Interview : Aymeric Guillot

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Aymeric Guillot en septembre 2021.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Aymeric Guillot : Bonjour ça va super bien. Je te remercie de me contacter pour discuter de quelque chose qui nous passionne tous les deux.

Les Secrets du Kayak : Exactement, à chaque podcast je découvre de nouvelles choses. J’ai fait un podcast avec Boris Maret préparateur mental de certains athlètes de kayak de l’équipe de France, et j’ai découvert le terme d’imagerie motrice (ou visualisation). Il s’avère que tu es expert sur le sujet. Peux-tu te présenter rapidement ?

Aymeric Guillot : Je suis enseignant chercheur à l’Université de Lyon I. Je travaille dans le domaine de la neurophysiologie.

Ça fait vingt ans que je m’intéresse à l’entraînement mental et plus en particulier à la visualisation, l’imagerie motrice et à leurs bénéfices pour amener à l’amélioration des performances d’une part, et au recouvrement des fonctions motrices lorsqu’on est blessé d’autre part.

Mon travail c’est de comprendre les fondements et les processus qui sont liés et mis en jeux lorsqu’on imagine quelque chose. Une fois qu’on a compris comment ça fonctionne et pourquoi ça permet de progresser, il suffit donc de faire la transposition sur le terrain avec les praticiens.

Le but étant de déterminer les principales règles de pratique, les consignes qui font que le travail sera optimal afin d’améliorer la performance.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu fait pour en arriver à cela ?

Aymeric Guillot : J’ai fait un parcours STAPS à l’université de Lyon. Puis lors de la Licence je me suis intéressé à la recherche. Je suis parti sur un domaine peu étudié à l’époque qu’est l’imagerie mentale.

Les premiers articles que j’ai lu et les échanges que j’ai eu avec les enseignants, j’ai vite fait le lien avec les neurosciences, l’analyse du cerveau et du contrôle moteur.

Et naturellement j’ai fait une filière entraînement sportif, sous la forme d’un DEA.

Derrière cela j’ai été embauché en tant qu’enseignant chercheur pour poursuivre. J’ai eu la chance de rester dans la même université, donc ça fait vingt ans que je développe une équipe autour de moi sur le sujet, à savoir comprendre ce qu’il faut faire, pourquoi et comment il faut le faire ?

J’étais sportif à la base, je faisais du tennis de table, du foot, puis je me suis spécialisé dans les sports de combat, sport dans lequel j’ai entraîné pendant quelques années.

Je me suis intéressé tardivement sur le renforcement musculaire, la préparation physique, et la musculation. Je fais un peu de tout cela encore aujourd’hui plus pour le fun que la performance.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui on parle beaucoup de visualisation, mais cela me semble être un terme incomplet. Pourrais-tu donner la définition de l’imagerie motrice ?

Aymeric Guillot : C’est la représentation mentale d’un mouvement, sans que cela ne débouche sur l’exécution de ce mouvement. On va donc revivre mentalement ce mouvement dans ses moindres détails.

Cette représentation mentale d’un geste est multimodale. On combine tous les sens dont on dispose y compris le sixième sens, la proprioception.

Paradoxalement, la différence avec la visualisation elle est tout d’abord sémantique. Visualisation envoie à visuel, c’est la reine des sens, on a du mal à s’en défaire.

Mais lorsqu’on imagine un mouvement, on va dépasser un visuel. On ne va pas chercher à le remplacer, mais on va venir l’enrichir. Donc il y a aussi une notion de conceptualisation du travail.

Mais le terme visualisation est davantage employé car il est plus lisible que le terme d’imagerie motrice.

Dans mon ouvrage j’ai bien parlé de visualisation car c’est mieux compris par les praticiens. Mais l’imagerie motrice est beaucoup plus riche que la visualisation.

Les Secrets du Kayak : Est-il possible de se représenter ou d’imaginer quelque chose qu’on a jamais fait ?

Aymeric Guillot : L’imagerie du geste est sur une sorte de continuum qui va sur l’extrémité à de l’imaginaire. L’imaginaire, on imagine ce que l’on veut, comme quelque chose qu’on n'a pas vécu ou bien qui n’existe pas.

