailles à l’International malgré mes choix de vie mis en place dans cet objectif.
J’ai arrêté la recherche, les études. J’ai tout pensé sur quatre ans. Mettre en place des choses en terme de bateau, de professionnel, j’ai voulu passer le CAPES de SVT mais ça été plus dur que ce que je pensais. Mais c’était en même temps que les compétitions internationales.
Je n’ai jamais été aussi efficace que quand je prenais les choses à la légère. J’ai travaillé cet aspect mental, mais la pression m’a mis dedans et les préparateurs mentaux, ce n’est pas simple pour moi, ça ne m’a jamais aidé.
En diététique, j’ai tenté des choses, j’essaie de bouger un maximum mais avec mon travail en lycée, ce n’était pas simple pour partir un mois à l’étranger. Je pense que j’ai loupé le coche. Et je me suis coupée de mes relations sociales. J’ai décidé d’être célibataire tout ce temps pour me concentrer à fond.
Les Secrets du Kayak : J’ai l’impression en t’écoutant que tu as mis des choses en place qui allait à l’encontre de toi et de ton équilibre.
Gabrielle Tuleu : Pour le professionnel, depuis toujours je m’étais dit « jamais je ne ferais professeur de lycée collège », et au final ce fut le cas. Tout comme je me suis dit que jamais je ferai CTR de kayak. Et au final je suis sur un poste similaire.
Ce qui m’a bloqué, c’était mes croyances, il me fallait rentrer dans le moule pour qu’on m’accepte mieux. Je pensais qu’il fallait être rigide pour réussir.
Même si j’ai été détachée à mi-temps dès 2016, j’ai décidé d’annualiser mon temps de travail. Mais pour partir à l’étranger c’était compliqué. Pour moi, je n’ai jamais été à la bonne place.
Pour Rio, je rate mes sélections de peu je pense. J’étais assez joueuse pour du long, et j’étais explosive. C’était le classement du 500m qui était le plus important, et de peu c’est Manon qui a eu la place pour le K4. Je n’ai pas eu une saison blanche, mais j’ai été profondément déçue.
Je pense qu’ensuite le fait de me détacher du pôle ça m’a fait du bien, et je suis repartie sur un état d’esprit qui me convenait mieux. Se détacher de l’enjeu ça m’a libéré ensuite, et on avait un bel équipage, on s’entendait bien, on partageait beaucoup avec la direction de Claudine qui été moins directive que l’entraîneur de K4 précédent.
On s’est vraiment pris en main, on a optimisé au maximum l’équipage.
Les Secrets du Kayak : A ce moment là, tu penses mettre fin à ta carrière n’étant pas sélectionnée pour Rio ?
Gabrielle Tuleu : Non, je me suis acharnée. J’ai commencé un suivi pour changer. J’ai testé beaucoup de choses même si 2017 n’a pas été mieux. Je ne me suis pas sélectionnée en équipe de France alors que les conditions étaient idéales au niveau du travail.
Du coup je pars à Paris, pour retrouver l’équipe avec Nicolas Maillotte. Et ça été un peu plus compliqué. Ça été une année de grand flottement parmi les entraîneurs de kayak. Le changement de direction de l’équipe de France entre deux olympiades.
Il n’y avait pas vraiment de suivi global. Je crois que c’est Yann Gudefin qui m’a suivi sur la fin de l’année, mais c’était surtout mon coloc et un ami à la base. Donc ce changement de statut ça été compliqué de vivre comme ça. Il a fallu que je m’arrête.
Les Secrets du Kayak : Je suis toujours surpris quand les gens arrêtent le haut niveau. Sois ils arrêtent complètement, soit ils continuent un peu. Toi tu as fait comment ?
Gabrielle Tuleu : J’ai complètement changé de vie. J’ai arrêté le kayak de manière non volontaire. A la fin 2017, les sélections se passent bien, le nouvel entraîneur avait tout changé dans nos habitudes.
J’avais bien progressé. Mais un peu de surentraînement, la vie parisienne, beaucoup de changements… je tombe en dépression.
J’ai fait un burn-out le soir des sélections. On l’identifie que plus tard. J’ai poursuivi mon engagement pour le K4. Je ne m’écoute pas. J’ai puisé au fond de moi ce qu’il me restait.
Et au final je craque, on me médicamente à la fin des mondiaux qui ne se sont pas bien passés. Le mois suivant, on décide de m’hospitaliser. Donc il n’y avait plus de médaille possible, je ne pouvais plus me faire confiance pour faire du haut niveau.
Ça a duré un an, j’étais dans un autre monde. Je n’avais pas préparé ma fin de carrière. Mais ça s’est bien passé ensuite, j’étais bien entouré. On m’a remis le pied à l’étrier. On m’a proposé un travail, de nouveaux défis.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu penses qu’il manque un accompagnent psychologique pour préparer la fin de carrière ou une non-sélection ? Tu es quelqu’un qui réfléchit beaucoup et est-ce qu’on aurait pu mieux t’accompagner à vivre ça ?
Gabrielle Tuleu : L’après carrière a été suivie. C’est vraiment le contexte et ma personnalité qui ont fait tout cela. L’arrêt de la drogue du sport, dans l’excès de sport ça ne m’a pas aidé.