L’inconvénient c’est que c’est très approximatif et donc ça peut devenir très vite contre productif. On va construire sur des repères qui sont faux, donc c’est pire que si on n’en faisait pas.

Quand on ne l’a jamais fait ce mouvement, c’est rare de se lancer dans ce travail d’imagerie ou de visualisation. Il vaut mieux faire quelques essais pour avoir des traces perceptibles sur lesquelles on va construire l’implantation du geste.

Maintenant quand tu maîtrises certains éléments mais que tu ne maîtrises pas les éléments suivants, ou l’enchaînement de différentes séquences, tu peux utiliser l’imagerie pour faire la transition.

Pour autant tu n’as jamais fait le mouvement, mais tu as les repères. Ça peut faciliter la correction du geste, l’appropriation et l’intégration de ce schéma là, parce que ce sont deux éléments séparés que tu maîtrises malgré tout. Ça peut amener une sorte de facilitation.

On façonne le cerveau dans une sorte de plasticité cérébrale progressive qui fait émerger les réseaux neuronaux qui sont les plus efficaces, et qui sont ceux que l’on active lorsqu’on exécute et que l’on contrôle le mouvement.

On construit donc un cerveau expert qui reflète notre capacité à imaginer correctement le mouvement.

Les débutants, les mauvais imageurs, ou ceux qui n’ont aucune expérience dans le mouvement ou dans l’imagerie, vont allumer plein de zones différentes, pas forcément les plus pertinentes, et ça les amènent à une mauvaise représentation et donc à une mauvaise automatisation du mouvement, un manque de justesse sur la technique du mouvement, et donc ce n’est pas efficace.

Les Secrets du Kayak : Existe t-il des facteurs pouvant gêner cet apprentissage ? Comme avec l’âge, plus on vieillit plus il est difficile d’apprendre ? Cela pourrait être un frein à l’imagerie motrice ? Est-ce que l’imagerie motrice peut profiter à tous, même au débutant ?

Aymeric Guillot : Souvent les experts dans l’activité vont avoir plus de faciliter à imaginer leur mouvement, ça va être riche et beaucoup plus efficace parce qu’ils ont une mémoire sensorielle énorme. Ils bénéficieront d’autant plus du travail mental.

Mais leur marge de progression va être réduite parce qu’ils ont déjà un très grand niveau de pratique. Ça va leur permettre de peaufiner leur technique, de l’ajuster.

Quand on est débutant, le mouvement est imparfait, on a moins de repères. On aura moins de bénéfice à tirer d’un point de vue de la qualité mais on aura une marge de progression énorme.

Donc le travail mental va être efficace parce qu’il va accélérer la courbe d’apprentissage et d’automatisation, même si les repères sont relativement incomplets.

Donc en fonction de son niveau de pratique on ne vise pas la même chose. On peut l’utiliser pour tous les niveaux de pratique.

Quant à l’âge, on remarque que de 7 à 70 ans on peut faire un travail mental parce qu’on est capable de faire un mouvement de qualité, y compris pour les enfants qui ont des problèmes de temporalité du mouvement.

Pour l’âge la théorie demanderait d’être prudent, mais la pratique montre que le travail est efficace à tout âge. Il faut l’adapter pour les enfants avec quelque chose de ludique.

Pour moi un des facteurs important est la capacité d’imagerie. C’est à dire que c’est déconnecté du niveau d’expertise. Les experts ne sont pas les meilleurs imageurs, et les débutants ne sont pas toujours les moins bons.

Avoir une bonne capacité d’imagerie c’est pas mal d’atouts pour bénéficier du travail. Certains n’arrivent pas du tout à avoir d’images, et là il faut mettre en place un travail d’éducation de développement de capacité cognitive de représentation, parce qu’il y a une base manquante qui complique la mise en place du travail.

C’est une dimension importante et négligée dans la pratique. Ça demande un certain nombre de connaissances et d’outils difficiles d’accès afin de les aider.

Les Secrets du Kayak : Cette incapacité d’imagerie mentale est-elle mesurable en laboratoire par des électrodes ?

Aymeric Guillot : Oui, on a des outils qui permettent de mesurer la qualité de la représentation du geste, de savoir si la personne s’engage dans une activité mentale, voir comment elle se rapproche du mouvement réel.

On n'est pas sur le simple ressenti ou la simple verbalisation de l’athlète.

Il faut garder à l’esprit que ça restera toujours une référence, une hypothèse d’explication liée au travail mental. Mais ce sont des marqueurs mentaux témoins d’une activité mentale en quelque sorte.

On ne peut pas avoir la certitude que la personne ne pense pas à autre chose qu’à la chose demandée. On n'aura jamais la certitude absolue de ce qui se passe dans la tête de l’individu.

Les Secrets du Kayak : Quelles sont les différentes formes de l’imagerie motrice ?

Aymeric Guillot : Intrinsèquement on peut utiliser les modalités visuelles. On peut se voir de l’intérieur ou de l’extérieur en caméra embarquée. On peut percevoir ou sentir le mouvement c’est l’imagerie kinesthésique. On a de l’imagerie tactile, auditive, olfactive.

On combine toutes les modalités sensorielles. Derrière on va pouvoir décliner des formes de travail différentes comme verbaliser en même temps pour expliciter ce qu’on imagine et cela développe la sémantique de la personne.

Au même titre on va pouvoir faire de l’imagerie dynamique en bougeant.

L’observation, la visualisation et l’imagerie pendant fort longtemps ont été étudiées de façon séparée.

Observer peut faciliter l’imagerie, on parle d’amorçage et chez les enfants ça marche très bien il y a un phénomène d’imitation et de motivation par dessus. Ils ont une meilleure représentation de ce qu’ils doivent faire et ils y arrivent mieux.

La tendance actuelle est de combiner les deux de manière spécifique, on demande à la personne d’observer et d’imaginer en même temps. Ce qui pose de nouvelles questions : est-ce que j’imagine exactement ce que je suis en train d’observer ? Est-ce que j’imagine quelque chose de partiellement différent de ce que j’observe ?

Parfois on se retrouve dans des conflits où ce que j’observe et ce que j’imagine deviennent concurrents, et là ça pose problème au niveau neuronal.

Il y a aussi une sorte de sonification, c’est à dire par exemple en escalade associer des sons aux mouvements et du coup, les athlètes mémorisent et imaginent des enchaînements de mélodies plutôt que des enchaînements de motricité. Cela leur permet d’améliorer la rythmicité notamment en escalade de vitesse.

Donc il y a différentes formes de travail qu’on décline, qui ont toutes des avantages et des inconvénients, mais qui sont toutes intéressantes à explorer.

Les Secrets du Kayak : Quelles sont les conditions pour une bonne imagerie motrice ?

Aymeric Guillot : Il faut garder à l’esprit que la forme de travail de l’imagerie va dépendre de l’objectif. Il y a quatre grandes directions que l’on peut prendre.

La première : envisager le travail d’un point de vue psychologique, par la confiance en soi, la motivation, la régulation de l’anxiété dans un souci de performance. On travail sur l’athlète. La marche de manœuvre est beaucoup plus large. La consigne absolue c’est l’efficacité, la réussite, le côté positif. Finalement le côté technique devient très secondaire.

La deuxième par contre, le perfectionnement technique ou l’apprentissage de la performance, là on doit être hyper rigoureux. On doit respecter énormément de règles de pratique. Imaginer à la vitesse réelle du mouvement, on est dans la position la plus proche possible du mouvement. Donc on le fait plutôt en l’intégrant dans l’entraînement, pas en s’allongeant. Soit juste avant ou juste après l’exécution réelle. On va chercher un niveau d’activation assez proche de celui de la pratique réelle.

La troisième forme de travail est un peu intermédiaire, c’est plutôt de la dimension tactique, stratégique, où là on peut travailler un peu dans deux directions, on essaie de trouver un compromis entre les deux.

Et le dernier cas de figure qui peut aider c’est lorsqu’on est blessé pour continuer malgré tout l’entraînement et favoriser la récupération psychologique et physiologique. On va limiter la perte de force, la perte de d’amplitude articulaire, on va récupérer un peu mieux, éventuellement plus vite. Il faut garder à l’esprit qu’en fonction du mode de travail choisit on va vraiment avoir des contenus et des moments de travail très différents.