Il y a des dispositifs qui se mettent de plus en plus en place. J’ai été accompagnée par la fédération qui m’a proposée mon poste. Il y a des choses à continuer à développer dans cette fin de carrière.
Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui dans la vie ?
Gabrielle Tuleu : Je prépare les Jeux de Paris 2024, je travaille à l’académie de Créteil en tant que chargée de mission pour développer les projets liés à l’héritage des JO et développer des programmes autour des JO de Paris 2024 pour les écoles, collèges, lycées.
On travaille vraiment sur le quotidien pour que les élèves fassent davantage de sport à l’école. Le sport est un outil fantastique pour acquérir de nouvelles compétences. Partir en club de sport est une chance pour le développement d’un enfant. Ça doit être accessible au plus grand nombre.
Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu continues de monter en bateau ? Ou bien fais-tu d’autres activités ?
Gabrielle Tuleu : J’ai fait du rugby à la suite de ma fin de carrière, mais j’ai du arrêter parce que j’ai déménagée et je me suis aperçue que d’arriver devant le monde politique le lundi matin avec un coquard, je ne m’en sentais pas capable.
Le club passait en élite 2, ça devenait trop sérieux pour moi. Je continue de faire du sport tout en restant vigilante de ne pas trop en faire pour continuer à me reconstruire.
Le kayak, je suis toujours contente d’en faire, je n’ai pas perdu l’envie, d’ailleurs faire un tour de K2 à Aiguebellette ça me fait très envie.
Je garde des vacances cette année pour venir !
Les Secrets du Kayak : Tu as parlé de Douchev qui vous a entraîné en 2017. qu’est-ce qu’il a apporté comme vision et qu’est-ce qu’il a changé ?
Gabrielle Tuleu : La première chose pour moi, c’est qu’il a changé le fonctionnement du groupe. On se connaît toutes dans le kayak. On a certaines croyances qui ont été déconstruites par quelqu’un qui arrive avec un œil neuf et qui ne parle pas un mot de français, et ses méthodes totalement différentes.
Il nous a fallu deux mois pour comprendre ce qu’il nous demandait. C’est comme les hongroises qui ont un entraînement différent des autres nations. En fait, on part à un rythme et on continue d’accélérer. Rien que ça, tout l’entraînement se construit différemment. Ça nous a valu quelques moments de surentraînement, mais ça m’a fait beaucoup de bien.
En musculation, on a pas fait beaucoup de séances avec lui, mais on faisait beaucoup de force endurance avec moins de diversité dans les mouvements. Pour moi tout est un jeu, j’aimais beaucoup, tout me va en fait.
Moi j’ai besoin de découvrir des choses nouvelles, et pour ça avec Andrian c’était top.
Et en technique, j’ai pris conscience des profils psychomoteurs action type. Ma technique a beaucoup évolué, je suis passée d’une pratique instinctive qui n’était pas en accord avec mes préférences motrices, à quelque chose de plus étudié au bout de plusieurs années d’application.
Mais je ne suis pas allée jusqu’au bout ayant arrêté plus tôt que prévu. On était plus sur de la verticalité, de l’explosivité.
Et la présence de sa femme Natasa Janics qui pour moi a toujours été la kayakiste hors norme, de la voir s’entraîner avec nous au quotidien, on se rend compte qu’on pouvait le faire. Ça démystifie l’idée que les autres sont meilleurs.
De la reconnaissance et de l’encouragement, ça m’a fait un bien fou. La bienveillance entre nous, un encouragement, un petit mot, c’est essentiel pour se sentir en confiance. Dans le haut niveau, il faut que ça reste un plaisir, il faut savoir en tirer du positif.
Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y avait d’autres sujets que tu voulais aborder ?
Gabrielle Tuleu : En relisant l’interview de Renaud, je voulais parler de la place que le club peut avoir dans la pratique du kayak. Dans le sens où l’image du sport en général.
Je n’aurais jamais repris le kayak si la bande de potes ne m’y avait pas encouragé. On a repris au même moment avec Renaud. Et l’effet de groupe, la convivialité, le plaisir, l’entourage fait énormément.
Les Secrets du Kayak : Comme le disait Sylvain Curinier, « on ne peut pas réussir seul ». Il a tout résumé avec cette phrase.
Gabrielle Tuleu : Le groupe mal géré peut aussi te desservir. On reste concurrente pour les sélections, et être potes le soir au quotidien ça complique les relations qu’on peut avoir.
Pour avoir travaillé le côté psychique, le fait de me rendre compte que pour me sentir bien je devais être à l’aise avec les personnes autour de moi, le climat de tension peut vite me faire dériver, et accepter d’être seule pour se ressourcer, ça été un déclencheur pour me comprendre.
Et ces phases sont normales. Il faut accepter de changer ses habitudes et ses croyances pour trouver son propre équilibre qui peut être changeant. Il n’y a pas de plan prédéfini qui fonctionne pour tous.
C’est un outils de compréhension des autres. Chaque personne est différente. Ça aide à mieux gérer les moments qui se présentent.
Vous pouvez retrouver Gabrielle Tuleu sur son compte instagram.