Les Secrets du Kayak : Comment se fait-il que l’imagerie motrice fonctionne dans les cas de blessure ? Comment cela nous aide à maintenir notre niveau et à revenir plus vite ?

Aymeric Guillot : Il y a trois types d’effets lorsqu’on est blessé. Les effets psychologiques, mais aussi physiologiques ou fonctionnelles.

C’est comme le protocole du miroir, le fait de travailler face à un miroir. On va entretenir l’activation des programmes moteurs par le biais de la plasticité cérébrale. On va continuer à activer le circuit neuronal responsable du mouvement. Et comme on ne peut pas le faire suite à la blessure, ça évite que les neurones soient recrutées pour aller faire autre chose sur un nouveau réseau, surtout si la blessure et l’incapacité sont longues.

Du coup on entretient ce réseau là, et on fait en sorte de revenir avec un niveau de pratique qui est un peu plus élevé.

Parallèlement, lorsqu’on imagine le mouvement, il va y avoir une plasticité cérébrale. C’est à dire que je vais augmenter la surface dédiée au niveau du cortex moteur, et donc au contrôle des muscles en question.

C’est ce qu’il se passe dans le développement classique. Lorsque je suis blessé il faut éviter que cette surface ne rétrécisse. Donc la plasticité cérébrale va entretenir les facteurs nerveux du développement de la force et donc limiter la perte de force.

Certes il y aura une fonte musculaire, une perte de performance, mais je vais entretenir par la synchronisation des unités motrices le programme moteur et je vais donc limiter la perte de force et le perte d’amplitude articulaire.

Et cela on arrive à le mettre en œuvre relativement vite, et très simplement par le fait d’imaginer des contractions musculaires, simples au départ, puis plus complexes. Du coup je vais partir avec un niveau de force beaucoup plus élevé que si je m’étais contenté d’un repos classique.

Les Secrets du Kayak : Peut-on renforcer son programme moteur par l’imagerie motrice, est-il possible d’arriver à un surentraînement nerveux ?

Aymeric Guillot : Oui on pourrait améliorer notre programme moteur parce qu’en réalité on va continuer à s’entraîner de façon différente.

Je nuance tout cela parce qu’il y a beaucoup de travaux sur le développement de la force pour voir si l’imagerie permet de gagner en force musculaire. C’est possible mais sur certains muscles seulement et sur des mouvements analytiques, donc on est loin de gagner en performance et en force musculaire sur des mouvements polyarticulaires.

Ce n’est pas très clair à ce jour. C’est plus intéressant d’orienter le travail sur la technique et la récupération inter-série, plutôt que sur le gain musculaire lui même.

On peut donc revenir d’une blessure avec un niveau supérieur. C’est tout de même très exigent en terme de concentration nerveuse, ça peut générer une fatigue mentale qui peut impacter les performances à l’entraînement, alors que lorsqu’on est blessé, on est démuni et donc on est plus ouvert et capable d’enchaîner ces séances.

Ça reste assez rare de fatiguer un athlète blessé, on a plutôt du mal à les canaliser. Il faut contrôler le côté qualitatif et l’excès de sensation que de ne pas avoir des résultats autant rapides qu’espérés.

Les Secrets du Kayak : Sait-on déterminer les substrats responsables de cette fatigue nerveuse ? Est-il possible de booster ses capacités cérébrales pour faire de l’imagerie motrice ?

Aymeric Guillot : Je n’ai pas en tête des travaux allant jusque là.

Nous même avons fait des études à savoir si on peut en faire en état de fatigue musculaire, ou bien si l’imagerie induit une fatigue. Je ne saurais donc pas te répondre.

Mais il y a des travaux qui montrent que lorsqu’on fait de l’imagerie il peut y avoir une perception de fatigue, alors qu’en réalité les marqueurs objectifs d’une fatigue neuromusculaire ne sont pas là.

Il y a un décalage entre le ressenti, le perçu et l’état dans lequel on pense être. C’est encore obscure.

Les Secrets du Kayak : En théorie on consomme moins d’énergie, donc moins de glucose que de faire l’effort. Est-ce ce qui permet de récupérer ?

Aymeric Guillot : Encore une fois il n’y a que très peu de données qui permettent de répondre. Ça ne génère pas de modification physiologique, il n’y a pas de fatigue physique.

Tout se passe sur un état de vigilance, la capacité de se concentrer, de rester lucide. Mais dès qu’on a la perception d’une fatigue, immédiatement ça joue et ça interfère avec la réalisation qu’on va avoir du mouvement.

Sur la récupération ce qu’on a montré par une séance de musculation : la musculation active ou passive, le fait de s’imaginer soit un travail de relaxation musculaire, soit un travail de très légère activation musculaire des muscles concernés, ça avait pour effet d’avoir une quantité de travail et un effort plus intéressant à l’échelle d’une séance.

Ça contribuait à mieux récupérer entre les séries, et d’être un peu plus performant. Mais il n’y a pas d’autres travaux à ma connaissance pour le moment. Mais ça va venir.

Nous même avons une étude en cours pour laquelle on ne peut pas encore trop rentrer dans le détail, on n'a pas encore de données révélatrices. L’idée est de comprendre pourquoi on a un gain de force par l’implantation du geste et comment ça se traduit par l’activité neuromusculaire.

Les Secrets du Kayak : Dans l’activité sportive pour performer on apprend le mouvement, et plus on le répète, plus il s’automatise. Est-ce possible de trop automatiser son geste ? L’imagerie motrice permet-elle d’automatiser davantage pour que le geste demande de moins en moins d’effort nerveusement ?

Aymeric Guillot : Oui. On va observer une plasticité cérébrale qui va traduire de la réalisation d’un mouvement équivalente qu’on s’entraîne mentalement ou physiquement.

Plus on s’entraîne moins c’est coûteux cognitivement et plus c’est efficace. Donc quand on combine les deux on accentue ce processus. Et on automatise plus rapidement.

Mais quand l’imagerie est imparfaite on n'est pas à l’abri de l’automatiser de façon imparfaite, et là plus il sera coûteux de désapprendre pour réapprendre pour corriger le mouvement. Mentalement c’est très facile à faire.

Donc dans l’apprentissage moteur il y a quelque chose qu’on identifie très bien quand on passe d’un mouvement qu’on est en train d’apprendre à un mouvement qu’on a automatisé, on a une attention diffuse qui permet de regarder ce qu’il se passe autour.

On l’illustre facilement dans le basket. On passe d’un contrôle conscient à intra-conscient. On descend des structures corticales les plus supérieures dans le cortex pour descendre à un niveau sous-cortical. Du coup on libère le cortex pour qu’il fasse autre chose, c’est la marque de l’expertise.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a une limite à l’apprentissage moteur ?

Aymeric Guillot : Pour schématiser on va basculer d’une circuiterie à une autre.

Au bout d’un moment les circuiteries ne sont plus du domaine de l’apprentissage et de la planification du geste.

La différence va surtout se faire sur de la prise d’information, de la lecture de la situation, de l’anticipation…

Les circuits de mémorisation et d’automatisation sont relativement bien connus maintenant.

Les Secrets du Kayak : Tu connais certainement la règle qui dit qu’il faut pratiquer une activité dans la joie pendant 10 000 heures pour devenir un expert, dans le cadre de tes recherches existe-t-il un temps défini moyen pour passer du statut débutant au statut expert ?

Aymeric Guillot : La limite des 10 000 heures j’ai vu des scientifiques devenir hystériques quand ils entendaient ça.

Donc je ne sais pas sur quels critères cette étude a été établie, et je ne sais pas si on peut fixer cette limite là.

Dans l’idée c’est qu’il faut une pratique suffisamment importante pour être capable de lire la situation dans sa globalité. De là à la chiffrer je ne saurai pas dire.

Pour moi c’est un compromis entre le qualitatif et le quantitatif. Je n’ai pas aujourd’hui de seuil qui permet de déterminer le seuil d’un expert.

Ce qui est vrai en revanche, c’est qu’on ne peut pas se passer d’une certaine quantité de pratique. On ne remplacera jamais du physique par du mental sauf en cas de surentraînement ou de blessure. C’est la combinaison des deux qui est intéressante.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’en cas de fatigue physique avérée on peut remplacer une séance sur l’eau par une séance d’imagerie motrice ?

Aymeric Guillot : Oui, ça peut être intéressant même si c’est ponctuel.

Ça en devient intelligent par l’écoute de l’organisme et du corps, et on lui évite un processus pouvant courir à la blessure, à terme être contre productif.

Il ne faut pas prévoir de s’entraîner un tiers de moins que prévu pour à la place faire du travail mental. Toutes les études montrent que le travail physique pur reste plus intéressant que le travail mental pur.

Et que la combinaison des deux est toujours le meilleur compromis. Et quand on transpose cela, ça devient efficace.

Les Secrets du Kayak : Comment fonctionne une séance d’imagerie motrice ? Quelles sont les règles de bonne pratique ?

Aymeric Guillot : La question du dosage et de la fréquence est encore compliquée, ça par dans tous les sens.

Si on fait une séance pure d’entraînement il ne faut pas en faire de trop longue. D’un point de vue de la performance de la gestuelle technique, on va faire des séances de 15-20 min pour rester concentré, et il ne faut pas en faire trop d’affilé, toujours pour rester concentré.

On observe que dix douze essais successifs chez les bons imageurs, c’est un seuil à partir duquel on détecte une détérioration. Maintenant si le mouvement est très court, on peut en faire plus. S’il est complexe et coûteux à se représenter on en fait moins, on va moduler.

Si on fait une séance intégrée il vaut mieux identifier les ateliers sur lesquels travailler et placer une ou deux représentations du geste juste avant ou juste après l’exécution réelle.

Au final on va faire 10 min de travail effectif sur une séance d’entraînement. Mais le fait qu'elle soit proche de l’exécution réelle, ça va être beaucoup plus qualitatif et largement suffisant et efficace.

Pour moi c’est une très bonne préconisation. Du coup ne se pose plus la question de la durée de travail.

En terme de fréquence, c’est variable. Pour des novices deux fois par semaine c’est déjà pas mal, et lorsqu’on est plus aguerri jusqu’à quatre séances par semaine c’est bien. Il n’y a pas vraiment de littérature scientifique claire sur le sujet.

Si on en revient à la pratique du kayak, on parle d’essai soit un mouvement ou une séquence de mouvements. En kayak tu es obligé de séquencer sinon c’est trop long.

Et sur des séquences plus longues, tu vas réduire le nombre d’essais. C’est compliqué parce que le mouvement est continu, mais tu trouves cela également dans le cyclisme ou pour les sports automobiles. Pour autant ça s’y prête très très bien le kayak.

Les Secrets du Kayak : Est-ce quand on débute on a tout intérêt à combiner l’entraînement physique et l’entraînement mental ?

Aymeric Guillot : Oui, c’est une bonne idée pour accélérer la pente de la courbe d’apprentissage. Même s’il y a des choses imparfaites.

Ou bien en imaginant quelqu’un d’autre, un modèle, jusqu’à devenir sa propre référence. On va ainsi naturellement bénéficier de l’imagerie pour différentes raisons à différents stades de l’apprentissage.

Pour conclure ce sur quoi j’aimerais insister, c’est d’avoir à l’esprit qu’en fonction des objectifs de travail il y a vraiment des règles de pratique.

Il y a trop d’idées répandues comme quoi le travail mental se fait au feeling ou en fonction de ce qu’on pense sur des idées reçues. Alors qu’en fait c’est aussi rigoureux dans la planification, dans l’établissement des cycles d’entraînement. Il faut respecter les règles.

A mon sens pour éviter les contre performances, il faut être vigilent quant à la vitesse du mouvement imaginé.

Quand on est expert, on confond vitesse et précipitation. Et là par exemple les études faites auprès des judokas de bon niveau sont très claires, c’est à dire qu’à partir du moment où on s’imagine le mouvement moins vite ou plus vite, c’est beaucoup plus souvent contre productif que bénéfique.

Ralentir un mouvement ce n’est pas intéressant et ça casse le schéma moteur de l’exécution réelle, ça le ralentit. Et à l’inverse si on l’accélère, on devient plus approximatif. Il faut vraiment être expert dans la temporalité pour bénéficier d’effets positifs.

Vous pouvez retrouver Aymeric Guillot sur son compte Linkedin.

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